L’éviction forcée de la famille Salhiyeh par la municipalité de Jérusalem semblait inévitable, jusqu’à ce qu’une dernière résistance désespérée voie leur expulsion différée. Mais l’avenir reste incertain.
[Mise à jour de l’AURDIP du 19 janvier 2022 : La police israélienne détruit la maison d’une famille palestinienne à Jérusalem
Après de multiples tentatives, la police israélienne a détruit mercredi avant l’aube la maison d’une famille palestinienne dans le quartier sensible de Cheikh Jarrah, devenu le symbole de la lutte contre la colonisation israélienne à Jérusalem-Est.]
Dans un sursis partiel et de dernière minute, une famille palestinienne du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem Est a évité lundi une expulsion forcée, même si les autorités israéliennes ont détruit des entreprises locales situées sur les terres de la famille – dont le lieu de travail d’un des membres de la famille.
La police israélienne et des employés de la municipalité de Jérusalem sont arrivés devant la maison de la famille Salhiyeh à Jérusalem Est vers 8 H du matin, deux mois après un avis d’expulsion qui donnait aux résidents jusqu’au 25 novembre pour partir afin de pouvoir remplacer leur maison par une école et un jardin d’enfants.
Lorsque la police est arrivée ce matin là, Mahmoud Salhiyeh, accompagné de plusieurs jeunes, a protégé sa maison familiale avec des bonbonnes de gaz et a menacé de les faire exploser si l’expulsion se poursuivait. Des reporters ont commencé à arriver, ainsi que des militants et des diplomates européens : des forces spéciales de la police sont également arrivées ainsi que des pompiers et des ambulanciers, qui se préparaient à une éviction forcée.
« Ils peuvent construire cinq écoles ici et ma maison restera », a dit Mahmoud Salhiyeh, debout sur le toit de sa maison et empoignant une bouteille de verre remplie d’essence à côté d’une bonbonne de gaz. Environ 10 adolescents se tenaient près de lui avec d’autres bonbonnes. « Nous avions des maisons à Ein Kereem, ils ne peuvent pas nous expulser à nouveau », a ajouté Salhiyeh, faisant référence au village palestinien dont les résidents avaient été expulsés de force par les milices sionistes en 1948 et qui, plus tard, a fait partie de Jérusalem Ouest. « Je ne pars pas, même si je dois mourir. »
Bien que les autorités aient démoli lundi une pépinière où travaille Mahmoud, une parcelle de terre pour la vente de voitures, et un salon de coiffure, l’action de la famille pour défendre sa maison ce jour là – ainsi qu’une pression diplomatique – signifiait qu’elle pouvait, pour l’instant, rester chez elle.
La première expulsion
La famille Salhiyeh est arrivée à Sheikh Jarrah peu après son expulsion de Ayn Karem (aujourd’hui Ein Kerem) pendant la Nakba ; à ce moment là, cette partie de Jérusalem était encore sous contrôle jordanien. Dans les années 1950, la Loi sur le Bien Des Absents a permis à l’État de s’emparer de la propriété du grand-père de Mahmoud que la famille avait été forcée de quitter.
« Mon grand-père y avait un palais. La maison est toujours là, habitée par des Juifs », a dit Mahmoud à Local Call dans une interview de la semaine dernière. « Laissez nous retourner dans notre maison là-bas et je ne voudrai pas de Sheikh Jarrah. »
La famille possède l’acte d’achat du terrain à Sheikh Jarrah. Le terrain n’a pas été régularisé en tant que propriété dans le Tabu (registre foncier israélien) et est donc encore enregistré sous le nom de ses propriétaires précédents, membres de la famille palestinienne Hilu. Bizarrement, alors que ce terrain a servi de lieu de résidence depuis plus de 70 ans, le plan directeur du quartier, approuvé en 1984, le destine à des constructions publiques.
En 2017, la Municipalité de Jérusalem a exproprié la terre de la famille pour un usage public.
Dans la perspective de l’éviction prévue, Mahmoud Salhiyeh a désespérément cherché un autre appartement à louer pour ses quatre enfants et pour sa mère. « Vivre dans immeubles d’habitation surpeuplés à Beit Hanina, j’étouffe. Je ne sais pas comment je pourrai vivre dans un endroit comme celui-là. Je deviendrai fou », a-t-il dit la semaine dernière.
« Il n’y a pas de compensation, il n’y a rien », a dit la semaine dernière Lital, la femme de Mahmoud, juive israélienne originaire de Rishon LeZion, tout en emballant des affaires pour les enfants. « Nous ne serons pas expulsés, mais si la police vient nous expulser, je fais des paquets afin qu’ils ne jettent pas tout dans la rue. »
Avant l’affrontement de lundi, un porte-parole de la Municipalité de Jérusalem a proposé la réponse suivante : « Depuis la décision juridique, la famille Salhiyeh s’est vu proposer de multiples opportunités pour transmettre volontairement le terrain, mais elle a refusé de le faire, même après avoir eu des propositions répétées de reports, de réunions et de tentatives de négociation. Par conséquent, la Municipalité de Jérusalem agira selon les instructions du tribunal et entend mettre en œuvre ses ordres. »
La municipalité a proposé à la famille la possibilité de devenir son locataire avec un contrat temporaire qui serait renouvelé tous les huit mois et donnerait à la municipalité le droit d’expulser la famille quand elle le jugerait bon. La famille a refusé l’offre, ne voulant pas vivre sous la menace constante d’une expulsion.
L’avocat représentant la famille, Ahmad Kadmani, a rempli une requête pour retarder l’ordre d’expulsion et faire annuler le jugement, étant donné que certains membres de la maisonnée ne faisaient pas partie de la procédure judiciaire. « Il est inacceptable d’expulser la sœur et la mère de Mahmoud alors qu’aucun procès pour expulsion n’a jamais été intenté contre elles », a-t-il dit. Le tribunal de district entendra la requête la semaine prochaine.
‘Une action cynique’
Commentant le sort de la maison de la famille Salhiyeh, une source du département de l’Éducation de la municipalité de Jérusalem a dit que la municipalité promeut des projets pour une école d’éducation spéciale et six jardins d’enfants pour le public arabe dans cette zone, et ceci dans l’intention de « résoudre la sévère pénurie de salles de classe dans la partie Est de la ville ». Cependant, elle a ajouté qu’il n’est pas prévu qu’à ce stade, la construction se fasse sur les logements de la famille, mais dans les zones adjacentes, ce que l’on retrouve également dans la carte du projet de construction de l’école de la municipalité. A la lumière de ces faits, la raison pour laquelle la municipalité insiste pour chasser la famille de chez elle n’est pas claire.
En plus, il existe des lieux alternatifs pour créer des institutions éducatives dans le quartier, endroits qui n’impliqueraient pas l’éviction de familles palestiniennes. Il y a, par exemple, un lot vide, près de la rue Pierre Van Paassen, qui est décrit dans le plan directeur comme destiné à des bâtiments publics. Pourtant, dans une démarche inhabituelle, la municipalité a décidé d’abandonner ce terrain et de le transmettre, sans compensation, à l’organisation ultra-orthodoxe Ohr Somayach, qui projette d’y installer une yeshiva et des dortoirs pour les élèves.
Ce mois-ci, l’ONG Ir Amin a fait appel au département de l’éducation, réclamant que la municipalité utilise cette parcelle pour y établir des institutions d’éducation dans le voisinage, en tant qu’alternative à l’utilisation de la parcelle de la famille Salhiyeh. C’est juridiquement possible : d’après le contrat établi avec Ohr Sarneach, la Municipalité de Jérusalem peut récupérer l’utilisation de la parcelle.
« C’est une action particulièrement cynique de la municipalité », a dit Aviv Tatarsky, chercheur à Ir Amim. « La municipalité menace d’évacuer la famille Salhiyeh, tout en abandonnant en même temps une autre parcelle de terre dont elle fait don à une yeshiva. La municipalité réussit à faire même de l’obligation de procurer de l’éducation à la population palestinienne une partie du mécanisme de dépossession et de judaïsation. »
« Ils créent de la rage chez mes enfants, chez toute une génération de Palestiniens. Pourquoi ? » a demandé Mahmoud Salhiyeh la semaine dernière. « Tout est piloté par la municipalité, piloté d’en haut. Aryeh King, maire adjoint, dit ouvertement qu’il veut jeter les Palestiniens hors d’ici. Où est le problème dans l’installation d’une école en nous laissangt notre maison ? »
‘Ils veulent nous faire taire’
Toute la matinée de lundi, il semblait qu’un mur de policiers avec des échelles, des boucliers et des extincteurs se préparait à forcer l’entrée de la maison et à démanteler les fortifications. Mais alors, un représentant de la municipalité est arrivé et a essayé de persuader la famille de mettre fin à l’impasse, faisant remarquer que les projets pour leur terrain ne comportaient pas la construction d’une école à l’endroit exact où se trouvait la maison. Il a bien voulu garantir qu’ils ne seraient pas expulsés ce jour là, mais n’a voulu prendre aucun engagement pour un avenir proche.
« Il faut que nous arrivions à une entente entre personnes », a dit le représentant à Mahmoud Salhiyeh. « Je suis venu pour résoudre le problème… Résolvons le gentiment. »
« La raison pour laquelle l’éviction a été remise n’est pas claire », a dit Hagit Ofran de La Paix Maintenant qui était sur place. « Manifestement, l’attention du public, des diplomates et des médias a mis cette question au programme. Si la famille n’était pas montée sur le toit, il est vraisemblable qu’elle aurait été expulsée dès ce matin. »
Bien que le projet soit de construire une école pour les Palestiniens, la famille et les militants voient l’éviction comme faisant partie d’une politique d’expulsion de Sheikh Jarrah. « Ils veulent s’emparer de la terre, cela fait partie de la politique de la municipalité afin d’aider les colons », a dit Salhiyeh. Lital Salhiyeh, sa femme, a ajouté : « Je ne crois pas qu’ils ne viendront pas pour notre parcelle [de terre]. Ils veulent nous faire taire, faire descendre ceux qui sont sur le toit, mais tant que la municipalité ne garantira pas que la maison est à nous, nous ne mettrons pas fin à notre défense. »
A la fin de l’après-midi, une pelleteuse appartenant à la municipalité avait commencé à détruire la grande pépinière, plantée environ 10 ans plus tôt, ainsi que l’espace prévu pour les ventes de voitures. Des entrepreneurs ont chargé l’équipement de la pépinière sur des camions.
Bien que plusieurs dizaines de militants soient arrivés à se barricader autour de la maison, la police en a empêché d’autres d’y arriver ; à la place, ils ont manifesté au bord de l’enceinte prévue pour la démolition. La police a arrêté ces militants.
Des diplomates européens, parmi lesquels Sven Kühn von Burgsdorff, ambassadeur de l’UE à Jérusalem Est, la Cisjordanie et Gaza, étaient aussi sur place. La Délégation de l’UE pour les Palestiniens a dit dans un tweet qu’il était « impératif de désamorcer la situation et de chercher une résolution pacifique. Les expulsions/démolitions sont illégales selon le droit international et sapent considérablement les chances pour la paix de même qu’elles avivent les tensions sur le terrain ». L’ambassadeur des Pays Bas en Israël, Hans Docter, entre temps a tweeté que la démarche d’expulsion est « contraire au droit international et fait risquer une flambée supplémentaire », ajoutant que les Pays Bas « appellent les autorités israéliennes à mettre immédiatement fin à l’expulsion ».
Les employés de la municipalité ont érigé une très haute clôture en aluminium autour des structures démolies lundi et, alors que la nuit tombait, la pelleteuse a terminé son travail et une partie des forces de police a quitté le site.
« Ils nous ont promis qu’ils ne détruiraient pas, mais quel bien cela nous a-t-il fait ? » a dit Lital Salhiyeh tout en regardant la pelleteuse. « Les jeunes qui sont ici sur le toit avec mon mari – chacun d’entre eux a un ordre d’expulsion pour sa maison familiale. La municipalité est anti-arabe. »
Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu en deux parties séparées sur Local Call. Vous pouvez les lire ici et ici.