Les images montrant un homme palestinien brûlé vif lors d’un incendie déclenché par un tir israélien dans la cour d’un hôpital ont fait le tour du monde. «CheckNews» retrace le parcours du jeune homme, étudiant originaire du nord de Gaza.

Des explosions, des hurlements de panique, de peur, de douleur, et le corps d’un jeune homme piégé dans les flammes, qui se recroqueville, et finit consumé par le feu. Depuis dimanche 13 octobre, les images de l’incendie meurtrier de dizaines de tentes de réfugiés, après une frappe revendiquée par l’armée israélienne, sur un parking de l’hôpital Al-Aqsa, à Gaza, ont fait le tour du monde, suscitant une immense émotion. Sur X, Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a condamné la frappe, évoquant des «civils tués et blessés dans des circonstances effroyables».
Cinq personnes sont mortes dans l’incendie, alors que plus de 60 ont été blessés, certaines souffrant de brûlures graves. D’après les éléments concordant rassemblés par CheckNews, l’homme qui meurt dans les flammes, dans les séquences qui ont bouleversé les réseaux sociaux, est Shaaban al-Dalu, un étudiant palestinien de 20 ans, originaire du nord de Gaza. Sa mère a également péri dans le drame. Son père, ses sœurs et son plus jeune frère ont eux survécu.

Lundi, les noms de cinq victimes avaient été partagés sur les réseaux sociaux dans les listes de «martyrs» diffusées par les canaux palestiniens et sur les réseaux sociaux de proches de victimes, comme c’est l’usage après chaque bombardement à Gaza. Y figurait celui de Shaaban al-Dalu. Contacté par CheckNews, un cousin du jeune homme a confirmé son décès, expliquant l’avoir appris par des proches.
Sur Instagram, un des photographes ayant filmé la scène, Hani Abu Rezeq, a confirmé que l’homme piégé dans les flammes était bien Shaaban al-Dalu. Sur l’une des vidéos (la plus insoutenable) tournée par un autre photojournaliste, Omar Aldirawi, on distingue nettement le visage de l’homme en proie aux flammes, et encore conscient à ce moment-là. Sa barbe, ses cheveux et ses traits sont cohérents avec ceux de Shaaban.
«Il ne restait plus que des os, plus d’habits, plus rien»
Le petit frère de Shaaban, Mohammed, 16 ans, a raconté la scène au média Middle East Eye, et plus longuement à Al-Jazeera. A la chaîne qatari, il dit que son plus jeune frère, son père et ses deux sœurs ont réussi à s’extraire de l’incendie. L’une d’elles a été brûlée, ajoute-t-il toutefois, précisant qu’ils «ont dû éteindre le feu sur son dos et son visage».
Dans une vidéo de la scène tournée par le photojournaliste Abdallah Alattar, visionnée par CheckNews, on observe une femme avec la tête et le dos en feu, sortir de la zone désignée par Mohammed dans la séquence d’Al-Jazeera, juste après un homme. Les deux personnes seraient donc le père et l’une des sœurs. Mohammed rapporte que les différents membres de sa famille ont été envoyés dans d’autres hôpitaux de Gaza.
L’adolescent, qui fond en pleurs devant la vidéo du corps de son frère dévoré par les flammes visibles sur son téléphone, désigne également à la caméra d’Al-Jazeera l’endroit où se trouvait Shaaban, au milieu des morceaux de ferrailles noircis. D’après différentes séquences comparées par CheckNews, la zone désignée par Mohammed comme étant leur tente, et le lit de son frère, correspond précisément à l’endroit où l’homme a été brûlé vivant sur les images.
Devant la caméra, Mohammed explique avoir réussi à identifier le corps de sa mère, Alaa, grâce au collier autour de son cou. A propos de Shaaban, il explique à Al-Jazeera l’avoir identifié par élimination : «C’était le seul des martyrs qui n’a pas pu être identifié dans un premier temps. Moi je ne l’ai pas reconnu. Mais comme il ne restait plus que lui… Il ne restait plus que des os. Plus d’habits, plus de pantalons, plus de bague, plus rien. C’est comme ça qu’ils ont su que c’était lui.» Des images filmées juste après l’incendie, diffusées par NBC, montre des hommes soulever un corps entièrement calciné sous un drap, dans la zone où Shaaban a été brûlé.
«J’avais autrefois de grands rêves, mais la guerre les a ruinés»
En février, Shaaban al-Dalu avait créé une cagnotte afin de demander de l’aide pour lui et sa famille. Il se présentait en ces termes : «Je m’appelle Shaaban Ahmed, j’ai 19 ans et je suis étudiant en génie informatique», précisant avec fierté être dans les dix meilleurs de sa promotion après sa première année d’étude. «Ma vie a été bouleversée par les bombardements et les tirs d’obus incessants. Autrefois plein d’aspirations, je suis aujourd’hui confronté à la dure réalité du déplacement et de l’incertitude.»
«A Gaza, les rêves s’éteignent, disait-il. Chaque déplacement laisse derrière lui un autre fragment de nos âmes brisées. Les nuits, en particulier, sont sans merci : froides, impitoyables, remplies des cris angoissés des enfants qui ne connaissent que la peur et l’incertitude. J’avais autrefois de grands rêves, mais la guerre les a ruinés. Elle m’a beaucoup affectée, me rendant malade physiquement et mentalement. Je souffre de dépression et de perte de cheveux à cause du traumatisme constant auquel nous sommes confrontés. Le temps semble s’être arrêté à Gaza et nous sommes coincés dans un cauchemar sans fin.» L’étudiant affichait son espoir d’atteindre l’Egypte, proche, mais fermée aux Gazaouis.

Dans différentes publications, on le retrouve lunettes de soleil sur le nez, chemise sur les épaules, et guitare acoustique entre les mains. Sont également visibles des captures d’écrans de résultats scolaires en filière scientifique, d’admission à l’université, des messages de félicitation envoyés par des proches, la vidéo d’une remise de diplôme.

A partir de début 2024, Shaaban diffuse, en anglais, des appels au soutien, à dénoncer ce qu’il se passe à Gaza. Il partage une photo de sa maison détruite. Une autre de lui, souriant, avec sa famille au complet. Ou un selfie en mars, cathéter dans le bras au côté d’autres malades, quand il explique avoir été hospitalisé, et qu’on lui a diagnostiqué une hépatite.

Dans une vidéo diffusée le 17 mars, l’étudiant se filme à l’intérieur de sa tente, dans le même camp où il est mort dimanche. «Nous avons été déplacés cinq fois jusqu’à présent. Aujourd’hui nous sommes dans l’hôpital Al-Aqsa, au milieu de Gaza, à Deir al-Balah.» Derrière lui, le bourdonnement d’un drone israélien se mêle à sa voix. «Je prends soin de ma famille, comme je suis l’aîné […]. Nous vivons dans des conditions très difficiles, souffrant de différentes choses, comme le fait d’être sans abri, [d’avoir] peu de nourriture, et extrêmement peu de médicaments. La seule chose entre nous et les températures glaciales est cette tente, que nous avons construite.» Deux semaines plus tard, il filme une frappe sur un abri du même camp de réfugiés. La proximité de l’hôpital Al-Aqsa a été frappée sept fois depuis le début de la guerre, selon Médecins sans frontières.
Le jeune homme multiplie aussi les hommages à l’un de ses amis, visiblement tué à la fin du mois de septembre. Dans un message posté le 26 mai sur son compte Thread, il confie en arabe : «J’ai peur d’ouvrir ma pellicule et de voir une photo qui me montre avec un ami martyr. J’ai peur que leurs conversations me manquent et de vouloir tout oublier. La guerre m’a pris des amis qui étaient comme des frères pour moi, pas juste des gens dans ma vie. Non, non. Ils étaient des personnes présentes dans ma vie.»
Dans les interviews qu’il a données, son frère insiste pour mettre en avant la piété de Shaaban, qui d’après lui connaissait le Coran par cœur. Ce que reprennent de nombreux canaux palestiniens. C’est, toujours d’après lui, pour un concours de récitations que Shaaban s’était retrouvé à dormir avec ses amis dans une mosquée ciblée par un bombardement le 6 octobre autour d’1 heure du matin. Mohammed ne précise par le nom de la mosquée, mais celle adjacente à l’hôpital Al-Aqsa a effectivement été ciblée à l’heure et la date qu’il indique. D’après les autorités palestiniennes 19 personnes seraient mortes dans le tir. Shaaban racontait sa chance de s’en être sorti avec quinze points de suture derrière l’oreille.
- Photo : Shaaban al-Dalu, jeune étudiant gazaoui de 20 ans mort brûlé vif lors d’un incendie déclenché par un tir israélien dans la cour d’un hôpital le 13 octobre à Gaza. (DR)