Les Etats-Unis ont dépensé une vingtaine de milliards de dollars en soutien militaire à Israël depuis le 7 octobre 2023, soit un dixième, en une seule année, de l’aide accordée à l’Etat hébreu depuis sa fondation.
Plus le scrutin présidentiel se rapproche aux Etats-Unis, et plus les deux candidats rivalisent en engagements de soutien indéfectible à Israël, voire en assurances qu’un tel soutien sera encore accentué. Donald Trump se présente avec constance comme le meilleur allié qu’ait jamais eu Israël à la Maison Blanche, tout en multipliant les déclarations plus embarrassantes que convaincantes : les électeurs juifs qui ne voteraient pas pour lui « devraient se faire examiner la tête », et une victoire de l’actuelle vice-présidente signifierait la disparition d’Israël « au bout de deux ans ».
Mais Kamala Harris n’est pas en reste, elle qui martèle en toute occasion « le droit d’Israël à se défendre ». Certes, la candidate démocrate préfère insister sur « l’importante alliance entre le peuple américain et le peuple israélien » plutôt que d’évoquer le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, un partenaire historique de Donald Trump, et dont les relations avec le président Joe Biden sont notoirement tendues.
Il reste néanmoins peu probable que les Etats-Unis, quel que soit le vainqueur du scrutin du 5 novembre, réduisent substantiellement l’aide désormais colossale qu’ils accordent à Israël.
Un soutien de plus en plus massif
Les Etats-Unis ont été le premier pays à reconnaître Israël, quelques heures seulement après la proclamation de l’indépendance de l’Etat juif, en mai 1948. Mais on oublie trop souvent que, en dépit de ce soutien déterminant, Washington a longtemps refusé de prendre parti dans le contentieux né de la première guerre israélo-arabe, ainsi que de l’exode de quelque 750 000 réfugiés palestiniens.
C’est d’ailleurs la diplomatie américaine qui pousse, en décembre 1948, à l’adoption par l’Assemblée générale de l’ONU de la résolution 194, qui permet un « droit au retour » de ces Palestiniens, en leur proposant l’alternative entre le rapatriement et l’indemnisation. Et ce sont encore les Etats-Unis qui, un an plus tard, jettent les bases de l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée d’assister ces réfugiés palestiniens jusqu’au règlement d’un tel contentieux. Lors de la première occupation israélienne de la bande de Gaza, en novembre 1956, le président républicain, Dwight Eisenhower, exige et obtient le retrait inconditionnel des troupes israéliennes hors de l’enclave palestinienne, ainsi que de la péninsule égyptienne du Sinaï.
Il faut attendre juin 1964 pour qu’un premier ministre israélien, Levi Eshkol, soit officiellement reçu à la Maison Blanche, et ce par un président démocrate, Lyndon Johnson. C’est de cette époque que datent les premières livraisons militaires des Etats-Unis à une armée israélienne encore très largement équipée de matériel français. Une telle tendance s’accentue après la guerre de juin 1967 et l’occupation par Israël du territoire palestinien de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza, ainsi que du Sinaï égyptien et du Golan syrien.
C’est un véritable pont aérien américain qui permet à Israël d’absorber le choc initial de l’assaut syro-égyptien d’octobre 1973, puis de mener une contre-offensive fulgurante. Le démocrate Jimmy Carter, afin de conclure, en mars 1979, le traité de paix entre Israël et l’Egypte, engage les Etats-Unis à verser chaque année une aide militaire de 2 milliards de dollars à Israël (environ 1,8 milliard d’euros), un engagement honoré jusqu’à aujourd’hui. En 2016, c’est un autre président démocrate, Barack Obama, qui engage son pays à verser chaque année une assistance militaire de 3,8 milliards de dollars à Israël sur une durée de dix ans.
Une escalade à la fois financière et militaire
La différence majeure entre ces deux engagements à la fois financiers et militaires est que Jimmy Carter garantissait ainsi la première paix israélo-arabe, tandis que Barack Obama, malgré ses déclarations en faveur de la « solution à deux Etats », a mis dès 2011 le veto des Etats-Unis à l’admission de la Palestine aux Nations unies.
La Maison Blanche, quels que soient ses locataires depuis lors, a bel et bien abandonné toute volonté sérieuse de régler le conflit israélo-palestinien, se condamnant ainsi à être entraînée par Israël dans les crises qui ne manqueraient pas d’éclater du fait de l’impasse persistante sur un conflit aussi fondamental. Benyamin Netanyahou, en fin connaisseur de la scène politique américaine, a tiré le meilleur parti d’un tel rapport de force, gagé sur le soutien inconditionnel des « sionistes chrétiens », qui constituent le socle électoral de Donald Trump et contrôlent largement le Congrès. Et c’est pourquoi, malgré les fréquentes crispations entre Joe Biden et le chef du gouvernement israélien, l’escalade militaire de la guerre de Gaza, désormais étendue au Liban et, déjà ponctuellement, à l’Iran, s’est accompagnée d’une escalade parallèle du soutien américain à Israël en matière financière et militaire.
Un centre d’études de la prestigieuse université Brown, dans le Rhode Island, vient de chiffrer, dans la durée, le montant de l’assistance militaire à Israël, et ce en dollars constants. Il évalue à 251 milliards de dollars, corrigés de l’inflation, l’enveloppe totale de l’aide militaire versée par les Etats-Unis à l’Etat hébreu depuis 1959. II estime qu’au moins 23 milliards de dollars ont été dépensés par les Etats-Unis, depuis le 7 octobre 2023, soit en assistance militaire directe (près de 18 milliards de dollars), soit en opérations américaines de garantie de la sécurité d’Israël.
Ces chiffres, déjà vertigineux, n’incluent pas la centaine de livraisons militaires à Israël que l’administration de Joe Biden a réalisées en fractionnant les cessions pour contourner l’obligation légale d’une approbation par le Congrès. En outre, Joe Biden a proposé, en août, une enveloppe additionnelle de 20 milliards de dollars de fournitures militaires sur les années à venir, en sus des aides existantes et programmées, enveloppe qui doit encore être approuvée par le Congrès.
L’incapacité des Etats-Unis à obtenir ne serait-ce qu’un cessez-le-feu à Gaza, au bout de treize mois d’une guerre impitoyable, démontre malheureusement qu’une telle aide militaire à Israël ne fait qu’alimenter le conflit en cours.