J’ai été puni pour avoir utilisé le terme ‘génocide’ – mais il faut garder vivant l’espoir en la paix et en la justice en Israël et en Palestine.
Les mandats d’arrêt émis par la cour pénale internationale (CPI) contre le premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahou, et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant ont pris de nombreux membres de la communauté internationale par surprise. Comment se fait-il qu’une démocratie constitutionnelle perçue comme telle, liée par l’État de droit, dotée d’un pouvoir judiciaire supposé autonome, puisse prétendument se trouver dans une si grave violation du droit et des normes internationales ?
Pourtant, ceux qui ont observé, avec horreur et choc, le génocide qui se déroulait l’année dernière n’avaient pas besoin de la révélation par la CPI pour connaître l’étendue des crimes de guerre et des atrocités commises à Gaza. Les Palestiniens, dans les ruines de Gaza bombardée, en Cisjordanie occupée, ou à Jérusalem Est illégalement annexée, n’ont sans aucun doute pas été surpris. Depuis des décennies, génération après génération, les Palestiniens ont été privés de leurs droits et libertés fondamentales sous les auspices de l’occupation israélienne. Pour eux, l’idée d’un État de droit israélien est aussi absurde que toute tentative coloniale de légitimer la tyrannie grâce à une légalité creuse.
Ce même concept creux de légalité a maintenant été utilisé par le gouvernement d’Israël – pour justifier les masses de Palestiniens abattus à Gaza, le ciblage des hôpitaux et des centres médicaux, le blocage de la distribution de l’aide humanitaire et l’expulsion forcée des habitants du nord de Gaza. Quand la famine et la privation des besoins fondamentaux nécessaires à la vie humaine sont utilisées comme méthode de guerre pendant plus d’un an, quel autre mot que génocide peut-on utiliser pour décrire cette réalité ? Et en même temps se déroule une campagne de nettoyage ethnique continue en Cisjordanie, où plus de 20 communautés ont été expulsées de force dans un contexte d’escalade de la violence des colons. A cet égard, les mandats de la CPI sont trop réduits et trop tardifs.
Les Palestiniens n’ont pas été surpris, mais à dire vrai, les Israéliens non plus. Nous lisons et voyons les déclarations du gouvernement israélien, sans filtre et sans traduction. Nous savons que de grands ministres ont célébré l’assassinat d’innocents tandis qu’un autre a annoncé leur projet de vider plus de la moitié de la population afin de faire de la place pour des colonies juives dans les quelques prochaines années. Quand moi, membre de la Knesset, j’ai élevé la voix au parlement contre ces crimes, j’ai été durement puni. Je subis actuellement une suspension de six mois de toute activité parlementaire pour avoir utilisé le terme « génocide ». Le comité d’éthique a déclaré qu’il était arrivé à cette décision en se fondant sur le fait que j’aie utilisé le mot « génocide » et par opposition à de supposés crimes de guerre perpétrés à Gaza.
Dans la dystopie orwellienne du parlement israélien, ceux qui célèbrent des crimes de guerre sont considérés comme des héros, tandis que ceux qui se battent pour la justice sont persécutés en tant que traîtres. Ma punition est dans la suite de la persécution politique des opposants à la sale guerre et des critiques du régime sanglant de Netanyahou.
Je ne suis pas seul dans l’opposition à sa tyrannie. L’opposition politique conséquente à l’intérieur même d’Israël, constituée de citoyens juifs et arabes démocrates, trouve elle aussi absurde la notion de démocratie en Israël sous Netanyahou. La démocratie en Israël n’a jamais réellement existé, du fait de la définition de l’État d’Israël en tant que concept ethnique, antithétique de l’égalitarisme politique.
Un État qui déclare, selon ses lois fondamentales, un groupe politiquement supérieur à l’autre ne peut être considéré comme une démocratie, mais comme une ethnocratie. Depuis sa fondation, Israël a poursuivi une politique discriminatoire envers ses propres citoyens palestiniens dans toutes les sphères de la vie – logement, emploi, bien-être et éducation. Même la prétendue déclaration des droits israélienne, la loi fondamentale : Dignité et Liberté des êtres Humains, n’ose pas mentionner le droit à l’égalité.
Le gouvernement actuel de Netanyahou se distingue cependant de ses prédécesseurs en ce qu’il n’a aucune prétention à maintenir quelque illusion que ce soit de démocratie. Il est constitué du pire de la société israélienne, les ministres les plus vils, les bigots les plus racistes, les colons les plus messianiques, les fanatiques les plus criminels. « Le peuple juif possède le seul et inaliénable droit sur la totalité de la terre d’Israël, ‘Eretz Israel’, où le gouvernement développerait des colonies dans toutes ses parties, y compris la Judée Samarie », dit le premier point de son accord de formation de coalition. Ceci se passait avant les attaques du 7 octobre, que mes compatriotes et moi-même avons tous condamnées avec les mots les plus durs. Nous avons même dit que la totalité des atrocités de l’occupation ne peuvent justifier un massacre d’innocents aussi horrible que celui commis par le Hamas – mais de la même façon, que cet horrible massacre ne peut justifier le génocide commis par Israël à Gaza.
Actuellement, le gouvernement d’Israël construit, chaque jour qui passe, un État plus monolithique, plus violent et plus éhontément raciste. Sous prétexte de combattre le terrorisme, une législation visant à réduire la sphère démocratique est votée à vitesse accélérée. Professeurs, universitaires, étudiants, journalistes, travailleurs, tous sont visés, censurés et réduits au silence. Un projet de loi spécial pour empêcher les partis constitués spécialement d’Arabes citoyens d’Israël de participer aux élections nationales est actuellement en cours d’élaboration.
Des colons fanatiques attendent le feu vert pour réoccuper la Bande de Gaza, campant carrément de l’autre côté de sa frontière sans aucune intervention des forces de l’ordre. Les Palestiniens sont concentrés dans des enclaves de plus en plus petites qui sont ciblées par une force armée de plus en plus lourde. Le « plan décisif », tout d’abord conçu par le député Bezalel Smotrich, est en cours de réalisation tandis que Netanyahou poursuit son fantasme d’être le premier premier ministre israélien depuis des décennies à étendre le territoire de l’État. Pour pouvoir réaliser ce plan, il veut noyer la région tout entière dans des fleuves de sang, à la fois des Juifs et des Arabes, des Israéliens et des Palestiniens. Son gouvernement sacrifie les otages et ne voit pas de mal à abandonner tout espoir d’un cessez-le-feu total et de la paix.
Nous devons continuer de croire qu’une juste paix est possible et faire en sorte qu’on y arrive. Une fois que les gens sentent que la liberté et la justice sont proches, ils tendent alors à rejeter l’intolérance et le fanatisme et à adopter des solutions plus rationnelles et pacifiques. Ainsi, même le conflit le plus cinglant peut prendre fin.
Il faut aussi maintenir en vie l’espoir en Israël et en Palestine, mais cela ne devrait pas nous faire oublier la réalité de plus en plus sombre d’aujourd’hui. La communauté internationale doit comprendre que soutenir le gouvernement d’Israël va à l’encontre du soutien au peuple d’Israël. C’est notre gouvernement qui est le plus à craindre et dont nous devrions nous débarrasser. Si vous souhaitez vraiment ce qu’il y a de mieux à la fois pour les Palestiniens et les Israéliens, donnons nous les moyens de la paix et de la liberté, pas de la guerre et de la destruction.
- Dr. Ofer Cassif est un membre de la Knesset, représentant le Front Démocratique pour la Paix et l’Égalité (Hadash) depuis 2019.