Israël veut exproprier des terres dans le nord pour la ‘voie ferrée Afula-Jénine’

Le projet de prendre à peu près 1.700 dunams (environ 220 hectares) a été discuté mardi, mais l’Autorité Palestinienne n’a pas l’intention d’ouvrir une voie de chemin de fer au-delà de la Ligne Verte.

La Commission de Planification et de Construction du District Nord a étudié mardi l’opposition au projet de rétablissement de la voie ferrée qui fonctionnait autrefois entre Afula et Jénine. Le nouveau plan comprend une gare de transport du public, un grand terminal de fret et un poste frontière actualisé qui seraient construits sur environ 220 hectares au nord de la Ligne Verte, à côté du village arabe de Mukeibleh dans le Conseil Régional de Gilboa – la majeure partie de cette terre appartient aux villageois.

Les Chemins de Fer d’Israël et l’Administration de la Planification du ministère de l’Intérieur déclarent qu’il s’agit d’une infrastructure « d’importance stratégique pour l’avenir et le développement de la région » qui permettra ensuite « le transport de bagages depuis Haïfa et Afula vers une zone de travail en cours de construction au nord de Jénine ». Mais le planning de l’AP ne comporte aucune mention d’une voie ferrée qui relierait la ville au territoire israélien via Mukeibleh.

Les résidents du village disent : « Ils projettent d’exproprier plus de la moitié des terres du village au bénéfice d’un train qui n’ira nulle part. » Taisir al-Qasem, l’un des villageois, a ajouté que le but est d’expulser les résidents de Mukeibleh. Il a dit : « En tant que citoyen respectueux des lois, je suis désespéré. Le gouvernement nous piétine brutalement et cruellement et nous nous battons pour notre chez nous. Nous ne laisserons pas ce projet se construire, pour nous il s’agit d’un combat pour la survie. Dans ce combat, il ne s’agit pas d’un morceau de terre, mais de l’avenir de nos enfants et de notre communauté. »

La voie ferrée entre Afula et Jénine a été construite en 1912 dans un projet coopératif entre la Turquie et l’Allemagne. Dans la discussion, il y a une première section qui fait partie des chemins de fer de Samarie, qui s’est poursuivie jusqu’à Naplouse et Tul Karem et était supposée arriver jusqu’à Jérusalem, mais qui n’a pas été achevée. Le chemin de fer a fonctionné, de moins en moins fréquemment, jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Au cours des années, les voies ont été démantelées et d’autres bâtiments ont été construits à leur place. Cependant, on peut encore trouver dans la zone des restes de plusieurs gares. Le projet de renouvellement de la voie ferrée existe depuis de nombreuses années et, d’après l’administration de la planification du ministère de l’Intérieur, pour un investissement de millions de shekels.

D’après les explications écrites qui accompagnent le projet, la nouvelle ligne est destinée à relier un terminal de fret qui doit être construit à côté de Mukeibleh, se poursuivre « le long du trajet historique des chemins de fer turcs » et rejoindre la Voie ferrée (de la Vallée) du Ha’emek, à environ deux kilomètres d’Afula. Cette connexion permettra de prolonger le trafic vers l’Est en direction de Beit She’an « et, au delà, vers le Jourdain dans une future connexion », ainsi que vers l’Ouest jusqu’au port de Haïfa.

D’après les explications, ce projet est fondé sur « la politique du ministère des Transports, qui veut renforcer la connexion ferroviaire entre l’AP, la Jordanie et le port de Haïfa. Par conséquent, le projet de voie ferrée est lié au projet d’une zone industrielle construite dans une initiative internationale sous la compétence de l’AP ».

Il s’agit de la zone industrielle au nord de Jénine, qui a été créée et développée ces dernières années en coopération avec la Turquie et l’Allemagne. A côté du terminal de fret, un gare de voyageurs sera construite à Mukeibleh et une zone sera réservée au déplacement du poste frontière de Gilboa (Jalama) qui conduit aux zones de l’AP.

Le complexe de Mukeibleh est prévu pour se relier au train qui part de Jénine, selon un plan directeur régional (partiel) pour les chemins de fer de Judée et Samarie, que l’Administration Civile a déposé il y a 12 ans, mais qui ne l’a pas fait avancer depuis. « Ce projet n’a aucune validité, n’est ni légal ni planifié », ont écrit les résidents du village dans l’objection soumise par les organisations à but non lucratif, Adalah, Centre Juridique pour les droits de la Minorité Arabe d’Israël, et Bimkom. « Le projet n’a même pas été déposé pour objections par ce que la coordination, prévue comme condition, n’a pas été faite », faisant référence à l’AP et d’autres. La dernière audience sur le projet a eu lieu en juillet 2013, et l’objection déposée par les résidents faisait remarquer que « selon tous les critères logiques, ce document doit être considéré comme une ébauche classée et rien de plus … on ne doit donner aucun poids quel qu’il soit [à ce projet] ni faire de projet d’après lui ».

Un manque de coordination à trois niveaux

Le système palestinien de planification propose lui de relier le train depuis Jénine et le Train de la Vallée – mais à un endroit différent, beaucoup plus loin que la connexion voulue par Israël. « Un avancement unilatéral du projet israélien, sans coordination avec l’AP et en opposition à ce qu’elle a projeté, pourrait très bien s’élever au niveau d’une violation du droit international », a déclaré l’objection. « Parce qu’un doute s’est élevé quant à savoir si ce projet est au profit de la population locale, comme requis pour les actions de la force occupante, ou s’il sert peut-être d’autres objectifs. » D’après l’accord de coalition entre le Likoud et le parti Sioniste Religieux, le Sionisme Religieux obtiendra « toute responsabilité sur les zones d’activité » de l’Administration Civile.

Par ailleurs, la voie du nouveau train entre en conflit avec d’autres projets déjà approuvés, parmi lesquels seront construites, à côté de la zone industrielle palestinienne, une centrale électrique et une raffinerie de gaz qui seront alimentées par un pipeline venant de l’intérieur d’Israël. « Le manque de coordination entre les trois systèmes de planification fonctionnant dans la région – l’israélien à l’intérieur de l’État d’Israël, l’Administration Civile en Zone de Cisjordanie et l’Autorité Palestinienne – a conduit à une situation où les infrastructures se font mutuellement obstacle. Ce qui veut dire que le plan directeur pour la Judée Samarie n’est pas possible », déclare l’objection des résidents.

Il y a environ 4.300 résidents à Mukeibleh. Le projet exproprierait à peu près 55 % de la terre qui leur appartient au profit de la gare, du terminal de fret et du futur poste frontière. Dans une audience de 2020, le représentant du ministère de la Défense a admis qu’il n’était pas facile de savoir si et quand le poste frontière serait déplacé sur une nouvelle zone – en partie parce qu’il n’existe aucun accord avec l’AP à ce sujet.

Taisir al-Qasem a dit que Mukeibleh n’a aucune réserve de terres et que ce projet transforme le village en une communauté en état de siège. « Ils nous ont transformés en ghetto, en camp de réfugiés. A l’est, au nord et au sud, nous sommes empêchés d’expansion et maintenant, il ne nous reste que l’ouest. C’est une politique calculée par le gouvernement. » En conséquence de l’expropriation planifiée de la terre du village, il peut y avoir des litiges fonciers en interne – qui pourraient même aboutir à de la violence, a-t-il ajouté.

Al-Qasem père de quatre enfants, a dit que le village souffre d’une grave pénurie de logements, les jeunes ne peuvent rester et y construire des maisons, aussi certains partent pour trouver un logement dans d’autres villes. « Ce projet empêchera de construire ne serait-ce qu’un mètre à l’avenir. On a l’impression que ceux qui soutiennent ce projet veulent plonger Mukeibleh dans les affres du crime et de la violence. Et après, ils se mettront à parler de la violence dans la communauté arabe – même alors que c’est eux qui la génèrent. Je veux encore croire qu’il s’agit réellement d’un projet national, et je ne m’y oppose pas. Mais il faut peser les choses de façon proportionnée. Vous ne pouvez pas fouler aux pieds toute une communauté où vivent 5.000 personnes et lui faire payer le prix total du projet. »

La ministre des Transports Merav Michaeli s’est également opposée au projet. « L’importance de l’emplacement exact de la voie dépend aussi de l’importance de la connexion avec l’infrastructure qui doit être construite de l’autre côté du poste frontière », explique-t-elle dans son rejet. Dans une autre lettre, Michaeli a écrit que la réponse du comité « soulève la crainte qu’une attention suffisante ne soit pas apportée aux objections et à l’examen de solutions plus exhaustives ». Le chef du Conseil Régional de Gilboa, Oved Nur, a rejoint cette objection. Il a prévenu dans le passé de « lourds dommages » pour Mukeibleh.

Myssana Morany, avocate chez Adalah, a dit que la nouvelle voie « a été présentée aux autorités de planification comme utile dans le but de faire circuler les marchandises, dans le cadre de l’accomplissement de la vision utopique d’un nouveau Moyen Orient. Mais elle sera incapable de se relier à aucun projet de voie ferrée en Cisjordanie – ni celui que l’Administration Civile a mené de son côté, ni celui officiel de l’Autorité Palestinienne ».

Cesar Yeudkin de Bimkom a dit que le projet proposé « ne s’accorde pas à la réalité sur le terrain, et fera du tort aux résidents de Mukeibleh. Nous espérons que les institutions de planification reviendront à la raison et annuleront la voie proposée en faveur d’une alternative plus équilibrée ». Bimkom a dit que le comité donnerait sa décision dans les quelques jours à venir.

L’Administration de Planification a dit : « C’est un projet dans sa phase d’objections et nous ne pouvons faire de commentaires. »