Israël-Palestine : le grand silence de Macron

Encore une fois, Emmanuel Macron a manqué l’occasion de faire observer au premier ministre israélien Benyamin Netanyahou que tout le monde n’approuve pas son alliance avec l’extrême droite raciste, son refus de négocier avec les Palestiniens, ses projets d’annexion et l’orientation autoritaire qu’il entend donner à l’État d’Israël.

AbbaAbba Eban, politicien travailliste israélien qui fut, de 1966 à 1974, ministre des affaires étrangères de son pays, avait, paraît-il, l’habitude de dire que « les Palestiniens ne manquent jamais une occasion de manquer une occasion ».

Dans les relations franco-israéliennes, la même formule pourrait s’appliquer à Emmanuel Macron. Car le président français ne manque jamais une occasion de manquer l’occasion de dire au premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ce qu’il devrait entendre de la bouche d’un chef d’État ami d’Israël. D’un chef d’État parlant au nom de la France, attaché – en principe – au respect des droits humains et du droit international, et en particulier des résolutions des Nations unies et des Conventions de Genève.

On avait déjà pu le déplorer en novembre lorsque Emmanuel Macron avait été l’un des premiers à féliciter Netanyahou pour sa victoire sans le mettre en garde sur les périls que représentait, pour la démocratie israélienne, pour les perspectives de paix avec les Palestiniens, et donc pour les relations entre Israël et ses amis, son alliance avec l’extrême droite suprémaciste.

Une visite très discrète

C’est encore ce qu’on a pu constater jeudi lors de la visite à Paris du premier ministre israélien, désormais chef du gouvernement et de la coalition les plus à droite, les plus religieux et les plus racistes de l’histoire de l’État d’Israël.

Improvisée à l’initiative de Benyamin Netanyahou, cette visite très discrète a été organisée au lendemain de l’attentat qui a fait sept morts, le 27 janvier, à proximité d’une synagogue non pas de Jérusalem, mais de Neve Yaacov, une colonie en majeure partie peuplée de religieux, à la périphérie de la ville. Attentat qui faisait suite à un raid lancé la veille par l’armée israélienne dans la ville palestinienne de Jénine, au cours duquel dix Palestiniens avaient été tués.

Cette opération, la plus meurtrière depuis 20 ans en Cisjordanie, arrivait au terme d’un mois au cours duquel au moins 29 Palestiniens – un par jour – avaient été tués par l’armée israélienne. Au cours d’une conversation téléphonique avec le premier ministre israélien deux jours après l’attaque de Neve Yaacov, Macron avait « condamné cet attentat abject ».

Il a de nouveau fait part à Benyamin Netanyahou, lors du « diner de travail » donné jeudi à l’Élysée, de la « solidarité pleine et entière de la France, après l’attaque ignoble » à proximité de la synagogue. Il a aussi, selon le communiqué publié vendredi par la présidence, « rappelé l’importance d’éviter toute mesure susceptible d’alimenter l’engrenage de la violence qui a déjà fait trop de victimes innocentes parmi les civils palestiniens et israéliens ».

En fait, selon le centre israélien des droits de l’homme B’Tselem, les forces israéliennes ont tué en 2022, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, 146 Palestiniens (le bilan le plus lourd depuis 2004), dont cinq femmes, 34 enfants (le plus jeune avait 12 ans) et sept hommes de plus de 50 ans (le plus âgé avait 78 ans). Huit Palestiniens ont été tués dans des « incidents » où des soldats et des civils israéliens armés étaient impliqués, et 32 autres ont trouvé la mort dans la bande de Gaza.

Du côté israélien, 17 civils et 4 membres des forces de sécurité ont été tués en 2022.

Un silence choquant

Sur les « mesures susceptibles d’alimenter l’engrenage de la violence » qu’il importe aujourd’hui d’éviter, Emmanuel Macron s’est montré très discret. Le communiqué de l’Élysée rappelle l’opposition de la France « à la poursuite de la colonisation, qui sape les perspectives d’un futur État palestinien autant que les espoirs de paix et de sécurité pour Israël ». Rappel utile au moment où les statistiques officielles israéliennes révèlent que le nombre des colons atteint le demi-million en Cisjordanie – une progression de 16 % en cinq ans – et dépasse 200 000 à Jérusalem-Est.

Mais discours aussi rituel que vain, qui relève de l’incantation quand il n’est accompagné d’aucun rappel du droit et d’aucune proposition ou menace de sanction. Et quand il « oublie » de mentionner l’occupation militaire des territoires palestiniens, laquelle permet cette « poursuite de la colonisation ».

Le silence d’Emmanuel Macron sur ces points, aussi bien dans les propos tenus à table face au premier ministre et rapportés par les témoins que dans les communiqués officiels, est d’autant plus choquant – voire inacceptable pour les Palestiniens – que l’occupation, la colonisation et l’annexion des territoires palestiniens sont au cœur du programme politique de la coalition au pouvoir. Et constituent le ciment de l’alliance conclue entre Netanyahou et ses deux alliés de l’extrême droite nationaliste et religieuse, Itamar Ben-Gvir, aujourd’hui ministre de la sécurité, et Bezalel Smotrich, ministre des finances, partenaires indispensables de son projet de réforme de la justice.

Essentiellement destiné à permettre au premier ministre, poursuivi pour « corruption », « fraude » et « abus de confiance », d’échapper à ses juges, cette réforme menace de détruire le pouvoir de la Cour suprême, unique contre-pouvoir institutionnel du gouvernement. Le danger que constitue cette réforme pour le maintien de l’État de droit et de la démocratie est à l’origine des manifestations massives et des protestations d’économistes, de juristes qui se multiplient dans le pays depuis un mois.

Lors de sa visite en Israël et dans les territoires palestiniens, il y a une semaine, le secrétaire d’État américain Antony Blinken n’a pas hésité, lors de la conférence de presse tenue aux côtés de Netanyahou, visiblement crispé et mal à l’aise, à rappeler que « les relations entre les États-Unis et Israël sont fondées sur des intérêts et des valeurs partagées : les principes fondamentaux et les institutions de la démocratie, le respect des droits humains, une justice égale pour tous, des droits égaux pour les groupes minoritaires, le règne de la loi, une presse libre et une robuste société civile ».

En d’autres termes, si ces principes sont bafoués, nos relations ne pourront pas ne pas en être affectées. Il avait aussi souligné, à l’intention du puissant clan des colons au sein de la coalition, « l’opposition des États-Unis au développement des colonies, aux projets d’annexion, aux démolitions et au changement de statut des Lieux saints ». Et en réponse aux ennemis de la solution à deux États qui entourent Netanyahou, il avait tenu à répéter que « le président Biden reste convaincu que pour que les Palestiniens et les Israéliens puissent bénéficier de manière égale de la sécurité, de la liberté, de la justice, de la confiance dans l’avenir et de la dignité auxquelles ils ont droit, il n’y pas d’autre moyen que de mettre en œuvre notre vision : deux États pour deux peuples ».

Emmanuel Macron, pour des raisons obscures, car jusqu’à présent sa stratégie diplomatique au Proche-Orient n’a pas débouché sur des succès spectaculaires ni permis des percées historiques, a choisi de continuer à ménager le premier ministre israélien.

Alors que Netanyahou n’a toujours pas été invité à Washington depuis qu’il a repris la tête du gouvernement et que son voyage aux Émirats a été reporté (ce devait être, symboliquement, la première visite à l’étranger de son nouveau mandat), c’est donc pour Paris qu’il s’est envolé. Peut-être, avance un diplomate israélien qui se dit « effaré par les embardées idéologiques » de son premier ministre, « parce que Macron a un tel désir ou besoin d’exister sur la scène internationale qu’il est prêt à accueillir n’importe qui ».

Selon Le Monde, le président français aurait, au cours du dîner, « exprimé sans détour ses craintes face à la réforme de la justice voulue par Netanyahou et ses partenaires du gouvernement ». Il aurait aussi mis en garde contre une évolution institutionnelle qui « dégagerait Israël d’une conception commune de la démocratie ».

Mais de cela il n’est pas question dans le communiqué officiel de l’Élysée. Non plus que d’autres sujets qui auraient pu fâcher, comme les punitions collectives contre les Palestiniens, l’expulsion récente de l’avocat franco-palestinien Salah Hammouri ou le refus d’ouvrir une enquête crédible sur les conditions de la mort de la journaliste palestinienne Shirin Abou Akleh, tuée par l’armée israélienne à Jénine en mai 2022 – enquête qu’Emmanuel Macron avait demandée au premier ministre israélien du moment, Naftali Bennett.

Il y aura bientôt vingt ans, le ministre des affaires étrangères français Dominique de Villepin prononçait devant le Conseil de sécurité un discours vibrant pour expliquer l’opposition de la France à l’intervention militaire internationale contre l’Irak. Il invoquait alors le « vieux pays, la France », au nom duquel il s’exprimait, « debout face à l’histoire et devant les hommes ».

Aujourd’hui, le jeune président de ce vieux pays reçoit à sa table un politicien corrompu et cynique qui a déjà transformé l’État des rescapés du génocide en un régime d’apartheid, et qui s’apprête à détruire ce qu’il reste des institutions démocratiques d’Israël pour échapper à la justice.  

René Backmann