Permettre au gouvernement de décider ce qui constitue une cible légitime de contestation est une énorme menace pour la démocratie au Royaume Uni.
Vous ne pouvez pas gagner sur les deux tableaux. Vous ne pouvez pas vous plaindre de la « culture de l’annulation » [cancel culture] et censurer par ailleurs ce qu’on a le droit de contester.
Le projet du gouvernement conservateur britannique d’interdire aux conseils municipaux et autres instances publiques de participer aux campagnes de boycott et désinvestissement n’est que la dernière attaque illibérale sur les normes démocratiques. Et, comme une si grande partie de son récent agenda, dont ses nouvelles règles sur l’identification des électeurs, cela a été directement importé de droite marginale des États-Unis.
La possible mise hors-la-loi de boycotts pacifiques de violations des droits de l’homme est non seulement une attaque contre la liberté d’expression, mais un rétrécissement du champ démocratique ; une tentative pour faire taire les dissidents, pour dire que seul le récit du gouvernement est acceptable. Et le récit du gouvernement britannique sur Israël est celui d’un bon ami.
Pourtant, la poursuite de l’occupation militaire des terres palestiniennes par Israël est une balafre au cœur de la dignité humaine. Les violations quotidiennes des droits de l’homme contre les Palestiniens sont presque impossibles à compter. Il semble qu’il y ait quotidiennement des rapports sur une punition collective, des assassinats, et l’expropriation continue de la terre et des ressources en eau palestiniennes.
Cibler les familles innocentes de ceux qui résistent à l’occupation brutale israélienne est une violation des droits de l’homme. Démolir leurs maisons est une violation des droits de l’homme. Chasser des familles palestiniennes de leur logement afin d’y installer des résidents israéliens est une violation des droits de l’homme. Lancer sur Gaza des offensives militaires de plusieurs jours qui tuent des civils est une violation des droits de l’homme.
Le blocus de 15 ans sur la Bande de Gaza, où vivent deux millions de personnes, est une violation des droits de l’homme. La détention administrative, qui enferme des gens sans charge ni procès de façon indéfiniment renouvelable, est une violation des droits de l’homme. La démolition -pour la 211ème fois- du village bédouin d’al-Araqib dans le désert du Negev, c’est, devinez quoi ? Une violation des droits de l’homme.
Vous devez être en mesure de dire qu’il s’agit de violations, et qu’elles sont inacceptables, et qu’elles sont très anciennes et structurelles, et que le gouvernement israélien impose un régime d’apartheid. Et vous devez être en mesure d’appeler à un changement. C’est ainsi que l’on sait que l’on vit dans une démocratie.
Apartheid
Alors, comment pouvons-nous protester ? Si l’on exclut la violence, comment pouvons-nous changer les choses ?
Écrire à votre député est une mauvaise idée s’il fait partie du quart des députés travaillistes ou des 80 % des députés conservateurs qui sont membres des lobbies des Amis d’Israël dans l’enceinte du parlement.
Cependant, l’espace pour les manifestations traditionnelles de rue semble se rétrécir chaque semaine, parallèlement à la criminalisation de toute manifestation d’« action directe ». Pour l’essentiel, n’importe quelle manifestation (ou grève, à cet égard) qui cause le moindre inconvénient à quiconque est de plus en plus interdite.
Alors, quelle tactique de campagne a-t-elle fait ses preuves ? Boycott, Désinvestissement et Sanctions. Elle a marché en Afrique du Sud, elle peut marcher en Israël. La campagne BDS est un mouvement populaire conduit par les Palestiniens qui appelle à agir en faisant pression sur Israël pour qu’il se conforme au droit international. Centré sur la non-violence, il a réuni syndicats, églises, associations communautaires et académiques tout autour du monde.
Israël dit que c’est antisémite de cibler « l’État juif » alors que ses voisins arabes exécutent des gens et oppriment les femmes. Il déclare aussi que la campagne BDS essaie de « délégitimer » Israël en mettant sur le même plan son apartheid et celui de l’Afrique du Sud.
Il est vrai que l’Égypte et Dubaï par exemple, sont toutes deux des États policiers, mais il existe peu d’appels internationaux pour empêcher les touristes britanniques de s’y rendre en masse.
Attention, aucune d’entre elles ne se décrit comme « la seule démocratie du Proche Orient », ni n’apparaît à l’Eurovision (pilier de la culture libérale européenne contemporaine). Elles n’ont pas non plus emprisonné une population indigène tout entière, imposé un régime militaire d’oppression, volé les ressources, et interdit le retour des réfugiés sur une période de plus de 50 ans. Elles ne reçoivent pas non plus 3.8 milliards de dollars, principalement en aide militaire, de la part des États Unis – tous les ans.
Effrayant
Boycotter, c’est se désengager de l’économie d’Israël, ainsi que de ses institutions cultuelles, académiques et sportives. Cela signifie également retirer son soutien aux sociétés multinationales qui renforcent l’occupation israélienne en installant des usines dans le territoire occupé.
Le désinvestissement se concentre sur la nécessité de retirer ses investissements des institutions financières et corporatives, tandis que l’appel à des sanctions est une demande faite aux gouvernements de se conformer à leurs obligations selon le droit international et d’interdire tout partenariat commercial, culturel et militaire et tout commerce.
Et il ne serait pas nécessaire de légiférer contre si ça ne marchait pas.
En 2021, le Conseil municipal de Lancaster a voté son soutien à BDS et a exhorté le fond de pension du conseil général à désinvestir les 8 millions de dollars dont on savait qu’ils étaient liés aux colonies illégales de Cisjordanie.
Le Conseil municipal de Leicester, le Conseil municipal de Swansea et le Conseil de Gwynedd ont tous été accusés de discrimination antisémite par l’organisation caritative Jewish Human Rights Watch (Observatoire Juif des Droits de l’Homme) après qu’ils aient imposé un boycott des produits israéliens. Toutes les réclamations ont été rejetées par la Cour Suprême.
Les projets du gouvernement pour empêcher les organismes publics britanniques de boycotter Israël seront bientôt présentés au parlement, a révélé cette semaine le Financial Times. Ce projet de loi empêchera les conseils municipaux, ou tout autre organe public, de prendre n’importe quelle décision de boycott « qui ne soit pas en phase avec la politique commerciale étrangère ou économique du gouvernement britannique », d’après Droit au Boycott, coalition de 60 syndicats, ONG et groupes communautaires.
C’est effrayant, mais les priorités de ce gouvernement Conservateur deviennent plus claires. Tandis que le précédent gouvernement Tory (en ignorant Liz Truss, comme nous le devrions tous) était résolu à faire passer le Brexit, avec peu de considération pour le tact, les conséquences ou même la compétence élémentaire, le but des Conservateurs de Rishi Sunak, c’est d’installer et de protéger les riches et les puissants, tout en accélérant un autoritarisme de plus en plus répressif visant le reste d’entre nous.
Répression des manifestations
Le projet de loi anti-BDS fait suite à la Loi inhumaine sur la Nationalité et les Frontières, qui criminalise les demandeurs d’asile et promet de les envoyer au Rwanda.
L’été dernier, juste avant le sacre de Sunak, la Loi sur la Police, le Crime, les Peines et les Tribunaux a été adoptée, accordant de nouveaux pouvoirs considérables à la police et notamment la répression des manifestations. Cela a fait suite à la loi sur les « Flics Espions » de 2021, qui accordait l’immunité aux agents infiltrés, et la Loi sur les Opérations Outremer (2020), qui a dans les faits légalisé la torture.
Le fil conducteur ? Étrangler tout défi à l’encontre du gouvernement britannique, étouffer toute tentative de le tenir pour responsable, lui et ses institutions – pierre angulaire de la vie en démocratie.
Il faut s’opposer à cette loi anti-boycott, pas uniquement parce que le mouvement BDS est une réponse véritablement mondiale de solidarité envers la société civile palestinienne et son appel à empêcher Israël de poursuivre ses violations des droits de l’homme, mais parce que nous ne pouvons pas laisser notre gouvernement décider qui ou quoi est – ou n’est pas – une cible convenable de manifestation.
C’est un droit fondamental de décider par vous même avec qui vous n’êtes pas d’accord. Vous pouvez ne pas être d’accord avec cela, bien sûr. Nous priver de ce droit ne peut être autorisé.
Nous devons boycotter Israël jusqu’à ce qu’il mette fin à l’occupation, mette fin au régime d’apartheid et commence à se comporter comme un État qui respecte les droits de l’homme.
Et combattre toute législation qui nous dit que nous ne le pouvons pas.