Rashida Tlaib a contrecarré la tentative d’Israël de s’attribuer le mérite d’ « un geste humanitaire » particulier. Elle en a peut-être payé le prix en tant que petite-fille, mais elle a aussi empêché que se crée un nouveau précédent dans la loi d’Israël sur le boycott.
Israël s’est félicité un peu vite de l’accord apparent de Rashiba Tlaib, élue du Congrès US, de faire une demande à titre humanitaire pour aller rendre visite à sa grand-mère très âgée en Cisjordanie, en s’engageant à ne pas promouvoir le BDS et à « respecter toutes les restrictions » durant la visite.
Peut-être est-ce dû à la lettre humiliante qui a été divulguée à la presse, ou à l’annonce enthousiaste au nom de « sources officielles » israéliennes disant qu’elle était « forcée de se soumettre aux conditions qu’Israël avaient imposées à l’avance », ou peut-être à la pression politique dans son pays – mais Tlaib a très vite précisé qu’elle n’accepterait en fait aucune des restrictions qu’Israël lui imposait comme conditions pour sa visite, même si cela signifiait de ne pas revoir sa grand-mère de 90 ans – un lourd prix personnel.
Ainsi, Tlaib déjouait les efforts du gouvernement israélien qui voulait faire étalage d’un « geste humanitaire » particulier à son égard, tentant ainsi d’atténuer quelque peu les critiques sévères contre sa décision de ne pas l’autoriser avec sa collègue élue au Congrès, Ilhan Omar, à venir dans le pays et ce, à la demande du Président US Donald Trump, leur rival politique.
Si elle avait choisi de venir en respectant ces restrictions, beaucoup de ceux qui déjà sont particulièrement réticents à lutter contre le gouvernement Netanyahu au-delà de molles condamnations sur Twitter auraient pu s’y accrocher. Par exemple, l’organisation pro-israélienne AIPAC et les membres de l’aile la plus conservatrice du Parti démocrate, comme Joe Biden, et certainement des Républicains qui, comme Marco Rubio, se sont prononcés jeudi contre l’interdiction à ces élues du Congrès – tous auraient pu, si elle était venue, se dire que la moitié du problème était résolu « avec une fin heureuse ». Ils auraient pu dire qu’il n’y avait aucun besoin de changer le paradigme général concernant Israël. Les Israéliens qui pensaient que le problème dans cette affaire était principalement lié à une réputation, auraient pu également pousser un signe de soulagement.
Maintenant, il y a ceux dont les conclusions du drame vont se concentrer sur l’embarras causé à Netanyahu (et à son ambassadeur à Washington, Don Dermer), qui ont zigzagué et s’en sont sortis pareils à une marionnette de Trump. D’autres prétendront que ce sont tous les politiciens qui en fait ont gagné, car ils y ont obtenu l’attention dont ils se nourrissent.
Toutes ces conclusions dans l’immédiat ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Quand vous regardez l’histoire du contrôle israélien des territoires palestiniens, il faut vous rappeler que la question principale est toujours le système et les gens ordinaires qui en sont affectés, et non les politiciens et leurs exploits. La mise en application de la loi récemment adoptée qui permet d’interdire l’entrée du pays à ceux qui soutiennent le boycott d’Israël est de plus en plus étoffée et affinée par chaque dossier et chaque précédent. La capitulation de Tlaib, avec la promesse explicite, sur un document officiel du Congrès portant sa signature personnelle, qu’elle « respectera toute restriction », aurait constitué de sa part une reconnaissance tacite des conditions de la loi, d’une manière qui aurait servi de précédent dans les futurs dossiers, contre les militants politiques d’origine palestinienne ou d’autres qui ne bénéficient pas du statut élevé de Tlaib.
Jusqu’à présent, beaucoup de ceux qui n’ont pu entrer en Israël ont refusé de publier à l’avance une déclaration officielle selon laquelle ils acceptaient toutes les conditions et restrictions israéliennes à leur liberté d’expression avant leur atterrissage. Lara Alqasem – même si sa situation était complètement différente – a décidé de se battre pour son visa d’étudiante devant les tribunaux à tous les niveaux. Dans une situation plus difficile, à un certain stade il lui a été vivement conseillé d’adresser une lettre publique au ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan, disant qu’elle s’opposait au mouvement de boycott. Alors que les conditions du visa de Lara Alqasem incluaient déjà la restriction qu’elle n’apporterait aucun soutien public au boycott d’Israël, et que, dans son procès, elle avait également déclaré qu’elle n’était pas une militante majeure dans le mouvement, malgré cela elle n’a pas fait le choix de rédiger cette déclaration, exigée par Erdan, comme un raccourci dans son combat, mais celui de poursuivre sa procédure juridique jusqu’à la Cour suprême.
Si donc Tlaib avait choisi de venir dans le cadre d’un tel engagement préalable, elle aurait confirmé ce qu’Israël en fait cherche à établir : que les Palestiniens et leurs descendants peuvent aussi être tenus d’observer les restrictions politiques quand ils viennent rendre visite à des parents en Cisjordanie, et que l’entrée dans les territoires de l’Autorité palestinienne est un privilège, pas un droit.
Au lieu d’une visite officielle en tant que membre important du Congrès US, avec l’immunité pour dire tout ce qu’elle veut sur la réalité telle qu’elle la voit, Tlaib a été priée de plaider en tant que descendante de Palestiniens, citoyenne privée, au bon vouloir des autorités en Israël de l’autoriser à voir des parents, tout en acceptant la censure politique. Israël mettait ainsi Tlaib devant un choix particulièrement cruel : les principes, ou la famille.
En plus de tout cela, une décision par Tlaib de se présenter seule aurait aussi été perçue comme un manque de solidarité envers sa collègue, Omar, qui est toujours interdite d’entrer car elle manque d’une grand-mère âgée dans les territoires, ou de la volonté de renoncer à sa liberté d’expression politique.
Il est possible que Tlaib ait adressé sa demande à titre humanitaire d’abord parce qu’il était vraiment plus important pour elle de voir à tout prix, pour la dernière fois, sa grand-mère d’un grand âge. Ou peut-être qu’au début, elle ou ceux qui l’entouraient ont tout simplement pensé que ces conditions n’étaient que de simples mots, qui de toute façon ne seraient pas appliquées, puis qu’ils l’ont regretté à cause des critiques. Après tout, qu’aurait fait Israël si Tlaib avait fait la promotion du boycott durant sa visite ? Est-ce que des soldats l’auraient traînée en détention ? Elle, un membre du Congrès, et devant le monde entier ? Et si elle avait fait la promotion d’un boycott, plus tard, après son retour aux États-Unis ?
De toute manière, la décision de ne pas venir a, pour l’instant, évité que ne se crée un nouveau précédent dans l’application de la loi sur le boycott : une déclaration officielle préalable, comme condition pour l’obtention d’un visa. Tlaib la petite-fille a perdu, Tlaib la militante politique a gagné, et le système va maintenant passer au dossier suivant.