Depuis des années, c’est le même drame qui se joue dans les collines, au sud de la ville d’Hébron. Masafer Yatta est une zone semi-désertique qui abrite une communauté de Palestiniens. Ils vivent principalement de l’agriculture et de l’élevage. Leurs maisons sont régulièrement détruites par l’armée israélienne, qui a décrété leurs terres zone d’entraînement militaire. Démolition, reconstruction, un acte de résistance, mais pour combien de temps encore ? L’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement de droite en Israël, fait craindre le pire aux habitants. Ils redoutent d’être définitivement chassés de la région.
Le petit 4×4 file à toute allure sur le chemin de terre rocailleux. À son bord, trois militants anti-occupation. Deux sont Israéliens, le troisième, Bassel Adra est Palestinien. Depuis son village, il a aperçu les voitures de l’administration israélienne se diriger vers le hameau voisin. Avec ses compagnons, ils ont décidé de les suivre : «Ce n’est jamais bon signe lorsqu’on les voit. Pour nous Palestiniens, leur présence signifie qu’ils sont venus délivrer des ordres de démolition, d’expulsion ou de saisie. Parfois, ils nous disent aussi que telle ou telle zone est en fait une zone archéologique protégée. Que nous, Palestiniens, risquons de détruire ces sites archéologiques ».
Bassel Adra et ses camarades ont beau se dépêcher, ils arrivent trop tard. Les fonctionnaires de l’administration israélienne, protégés par l’armée, sont déjà repartis. En quelques minutes, ils ont placardé un avis de démolition sur la porte de Mohamed Mamdouh.
L’éleveur le découvre, impuissant : « J’étais en train de nourrir mes animaux, les soldats sont arrivés et ont demandé à ma femme et nos enfants de sortir de la maison. Ils ont collé cette feuille sur la porte d’entrée. Voilà le document : il est écrit en arabe, et en hébreu. Ils disent que j’ai 96 heures pour détruire moi-même ma maison. Donc dans quatre jours, si je n’ai pas détruit ma maison, ils viendront la raser, et me feront payer les frais de démolition. Ils considèrent que ma maison a été construite illégalement, alors que je suis propriétaire du terrain. Ils disent que la terre,ici, appartient à Israël, alors qu’elle est dans notre famille de père en fils. Et je compte bien la léguer un jour à ma fille, ou à mon fils, si un jour, j’en ai un ».
Moahmed Mamdouh a construit sa maison, il y a quatre mois à peine. Avec sa femme et leurs quatre filles, ils vivaient jusque-là sous une tente.
Dans cette région de Cisjordanie occupée, c’est Israël qui décide de délivrer ou non, les permis de construire. Mais l’État hébreu a décrété cette région, zone de tirs pour son armée. « C’est un simple prétexte pour chasser les Palestiniens de leurs terres », explique le berger. Car en même temps, les colonies israéliennes ne font que s’étendre dans la région. « J’ai construit cette maison, parce que je voulais mettre mes filles à l’abri. Mon aînée n’a que six ans. Mais l’occupation israélienne est sans pitié. Les Israéliens s’en fichent de nos enfants, ça ne leur pose aucun problème de nous mettre à la porte en plein hiver. Notre situation risque d’empirer avec ce nouveau gouvernement de droite. Ils nous considèrent, nous Palestiniens, comme des insectes. Ils peuvent nous écraser, nous tuer, quand ils le souhaitent ».
Sur place, Yuval Avraham, jeune militant israélien, s’insurge contre cette situation. Il s’exprime dans un arabe parfait : « J’espère qu’un jour, ces fonctionnaires de l’administration d’occupation auront honte de ce qu’ils ont fait. J’espère qu’un jour, leurs enfants leur diront : ‘papa, qu’as-tu fait durant ta vie ?’ Et qu’ils répondront : nous avons détruit des maisons, et brisé des familles. Mais en attendant ce jour-là, ils sont fiers de leurs actes. Aujourd’hui, on se retrouve avec le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays, et l’extrême droite est très puissante. Et les gens ne font même pas le lien entre extrême droite et occupation. Tout est pourtant lié. Si Itamar Ben Gvir, issu de l’extrême droite, est devenu un ministre puissant en Israël, c’est grâce à l’occupation. Je me sens tellement impuissant. J’enrage. C’est trop d’injustice. »
Ce jour-là, neuf avis de démolition ont été distribués selon les habitants. Le déplacement forcé de population est un crime de guerre.