‘Ils ont mis le feu à notre maison avec les petits à l’intérieur. L’armée ne nous a pas laissé passer’

Des enfants pris au piège par les colons. Un animal de compagnie mutilé. Des checkpoints qui bloquent les secours. Une famille palestinienne raconte la nuit d’horreur du pogrom d’Huwara.

Avertissement : L’article qui suit contient des représentations graphiques de violence et de cruauté envers les animaux.

Lorsque leur premier fils est né il y a six ans, Uday Dumeidi et sa femme Ahlas ont décidé d’adopter un petit chaton roux. Ils ont construit une petite maison sur une petite rue de la ville de Huwara en Cisjordanie occupée, à côté d’un champ d’oliviers. Ils ont appelé leur garçon Taym, d’après un mot arabe pour « amour », et leur chat Bousa, ce qui signifie baiser. Voilà comment Dumeidi m’a raconté l’histoire, frissonnant au-dessus d’une flaque de sang noir.

Dimanche dernier, la nuit du pogrom d’Huwara par les colons, quelqu’un a mutilé le chat et l’a laissé dans la cour de la famille Dumeidi, juste à côté de la chambre d’ami, qui a entièrement brûlé.

La nuit qui a suivi le pogrom, Dumeidi et moi nous tenions calmement devant les murs noircis et le sang qui avait gelé sur le sol. Une boîte vide de nourriture pour chat, un coussin scintillant sur lequel le chat avait dormi et des tessons de verre gisaient sur le sol. Dumeidi a dit qu’il aime les animaux depuis qu’il est petit, qu’il sait comment communiquer avec eux. « Ils sont comme un miroir de mes sentiments », a-t-il dit.

Un silence s’est étendu sur la ville après la violence. Peu de gens osaient sortir de chez eux. Plus tôt dans la journée, je marchais dans la rue principale vers la maison d’Uday ; des soldats se tenaient près des magasins fermés, à côté des voitures brûlées, et seuls les véhicules israéliens avaient le droit d’entrer en ville, dont la rue principale sert d’artère centrale pour les voitures des colons qui traversent la Cisjordanie du nord au sud.

Une voiture a freiné près de moi. « Qu’est-ce que tu regardes ? » ai-je entendu une voix crier de l’intérieur. Avant que j’aie pu répondre, deux colons israéliens ont bondi hors de la voiture. Ce n’est que quand j’ai dit un mot en hébreu qu’ils sont rentrés dans la voiture et sont partis.

D’après le conseil municipal de Huwara, les colons ont mis le feu à au moins 10 maisons. Les rapports israéliens ont fait état de 40 colons ayant pris part au pogrom, pour venger l’assassinat de Hillel et Yagel Yaniv, deux frères de la colonie voisine de Har Bracha. Voici l’histoire de l’une des familles qui a survécu à ce pogrom.

Se préparer à ce qui va suivre

Ça a commencé à 6 H. du soir, a dit Dumeidi. Il était au travail quand sa femme l’a appelé. « Elle a dit que [les colons] forçaient l’entrée de notre maison. J’ai entendu des cris par derrière. Mes deux enfants hurlaient dans le téléphone : ‘Papa viens, papa viens’. »

Ahlas, la femme de Dumeidi, a dit qu’elle avait enfermé leurs deux fils dans la salle de bains. Elle a vu les attaquants par la fenêtre. Elle a raconté les événements sans reprendre son souffle. « Il y avait des dizaines de colons dehors, ils encerclaient la maison. Ils ont d’abord fracassé toutes les fenêtres. Puis ils ont enflammé un chiffon imbibé d’essence et ont essayé de mettre le feu à la maison par les fenêtres. Ils sont arrivés à mettre le feu à une pièce. La fenêtre de la salle de bains est extrêmement petite, c’est pourquoi j’y ai caché les enfants. Ils ont essayé d’entrer par la porte. A ce moment là, je ne sais pas ce qui s’est passé. Je me suis figée. Je ne pouvais plus bouger. » A un moment pendant l’attaque, les colons ont aussi essayé de mettre le feu à la citerne de gaz dans la cour, espérant qu’elle exploserait. Heureusement, ce ne fut pas le cas.

Ahlas a quitté Huwara lundi matin et est retournée chez ses parents dans la ville de Salfit. Elle a pris ses deux enfants, Taym et le petit Jood de quatre ans, avec elle après qu’ils aient reçu un traitement médical contre leur inhalation de fumée la nuit précédente. Depuis lors, ils ont du mal à dormir.

Plusieurs famille de Huwara ont dit qu’elles avaient momentanément emmené leurs enfants dans un endroit plus sûr, principalement chez des parents qui vivent dans de plus grandes villes comme Naplouse et Salfit. Huwara est une petite ville située en « Zone B » de Cisjordanie qui, selon les Accords d’Oslo, signifie que la police palestinienne n’a aucune autorité sur la sécurité et n’a pas le droit d’agir sans coordination avec l’armée israélienne. Les soldats israéliens sont alors ceux qui sont supposés protéger les Palestiniens dans ces zones. Il y a eu suffisamment d’incidents pour montrer que, en réalité, les soldats couvrent les attaques des colons. Les Palestiniens sont alors contraints de se débrouiller tout seuls.

J’ai rencontré Dumeidi alors qu’il était assis seul chez lui, au milieu du verre brisé. Quelques parents sont venus le retrouver plus tard, pour s’aider à se protéger en cas de nouvelle attaque.

Cette nuit, Ahlas l’a appelé plusieurs fois depuis Salfit, inquiète pour son bien-être. Chaque fois, Dumeidi m’a demandé de l’excuser, a détourné le regard et a parlé doucement au téléphone. Il lui a dit qu’il était calme maintenant. Qu’ils étaient prêts quoiqu’il puisse arriver ensuite. Il lui a demandé si elle avait mangé, puis s’est demandé ce qu’elle avait pu manger, et ses yeux se sont soudain rempli de larmes.

‘Tu es complètement seul’

La nuit du pogrom, il a fallu une heure à Dumeidi pour arriver chez lui à cause de checkpoints militaires. « Je me trouvais dans la rue principale près de chez moi, à la hauteur de l’attaque, mais les soldats ne voulaient pas me laisser passer », a-t-il raconté. « Je suis devenu fou, je ne connais que très peu d’hébreu. Mon père était avec moi et il leur a crié en hébreu : ‘Ils brûlent notre maison, il y a des petits enfants et une femme à l’intérieur !’ Mais ils ne nous ont pas laissé passer. »

Dumeidi a raconté comment il avait sorti son téléphone pour montrer aux soldats une photo de Jood, qui lui sert de fond d’écran. « Mais ils n’ont pas eu le temps de le voir parce que ma femme a appelé. Je l’ai mise sur haut-parleur afin qu’ils puissent entendre. Tout ce qu’on pouvait entendre, c’était des cris. Je me souviens que j’ai entendu quelqu’un [l’un des colons] hurler en hébreu : ‘Ouvrez, putain’. C’est alors qu’un des soldats m’a laissé passer. »

Plusieurs autres témoins, blessés pendant le pogrom, m’ont raconté des histoires similaires. Immédiatement après l’attaque, l’armée a imposé un couvre-feu sur Huwara. Le trafic vers et à l’intérieur de la ville a été fermé par des checkpoints. Vers 6 H. du soir, des centaines de colons ont rapidement franchi les barrières. Pendant au moins une heure, les attaquants ont mis le feu aux maisons dans le village, tandis que les soldats se tenaient aux alentours du village, empêchant physiquement les résidents d’entrer.

Dumeidi a couru jusque chez lui. L’air était rougi par les incendies, a-t-il dit. Les attaquants s’étaient séparés en plusieurs groupes, d’après les résidents, et agissaient de façon relativement organisée. Autour de la maison de Dumeidi, il y avait 30 personnes, dont un petit nombre masquées. Certains portaient des pierres, des cocktails Molotov et des barres métalliques. D’autres avaient des armes. Ils ont essayé de mettre le feu à la maison. Il s’est approché d’eux par derrière.

« Je me suis dit : comment puis-je entrer comme ça dans la maison ? Alors, j’ai essayé de me faire passer pour l’un d’eux. J’ai pris des pierres dans mes mains, ai mis un capuchon sur ma tête et me suis tenu près d’eux. Ça a marché. J’ai crié à ma femme par la fenêtre : ‘Je suis là, je suis là.’ Ils ont alors réalisé qui j’étais, que j’étais le propriétaire de la maison. Ils ont commencé à me jeter des pierres. »Le dos de Dumeidi porte encore les marques de ces pierres. Quand je l’ai rencontré, il boitait aussi à cause des coups reçus.

Alors que Dumeidi approchait de chez lui, il a vu sa mère gisant inconsciente devant la porte d’entrée de la maison d’à côté, où elle vit avec sa grand-mère à lui. Il a immédiatement traversé la cour vers la maison d’à côté, juste pour trouver sa grand-mère dans le séjour.

« Elle a 87 ans et souffre d’une maladie neurologique », a-t-il dit. « Elle était par terre dans le séjour, tremblant et quelque chose comme de l’écume sortait de sa bouche. Ses yeux étaient ouverts, mais on ne voyait pas les pupilles. Elle ne parlait pas. Je ne sais comment décrire ce que j’ai ressenti. Où devrions nous aller [pour aider] ma mère, ma grand-mère, les enfants ? Alors que je m’occupe de ma mère, je vois les colons cassant tout depuis l’extérieur. Tu es complètement seul et tu dois te protéger. »

Une dynamique bien connue

Deux témoins oculaires palestiniens ont dit que, pendant tout ce temps, plusieurs soldats israéliens se tenaient près des colons. « Ils ne faisaient que regarder », a convenu Dumeidi.

A un certain moment, quand davantage de parents et de voisins sont arrivés à la maison, les Palestiniens ont commencé à lancer des pierres, des tasses et autres ustensiles de cuisine sur les colons. Les soldats ont alors commencé à repousser les colons tout en tirant des gaz lacrymogènes sur les Palestiniens, avant qu’un des soldats ouvre le feu sur les résidents. D’après les témoins et la clinique locale de Huwara, quatre Palestiniens ont été blessés par les tirs alors qu’ils défendaient leur maison familiale ; trois ont été atteints à la jambe, l’autre a été frappé au bras.

Il s’agit d’une dynamique bien connue qui se répète dans des attaques semblables en Cisjordanie. Un groupe de colons israéliens envahit un village et, quand les résidents locaux leur lancent des pierres, les soldats tirent sur les Palestiniens afin de protéger les attaquants israéliens. Ainsi, l’attaque est en fait prolongée – et parfois devient mortelle.

Depuis 2021, les tirs de l’armée ont tué au moins quatre Palestiniens dans des villages du nord de la Cisjordanie au cours d’attaques documentées par des colons masqués : Muhammad Hassan, 21 ans, à Qusra ; Nidal Safdi, 25 ans, à Urif ; Hussam Asaira, 18 ans, d’Asira al-Qabilyia ; et Oud Harev, 27 ans, à Ashaka. Ce ne serait pas surprenant si Sameh Aqtesh, qui a été tué au cours des violences de dimanche à Huwara, était mort dans des circonstances similaires, bien que les détails exacts de sa mort n’aient pas encore été entièrement révélés.

Les voisins qui sont venus aider Dumeidi ont peut-être réussi à faire reculer les attaquants. Les colons ont brûlé une pièce et ont volé des montres, une télévision et un ordinateur portable. « Ils ont tout sorti de la maison et le dernier qui est sorti a mis le feu à la pièce », a dit Dumeidi. Quand la famille est sortie, ils ont trouvé leur chat, Bousa, mutilé.

N’est-ce pas une honte de mourir comme ça ?

Tard dans la nuit, alors que je me dirigeais vers ma voiture pour retourner à Jérusalem, j’ai entendu siffler de l’un des toits. Un groupe de 10 Palestiniens se tenaient au dessus de moi au sommet d’une maison dont les fenêtres avaient toutes été brisées et m’ont fait signe de faire attention. Ils m’ont dit de marcher lentement dans leur direction parce que, depuis le toit, ils avaient vu que des colons venaient juste à nouveau d’entrer dans le village. Quelqu’un est descendu, a ouvert une grille fermée et m’a emmené en haut. Ils m’ont suggéré d’attendre avec eux jusqu’à ce que l’orage soit passé et m’ont dit d’espérer qu’ils ne brûlent pas ma voiture qui étaient garée dans la rue principale.

Sur le toit, j’ai vu deux baquets pleins de pierres et de quelques lance-pierres. Le groupe m’a expliqué que, pendant le pogrom, personne n’avait pu protéger sa maison à temps, et c’est pourquoi les colons avaient pu faire tant de dégâts. Environ 15 parents et voisins avaient roulé pendant une heure sur des routes tortueuses depuis Naplouse pour éviter les checkpoints de l’armée et atteindre Huwara. Il est important d’être ici ensemble, comme une famille, au cas où quelque chose arriverait, ont-ils dit.

Il faisait sombre. Quelqu’un m’a offert un manteau. Les toits autour de nous étaient également plein de familles qui observaient. En attente. Au dessous, dans la rue principale tranquille, des lumières blanches brillaient. Au-dessus il y avait une haute montagne, silhouette ronde et, à son sommet, un mince ruban de lumière. Ce sont les maisons de la colonie de Yitzhar. Soudain, un téléphone a clignoté. Quelqu’un a reçu un message. « Il y a eu une attaque à Jéricho, il y a des victimes. » Quelqu’un m’a demandé si c’était vrai qu’il y avait des manifestations en Israël contre le pogrom.

Quand il a entendu que j’étais juif, l’homme le plus âgé du groupe m’a tendu la main et a dit dans un hébreu parfait : « A quoi tout cela sert-il ? Tous ces gens qui meurent, de notre côté et de votre côté. N’est-ce pas une honte de mourir comme ça, pour la terre ? Notre destin est de vivre ici ensemble. » Il a dit qu’il avait travaillé toute sa vie en Israël, participé à des groupes de discussion, et qu’on avait besoin d‘une véritable paix, avec égalité et respect pour son peuple, dont les membres vivent « comme des sujets de seconde classe de l’armée, avec des cartes d’identité vertes. »

Un jeune homme près de moi a grimacé un sourire. Puis il m’a dit en arabe : « Regarde, regarde », alors qu’il prenait une pierre, la plaçait dans le lance-pierre et la libérait. La pierre s’est écrasée contre les murs du toit. Il m’a offert une cigarette. J’ai essayé de briser la glace, disant qu’on dirait qu’il y aura peut-être bientôt une guerre. « Je l’espère », a-t-il simplement répondu.

Il s’est avéré que nous étions tous les deux du même âge. Mais lui n’a jamais quitté la Cisjordanie. Il n’a jamais vu la mer ni visité Jérusalem. Son père a été emprisonné pendant la Deuxième Intifada et, depuis lors, toute la famille s’est trouvée sur la liste noire du Shin Bet, ce qui signifie qu’ils ne peuvent avoir de permis, et que les soldats les arrêtent de temps en temps aux checkpoints. Il ne connaissait presque pas l’hébreu. Comme tous les jeunes hommes qui attendaient là, en alerte sur le toit, il fait partie d’une génération née dans le régime israélien des permis et à l’ombre du mur de séparation.

Pendant une heure, nous avons parlé de la violence. Il a dit qu’elle avait augmenté depuis l’élection du nouveau gouvernement, mais qu’elle avait toujours été là. Il a parlé de la frustration avec l’Autorité Palestinienne, qui « fait tout ce que dit Israël » et ne fait que maintenir l’occupation, et combien il espère que quelque chose se mette à changer – même si c’est une guerre – pourvu qu’il y ait un changement. Il m’a parlé d’un de ses amis qui a été abattu par des soldats parce qu’il jetait des pierres et combien, depuis lors, il est dans une rage dont il ne peut se débarrasser.

En dessous de nous, un groupe de colons portant des drapeaux israéliens essayaient d’entrer à nouveau dans Huwara. Cette fois-ci, les soldats les ont bloqués. Sur ce toit, au moins, la nuit s’est passée tranquillement.