Il n’y a pas que les balles et les bombes. Je n’ai jamais vu des organisations de la santé aussi inquiètes qu’elles le sont à propos des maladies à Gaza

Un quart de la population de Gaza risque de mourir cette année à cause des foyers de maladie provoqués par ce conflit sans précédent.

Prof Devi Sridhar est présidente du département de santé publique mondiale à l’université d’Edimbourg

Un quart de la population de Gaza risque de mourir cette année à cause des foyers de maladie provoqués par ce conflit sans précédent. Prof Devi Sridhar est présidente du département de santé publique mondiale à l’université d’Edimbourg

La guerre d’Israel-Gaza a établi plusieurs records mondiaux. Elle est le conflit le plus mortel pour les journalistes depuis 30 ans. Elle a causé le plus grand nombre de pertes humaines parmi le personnel des Nations unies dans toute l’histoire de cette organisation. Elle devrait connaître le plus grand nombre total d’attaques contre des établissements de santé et leur personnel, Elle a dévasté des écoles, 51% des établissements d’éducation étant endommagés. Les règlements internationaux, comme les Conventions de Genève, n’ont pas été respectés : des hôpitaux et des ambulances ont été ciblés, des organisations de secours médical comme Médecins sans frontières (MSF) et Sauvez les enfants sont attaquées et ont perdu des membres de leur personnel.

La guerre d’Israel-Gaza est aussi mortelle pour les enfants, elle serait le conflit le plus mortel pour les enfants des dernières années : environ 160 enfants ont été tués par jour le mois dernier selon l’Organisation mondiale de la santé. Comparons cela avec le nombre de trois enfants tués par jour dans le conflit récent en Syrie, deux par jour en Afghanistan et 0,7 par jour en Ukraine. Le nombre total des enfants tués a déjà dépassé 5300, dit l’Unicef, la Fondation pour les enfants des Nations Unies. Ils n’ont pas choisi de naître là, et ils ont innocents, mais ils font les frais de ces attaques.

Tragiquement, la mort et les blessures presque sans précédent que nous avons vues jusqu’à présent ne sont probablement que le commencement. En observant des conflits similaires dans le monde entier, des experts de la santé publique savent que nous allons probablement voir plus d’enfants mourir de maladies évitables que des balles et des bombes. Alors que le gouvernement israélien a parlé de zones de sécurité où les familles pourraient fuir, il n’y a nulle part à proximité ce que nous pourrions considérer comme des zones sûres pour la santé publique. Il n’y a pas d’eau potable, de sanitaires et de toilettes fonctionnels, de nourriture en quantité suffisante ou de personnel médical entraîné avec des médicaments et de l’équipement. Ce sont les besoins de base dont tous les êtres humains, particulièrement les bébés et les enfants, ont besoin pour rester en bonne santé et en vie.

La porte-parole de l’OMS, Dr Margaret Harris, a dit que le taux de diarrhée chez les enfants dans les camps de type camps de réfugiés (habitat protégé) à Gaza était, début novembre, était déjà plus de 100 fois la normale, et sans traitement disponible les enfants sont déshydratés et meurent rapidement. Les maladies diarrhéiques sont la deuxième cause principale de mort chez les enfants de moins de cinq ans dans le monde entier, et elles sont causées par des sources d’eau contaminées et le manque d’accès à des liquides de réhydratation orale. Les infections des voies respiratoires supérieures, la varicelle et des maladies de peau douloureuses ont aussi augmenté, et on craint que les inondations récentes ne provoquent un mélange des eaux usées avec l’eau potable utilisée pour la boisson et la cuisine, et ne causent ainsi une épidémie de choléra.

La maladie a joué un rôle dans les batailles pendant des siècles. Pendant la guerre civile américaine, les deux-tiers des morts parmi les soldats auraient été causées par des pneumonies, la typhoïde, la dysenterie et la malaria. En juin 1994, deux maladies, le choléra et la dysenterie, liées à de l’eau impure et aux zones de conflit, a tué plus de 12000 réfugiés rwandais en seulement trois semaines.

85% des habitants de Gaza ont déjà été déplacés, selon une estimation de l’Office de secours et de travaux des Nations unies. Des experts analysant les précédents déplacements de réfugiés estiment dans le Lancet que les taux de mortalité bruts (c’est-à-dire le nombre des morts par millier de personnes) étaient 60 fois plus élevés qu’avant le commencement d’un conflit, en moyenne. En extrapolant cela à la situation actuelle à Gaza, où le taux brut de mortalité avant le conflit était de 3,82 en 2021 (un taux relativement bas à cause de la jeunesse de sa démographie), les taux de mortalité pourraient atteindre 229,2 en 2024si le conflit et le déplacement continuent au niveau d’intensité actuel, et si les Gazaouis continuent à être privés d’accès à des équipements sanitaires, des établissements de santé et un logement permanent.

A la fin, sauf si quelque chose change, le monde sera confronté à la perspective que près d’un quart des 2 millions d’habitants de Gaza — près d’un demi-million d’êtres humains — meurent en un an. Ce serait en majeure partie des morts dues à des causes de santé évitables et à l’écroulement du système médical. C’est une estimation crue, mais fondée sur des données, utilisant les terrifiants nombres réels de morts dans de précédents conflits comparables.

Des organisations internationales essaient de sonner l’alarme sur la situation. Harris se lamente : « Il semble que le monde ait perdu son compas moral ». L’Unicef a averti : « Le manque d’eau, de nourriture, de médicaments et de protection est une menace plus grande que les bombes pour les vies de milliers de personnes à Gaza ».

J’ai travaillé dans le secteur de la santé publique mondiale depuis 20 ans et je n’ai jamais entendu les organisations de santé et de secours être aussi directes et inquiètes qu’elles le sont à propos du niveau de souffrance et de morts à Gaza. C’est un conflit sans précédent, brisant les records les plus tragiques, et pendant que des experts débattent pour déterminer s’il s’agit ou non d’un génocide, la vérité est que nous sommes témoins de l’assassinat de masse d’une population, que ce soit par bombes, balles, famine ou maladie.