La santé mondiale est un cimetière de bonnes intentions. Le directeur-général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a prononcé la semaine dernière une allocution très admirée à l’Assemblée mondiale de la….
La santé mondiale est un cimetière de bonnes intentions. Le directeur-général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a prononcé la semaine dernière une allocution très admirée à l’Assemblée mondiale de la Santé. Il a parlé « des profondes conséquences des conflits » sur la santé et a conclu son discours par ses mots : « A moins que nous ne cherchions la paix, nous trouverons la guerre. Aujourd’hui, et chaque jour, nous avons un choix —nous faisons des choix. Et aujourd’hui, chaque jour, nous devons choisir la santé pour la paix, et la paix pour la santé. La paix, la paix, la paix. » Un choix que son organisation a fait est d’effacer l’existence de plus de 5 millions de personnes dans son évaluation « complète » de la santé mondiale — le fleuron de l’OMS, World Health Statistics 2022 [Les statistiques mondiales de la santé 2022]. En dépit d’être membre du Bureau régional de la Méditerranée orientale de l’OMS (Eastern Mediterranean Regional Office, EMRO), le territoire palestinien occupé (TPO) —3,2 millions de personnes en Cisjordanie et Jérusalem-Est et 2,2 millions de personnes dans la Bande de Gaza —est absent des données de l’OMS. Il y a seulement une mention du TPO : dans une seule carte des taux de mort bruts pour la COVID-19. Mais ailleurs, dans les tables d’indicateurs pour les Objectifs de développement durable, dans les annexes d’estimations de santé mondiales et même dans la liste des membres de l’EMRO, le peuple palestinien a été entièrement effacé. L’OMS est coupable de rien de moins que d’un génocide statistique : de l’élimination délibérée d’un peuple dans le but d’étouffer son existence.
Pendant la dernière décennie, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient [UN Relief and Works Agency, UNRWA] a organisé, avec The Lancet, une réunion en marge de l’Assemblée mondiale de la santé pour discuter des problèmes médicaux des Palestiniens. Dr Mai al-Kaila, ministre de la Santé pour la Palestine, et Dr Ahmed al-Mandhari, directeur régional d’EMRO, ont parlé à l’événement de la semaine dernière. Dr al-Kaila a souligné que « sans la santé nous ne pouvons rien faire ». Rik Peeperkorn dirige le Bureau de l’OMS pour le TPO. Il a indiqué que l’espérance de vie, la mortalité infantile et celle des moins de 5 ans, la mortalité des mères, sont toutes plus mauvaises pour les Palestiniens que pour la nation occupante. L’occupation a créé des crises financières successives pour le secteur sanitaire. Les restrictions de mouvement, la violence, les obstructions aux prestations de soin, l’arrestation et la détention des travailleurs de santé, et les dommages causés aux établissements de soin ont tous réduit l’espace humanitaire pour les Palestiniens. Dr Ghada Jadba, qui dirige le programme de soins de l’UNRWA sur le terrain à Gaza, a fait un rapport sur les effets de quatre guerres sur la Bande de Gaza depuis 2007. Dr Ameer Qoulaq, un agent médical de l’UNRWA à Gaza, a décrit comment 22 de ses parents ont été tués pendant une attaque en mai 2021. Le directeur de la santé de l’UNRWA, Dr Akihiro Seita, a fermé la session en disant simplement : « Je ne pense pas que nous devrions accepter cela ». Le directeur-général de l’OMS a présenté un rapport la semaine dernière à l’Assemblée mondiale de la santé sur les conditions de santé dans le TPO. Il a fait sept recommandations au gouvernement d’Israël — mettre fin au délai arbitraire et à la rétention des ambulances et des personnels de soin aux checkpoints ; faciliter l’entrée de tous les médicaments et de toutes les fournitures médicales essentiels ; mettre fin aux politiques de planification discriminatoires qui empêchent le développement des établissement de soins ; garantir la protection des travailleurs de santé ; garantir des prestations rapides des services de soin aux prisonniers palestiniens ; et répondre au problème des déterminants sociaux de la santé des Palestiniens en mettant fin aux restrictions de mouvement, aux démolitions et déplacements forcés et à l’utilisation de la force excessive. La délégation israélienne a condamné l’OMS pour ses « doubles standards » dans le fait d’organiser ce débat — « Israël est mis au banc des accusés chaque année, Israël est traité différemment chaque année et Israël a sa rubrique propre chaque année. »
J’ai demandé à l’OMS pourquoi elle excluait les Palestiniens de ses statistiques mondiales de santé. L’EMRO a répondu que « le TPO est reconnu comme membre des pays de l’EMRO et le TPO est inclus dans tous les rapports et les données de l’EMRO. » Donc pourquoi le siège de l’OMS efface-t-il les Palestiniens de leurs statistiques officielles ? Aucune raison crédible n’a été donnée. L’OMS reconnaît que le TPO est un lieu dont la population est de taille suffisante pour justifier son inclusion. L’organisation révisera le statut du TPO pour les rapports futurs. Le directeur-général de l’OMS a eu raison d’arguer que la paix est un prérequis pour la santé. Mais, comme quiconque passe du temps dans le TPO le sait, parler de paix en l’absence de justice c’est échouer à comprendre la situation difficile d’un peuple qui a enduré, dans les mots de l’historien palestino-américain Rashid Khalidi, « une guerre de cent ans sur la Palestine ». L’OMS doit corriger son effacement du peuple palestinien, s’engager à inclure le TPO dans ses futures évaluations de la santé mondiale, et ne plus jamais parler de paix sans justice.