Guerre Israël-Hamas : à Paris, le drame personnel de l’ambassadrice palestinienne, Hala Abou Hassira

Native de Gaza, la représentante en France de l’Autorité palestinienne depuis deux ans a perdu soixante membres de sa famille dans les bombardements israéliens.

« A chaque annonce d’un bombardement, je scrute les noms des martyrs. Avec, toujours, cette peur que mon nom de famille apparaisse parmi la liste des victimes. J’essaie de savoir où le bombardement a eu lieu. A côté de notre immeuble ? Loin ? Quelle rue a été touchée, quelle famille ? Jamais je n’aurais cru vivre des moments pareils. » Hala Abou Hassira est l’ambassadrice d’un territoire en lambeaux et d’une ville pulvérisée, la sienne : Gaza.

Le 5 novembre, la cheffe de mission de la Palestine en France, en fonctions depuis deux ans après avoir été en poste en Belgique et au Canada, décrit l’indicible sur le réseau social X : « On vient d’enterrer trente de mes cousins et cousines, leurs enfants et petits-enfants. Vingt-huit sont toujours sous les décombres. »

Sollicitée par Le Monde, Hala Abou Hassira, 47 ans, raconte les heures passées, depuis, la main serrant en vain son téléphone. Au gré des coupures complètes des réseaux de télécommunications dans le territoire palestinien et de leur rétablissement partiel : « J’appelle Gaza vingt fois par jour, ou plus. Parfois, ça sonne et personne ne répond. C’est un cauchemar. »

Trois générations effacées par une frappe

Rencontrée dans sa résidence parisienne, samedi 18 novembre, la représentante de l’Autorité palestinienne, éprouvée, garde l’œil rivé sur la chaîne Al-Jazira, où défilent en boucle les images de la fuite de centaines de civils agitant des drapeaux blancs et celles des carcasses d’immeubles détruits par les bombardements. Elle décrit la mort de ses proches. Trois générations effacées par une frappe : « Un grand cousin, ses enfants, leurs épouses, ses petits-enfants et des voisins: soixante personnes ont été tuées quand l’immeuble a été visé. Aucun n’a survécu. »

Regroupés dans une même demeure sise près de la mer, dans le quartier du port de la ville de Gaza, à quelques encablures de l’hôpital Al-Shifa encerclé et investi depuis par les forces israéliennes, les Abou Hassira ont péri sans préavis des tirs. Comme beaucoup de familles gazaouies, parents et enfants s’y étaient regroupés, les uns accueillant les autres fuyant leurs quartiers et leurs rues sous le feu. « Les Israéliens ne préviennent plus avant de bombarder. Au début, ils le faisaient. Désormais, ils tirent. Même s’ils savent qu’il y a soixante, cent personnes dans les habitations qu’ils ciblent », dit l’ambassadrice.

Hala Abou Hassira rejette les affirmations de l’armée israélienne, selon lesquelles elle viserait, lors de ses frappes, des cadres du Hamas, et cite le bombardement du camp de réfugiés de Jabaliya, le 1er novembre, qui a laissé un carré d’immeubles en miettes et des dizaines de morts et de disparus : « Ils disaient viser Ibrahim Biari [un chef de brigade du Hamas], le gars n’était même pas là… Il n’y a aucune logique derrière ce massacre, à part la vengeance. Ils veulent détruire le Hamas, mais ils sont en train de détruire la population, et les infrastructures civiles. »

« Le grand exode »

Le 9 octobre, les forces israéliennes avaient mis en demeure les habitants du nord du territoire palestinien de quitter leurs foyers et leurs quartiers, décrétés « zones de combats », et de se diriger vers le sud de la bande de Gaza. Ceux qui ignoreraient l’ordre resteraient chez eux à leurs risques et périls, avertissaient les tracts largués par l’aviation. Selon les Nations unies, 1,7 million de personnes ont fui pour se réfugier dans le Sud ou dans les installations onusiennes. Plusieurs centaines de milliers de personnes demeuraient pourtant encore chez elles, dans le Nord, quand les chars israéliens ont déferlé.

Les parents, frères et sœurs de l’ambassadrice palestinienne, se sont alors résolus à quitter la maison familiale endommagée par la frappe, toute proche, qui a emporté leurs cousins. « C’est à ce moment que ma famille proche a décidé de partir », lors de ce que l’ambassadrice appelle « le grand exode », qui a vu les Gazaouis quitter le Nord et le centre-ville par centaines de milliers.

« Une logique de transfert de populations »

« Chaque famille cherche à protéger les siens, ses enfants. Mais hésite devant la décision à prendre », poursuit- elle. La sienne a pris le chemin du camp de réfugiés de Nousseirat, au centre de la bande de Gaza, pour y rejoindre des proches, s’entassant à trente-deux dans deux pièces, sans eau, nourriture ni électricité. Le répit est de courte durée. « Le bâtiment qu’ils habitaient abritait au rez-de-chaussée une boulangerie. Elle a été bombardée. » Depuis, sa famille est remontée vers le Nord, partageant l’errance de nombreux Gazaouis ballottés au milieu des frappes.

Nousseirat est rasé, Khan Younès, attaqué, égrène Hala Abou Hassira, qui décrit les régions de l’enclave rattrapées par l’offensive israélienne. « Ils ont au départ publié une carte où la seule vraie zone sécurisée serait le point de passage de Rafah [seule sortie possible vers l’Egypte]. Comment regrouper 2,3 millions d’habitants sur la surface d’un quartier ? Ils veulent en fait obliger les gens à partir vers l’Egypte. C’est une logique de transfert de populations. D’abord vider le Nord, puis le Sud », dénonce-t-elle.

A l’unisson de la direction palestinienne de Ramallah qu’elle représente à Paris, elle insiste sur la nécessité d’un cessez-le-feu. « Une trêve humanitaire n’est pas ce dont on a besoin aujourd’hui. Pour combien de temps? Quelques heures, quelques jours ? Le temps de faire rentrer quelques produits de première nécessité ? On ne peut pas nous donner un morceau de pain pour dîner et le lendemain recommencer à nous tuer. » Elle appréhende son retour, un jour, à Gaza : « Qu’en restera-t-il ? »

Son dernier séjour, dans sa famille, date du mois d’août. Aujourd’hui, dit-elle, la vision de sa ville se réduit aux images entrevues à la télévision, entre explosions et blindés qui défigurent les rues. S’y mêlent ses souvenirs du « meilleur restaurant de poissons de la ville », « bombardé », ou de l’université d’Al-Azhar, « pulvérisée », dont elle est diplômée (avant d’intégrer l’Ecole nationale d’administration en France) : « Ce n’était pas l’université du Hamas. C’est notre mémoire, notre culture, populaire comme intellectuelle, qu’ils effacent. »

Hala Abou Hassira, qui milite pour la libération des otages détenus par le Hamas, comme celle des prisonniers palestiniens, veut croire à un « momemtum », un point de rupture qui imposerait à Israël un règlement global de la question sur la base de la solution à deux Etats. « La seule option possible pour que chacun puisse vivre en paix et en sécurité. »