Un médecin américain, entré récemment dans le territoire palestinien, s’est vu confisquer par la sécurité israélienne les boites de lait en poudre qu’il avait mises dans ses bagages. Ce produit manque terriblement à Gaza où une cinquantaine d’enfants sont morts de faim depuis le mois de mars.

Fin juin, un médecin américain s’apprête à se rendre à Gaza pour une mission médicale. Ses valises sont chargées de boîtes de lait en poudre pour bébé, de gaze, de bandages, et de serviettes hygiéniques. Il pense bien faire : la population palestinienne de l’enclave bombardée et affamée par l’armée israélienne manque de tout. Mais alors qu’il est encore à Amman, point de rassemblement obligé des missions médicales étrangères à destination de Gaza, sa consœur palestino-allemande Diana Nazzal, chirurgienne ophtalmologique, qui coordonne le convoi médical, l’incite à alléger son paquetage. « N’avoir que du matériel médical sans effets personnels, c’est risquer d’être renvoyé, voire compromettre toute la mission », explique-t-elle.
Le médecin américain suit ses consignes et réduit les quantités de lait infantile dans ses bagages à trois boîtes. Mais arrivé au pont Allenby, point de passage entre la Jordanie et la Cisjordanie sous occupation, ses effets personnels sont fouillés par les gardes de sécurité israéliens qui tiennent le terminal côté palestinien.
« Le lait infantile a été confisqué, dénonce Diana Nazzal. Quelle explication y voir, si ce n’est que la faim est utilisée comme une arme de guerre dans le génocide en cours à Gaza ? » Le lait infantile manque cruellement à Gaza selon les acteurs de santé locaux, et particulièrement celui spécialisé pour les prématurés ou celui sans lactose pour les bébés qui y sont intolérants. Les mères, en état de malnutrition, ne sont souvent pas en mesure d’allaiter.
« Malnutrition sévère »
Selon le Cogat (la branche de l’armée israélienne chargée des affaires civiles dans les territoires palestiniens occupés, qui supervise l’entrée de l’aide dans l’enclave), cité par l’agence Associated Press (AP), plus de 1 000 tonnes de nourriture pour bébés, y compris du lait infantile, ont été acheminées vers Gaza depuis le 19 mai, date à laquelle les autorités israéliennes ont très légèrement desserré le blocus humanitaire, imposé à Gaza de manière intégrale, pendant deux mois et demi.
Pourtant, à la mi-juin, le docteur Ahmad Al-Farra, qui dirige le service pédiatrique de l’hôpital Nasser à Khan Younès où des prématurés sont en couveuse, a tiré la sonnette d’alarme : les stocks de lait infantile adapté aux prématurés étaient au bord de l’épuisement. Depuis, des boîtes fournies par une organisation américaine, Rahma, sont entrées, mais en nombre limité.
Selon l’agence de presse palestinienne Wafa, deux bébés pris en charge à l’hôpital Nasser ont été enterrés jeudi 26 juin, après avoir succombé à la faim et faute de soins nécessaires. L’un, Nidal, avait cinq mois ; l’autre, Kinda, était âgée de dix jours. Entre début mars et la mi-mai, 57 enfants sont décédés de malnutrition, selon le ministère de la santé du Hamas, un chiffre repris par l’OMS. L’Unicef indique que, pour le seul mois de mai, plus de 5000 enfants âgés de 6 mois à 5 ans ont été admis pour traitement contre la malnutrition aiguë – un fléau qui n’existait pas à Gaza avant la guerre.
Le lait pour bébé n’est pas le seul produit suspect au pont Allenby. En mai, lors de sa quatrième mission à Gaza en vingt mois de guerre, le britannique Graeme Groom, chirurgien orthopédiste (l’une des spécialités les plus recherchées aujourd’hui à Gaza, avec les anesthésistes), n’a « rien eu le droit d’emmener avec lui », au contraire de ce qui s’était passé lors de ses précédents déplacements. Ni scalpel, ni agrafes, ni fixateurs externes circulaires qui permettent de stabiliser les fractures, « ce qui réduit le risque d’infection et donc d’amputation ».
Alors qu’il a connu le Gaza d’avant-guerre, où le système médical était considéré comme avancé et où son personnel bénéficiait de formations par des praticiens étrangers, c’est désormais un territoire « où des enfants sont chaque jour diagnostiqués comme souffrant de malnutrition sévère et où j’ai vu des bébés qui n’avaient plus que la peau sur les os ».
Refoulement de praticiens
D’autres médecins pointent comme lui un durcissement des conditions d’entrées dans Gaza depuis que les missions médicales ont l’obligation de partir de la Jordanie et donc de transiter par le territoire israélien. « Ces obstacles ont grandement diminué les soins disponibles à Gaza », constate-t-il. Jusqu’en mai 2024 – quand l’armée israélienne a lancé son assaut sur Rafah –, les médecins pouvaient pénétrer dans l’enclave palestinienne par ce point de passage avec le Sinaï égyptien et parvenaient à acheminer davantage de matériel.
Les praticiens s’inquiètent aussi du rejet croissant des demandes d’entrée dans Gaza déposées par des médecins. Ces réponses négatives sont souvent fournies par le Cogat la veille du départ d’Amman, alors que les dossiers, validés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ont été transmis à l’organisme israélien quinze jours plus tôt. « Les notifications de dernière minute compliquent notre réponse. Un médecin refusé n’est pas remplacé », dit Thaer Ahmad, médecin urgentiste américain d’origine palestinienne, qui s’est rendu à Gaza en 2024. Depuis, il a essuyé plusieurs refus, dont le dernier en date remonte au mois de juin. Sur le convoi avec lequel il devait partir, seul un soignant – une sage-femme – figurait parmi la quinzaine d’humanitaires autorisés. Il voit, dans ces restrictions la continuation du « détricotage des institutions palestiniennes, en matière de santé ou d’éducation ».
Au début de la guerre, les missions médicales avaient pour priorité de soutenir les praticiens gazaouis, souvent très compétents mais débordés par l’afflux de blessés. Depuis, plus de mille travailleurs médicaux ont été tués selon les Nations Unies et de nombreux autres ont été arrêtés. « Aujourd’hui, les médecins étrangers viennent épauler de jeunes collègues inexpérimentés, parfois encore internes. Les blessures à soigner sont très complexes », souligne Diana Nazzal, qui a fait une mission sur place en février.
Le refoulement des médecins « coupe le dernier lien des Gazaouis avec l’extérieur », considère le docteur Thaer Ahmad. Ces refus d’entrée semblent viser plus particulièrement les praticiens d’origine palestinienne et ceux qui témoignent dans les médias à leur retour. « Parler, c’est prendre le risque de ne plus pouvoir entrer à Gaza. Mais ne pas le faire, c’est laisser les Gazaouis être tués dans le silence », estime Catherine Le Scolan-Quéré, médecin généraliste francaise qui a soigné à l’hôpital Nasser à l’automne 2024.
- Photo : Une Palestinienne avec l’un de ses jumeaux de deux mois, alors qu’elle lutte pour trouver du lait maternisé dans un contexte de pénurie persistante, à Gaza, le 25 juin 2025. EBRAHIM HAJJAJ/REUTERS