Une vingtaine d’habitants de l’enclave côtière ont été tués, jeudi soir, sur un rond-point de Gaza, où ils attendaient des camions chargés de vivres. Selon un journaliste palestinien présent sur place, les forces de l’Etat hébreu ont ouvert le feu sur la foule.
Chaque nuit depuis début mars, le bruit court dans la ville de Gaza et ses faubourgs détruits, menacés par la famine. Venus du sud, des camions chargés de vivres remonteraient vers le nord. Formant une longue procession, éclairée à la lueur de téléphones portables, des milliers de personnes se dirigent alors vers le « rond-point du Koweït », l’une des portes d’entrée de la ville de Gaza, une zone d’opérations de l’armée israélienne, qui en contrôle les accès.
Dans la soirée de jeudi 14 mars, l’attente d’une distribution alimentaire à cet endroit, où plusieurs centaines de Gazaouis étaient rassemblés, a de nouveau viré au bain de sang : plus de 20 habitants ont été tués par des tirs des forces israéliennes, selon les autorités locales. Une hécatombe obéissant à un scénario similaire était survenue à la fin du mois de février, lors de ce qui a été appelé le « massacre de la farine », fatal à plus d’une centaine de personnes.
Le journaliste palestinien Mahmoud Essa, présent au rond-point du Koweït, a filmé dans la nuit de jeudi à vendredi des images de corps ensanglantés évacués à la lueur de téléphones portables. Contacté par Le Monde, il assure que « des véhicules israéliens étaient postés à environ 300 mètres. Je n’ai vu aucun mouvement de la foule dans leur direction. Mais ils ont ouvert le feu à l’aide d’obus fumigènes puis à balles réelles : des tirs intenses, suivis de tirs d’obus ». Le journaliste dit également avoir constaté la présence d’hélicoptères et de petits drones quadricoptères qui ont attaqué la foule. Paniquées, de nombreuses personnes se sont mises à l’abri aux alentours et n’ont quitté la zone que le vendredi matin.
Vendredi, en milieu de journée, des images tournées par le journaliste montraient des habitants collectant toujours des corps, transportés sur une charrette tirée par un cheval. A l’hôpital, un collaborateur de l’Agence France-Presse a également vu de nombreuses ambulances apporter des cadavres et des blessés par balle.
« Gazaouis écrasés par les camions »
L’armée israélienne affirme, elle, que ses forces facilitaient « le passage d’un convoi de 31 camions d’aide humanitaire contenant de la nourriture et des fournitures » à destination des civils dans le nord de la bande de Gaza quand, environ une heure avant l’arrivée du convoi dans le couloir humanitaire, « des Palestiniens armés ont ouvert le feu ». « En outre, un certain nombre de civils gazaouis ont été écrasés par les camions », précise l’armée.
Celle-ci dément avoir ouvert le feu sur les civils gazaouis. Elle a par la suite publié une vidéo en noir et blanc, floue, censée montrer « des tireurs palestiniens ouvrant le feu au milieu de civils gazaouis » sans que l’on soit en mesure de discerner ni des tirs ni la présence d’armes parmi la foule.
Une autre vidéo et des témoignages recueillis par le journaliste palestinien Ahmad Hijazi questionnent cette version des faits. On y voit des rescapés, certains les bras chargés de petits sacs de farine, errer au milieu des décombres d’une maison et enjambant une demi-douzaine de corps ensanglantés recouverts de poussière et de gravats. « Des civils ont été contraints de se réfugier dans une maison contiguë au rond-point pendant les tirs, mais l’armée a lancé une attaque aérienne qui a directement visé le bâtiment », assure-t-il.
Plusieurs autres attaques meurtrières
D’où venaient les camions censés traverser le rond-point ? L’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens et principal pourvoyeur pour les Gazaouis aujourd’hui, ne participait pas à l’opération. Depuis l’attaque de l’un de ses convois par la marine israélienne le long de la route côtière fin janvier, l’agence onusienne ne s’aventure plus en direction du nord du territoire. Le bureau de l’armée israélienne chargé des Palestiniens dans les territoires occupés dit coordonner une aide émanant d’Etats, d’organisations internationales et de partenaires privés.
Plusieurs attaques meurtrières attribuées à des soldats israéliens contre des foules de civils faisant la queue pour obtenir de l’aide ont été signalées ces dernières semaines. Les autorités locales estimaient, mardi 12 mars, qu’au moins 400 personnes ont été tuées lors d’attaques de ce genre depuis le début de la guerre, le 7 octobre. Lundi 11 mars, le Bureau des Nations unies pour la coordination de l’aide humanitaire avait recensé 14 incidents de ce type à deux entrées de la ville de Gaza entre la mi-janvier et la fin février.
Quelques heures avant l’attaque de jeudi soir, cinq personnes ont péri dans une frappe aérienne israélienne sur un centre de distribution de nourriture à Rafah, dans le sud de Gaza, géré par l’UNRWA, principal pourvoyeur de l’aide destinée aux Gazaouis. Mercredi 13 mars, les troupes israéliennes avaient déjà ouvert le feu, selon les services médicaux de Gaza, sur une distribution de nourriture sur le rond-point du Koweït. Au moins onze personnes avaient été tuées et 86 autres blessées.
Le 29 février, date du « massacre de la farine », 118 Palestiniens avaient été tués et 760 autres blessés en attendant un convoi d’aide humanitaire qui empruntait la route côtière Al-Rachid en direction du nord de l’enclave, selon le ministère de la santé local. Plusieurs témoins ont affirmé au Monde que les tirs israéliens avaient alors duré plus d’une heure.