Les obstacles à l’acheminement d’aide humanitaire perdurent malgré la famine
(Jérusalem, 7 mai 2024) – Israël bafoue les ordonnances de la Cour internationale de Justice (CIJ), pourtant juridiquement contraignantes, en faisant obstacle à l’entrée d’aide humanitaire et de services vitaux à Gaza, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Depuis janvier 2024, dans le cadre de la plainte portée par l’Afrique du Sud alléguant qu’Israël viole la Convention sur le génocide de 1948, la CIJ a émis deux ordonnances exigeant qu’Israël prenne des « mesures conservatoires » afin de fournir des services de base et une assistance humanitaire aux habitants de la bande de Gaza.
Le 5 mai, les autorités israéliennes ont fermé le passage de Kerem Shalom après une attaque aux tirs de roquette du Hamas, et le 7 mai, elles ont saisi le contrôle du passage de Rafah, empêchant ainsi l’aide d’entrer ou les gens de quitter Gaza via les principaux points de passage utilisés ces derniers mois. Lors des récentes semaines, les autorités israéliennes ont autorisé l’entrée de davantage de camions humanitaires et ouvert un passage supplémentaire ainsi qu’un port pour l’entrée de l’aide ; mais ces mesures ont été modestes et loin de suffire pour répondre aux forts besoins, selon les Nations Unies et les agences humanitaires non gouvernementales. Ces agences ont déclaré qu’Israël continuait de bloquer l’apport d’aide essentielle et que seule une petite proportion de cette aide, déjà limitée, parvenait au nord de la bande de Gaza où elle est vitale.
« Bien que des enfants soient en train de mourir de faim à Gaza, les autorités israéliennes continuent de bloquer l’aide essentielle à la survie de la population de Gaza, ignorant les ordonnances de la Cour internationale de justice », a déclaré Omar Shakir, directeur pour Israël et la Palestine à Human Rights Watch. « Chaque jour où les autorités israéliennes bloquent l’aide vitale, davantage de Palestiniens risquent de mourir. »
Le 26 janvier, la CIJ a émis une ordonnance qui enjoignait Israël de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence ». Le 28 mars, face à la « propagation de la famine », le tribunal a émis une nouvelle ordonnance enjoignant Israël d’assurer la fourniture sans entrave de l’aide humanitaire, en pleine coopération avec l’ONU, notamment en ouvrant de nouveaux points de passage terrestres.
La deuxième ordonnance de la Cour exigeait qu’Israël fasse rapport à la CIJ sur la mise en œuvre des mesures de la Cour dans un délai d’un mois. Cependant, depuis le 2 mai, les autorités israéliennes ont continué à faire obstacle aux services de base et à l’entrée du carburant et de l’aide vitale, des actes qui constituent des crimes de guerre et incluent le recours à la famine des civils comme arme de guerre.
Selon l’ONU, le nombre moyen de camions d’aide entrant à Gaza via les points de passage de Kerem Shalom et Rafah n’a augmenté que de 24 camions par jour au cours du mois qui a suivi la deuxième ordonnance de la CIJ – passant d’une moyenne quotidienne de 162 camions par jour (du 29 février au 28 mars) à une moyenne quotidienne de 186 camions par jour (du 29 mars au 28 avril). Cela ne représente toujours qu’environ 37 pour cent du nombre d’entrées quotidiennes à Gaza avant le 7 octobre 2023, lorsque 80 pour cent de la population de Gaza dépendait de l’aide dans le contexte de bouclage illégal imposé par Israël depuis plus de 16 ans.
Les autorités israéliennes soutiennent que l’ONU est responsable pour les retards de distribution, mais, en tant que puissance occupante, Israël est obligé d’assurer le bien-être de la population occupée et de veiller à ce que les besoins humanitaires de la population de Gaza soient satisfaits.
Le 1er mai, en réponse aux pressions du gouvernement américain, les autorités israéliennes ont ouvert le passage d’Erez – un point de contrôle entre Israël et le nord de Gaza – pour les livraisons d’aide, permettant ainsi à 30 camions d’entrer. On ne sait pas si d’autres camions sont entrés depuis lors via Erez. En avril, les autorités avaient également commencé à permettre l’arrivée d’une certaine aide depuis le port d’Ashdod, situé au sud de Tel Aviv. Dans une réponse du 30 avril à une requête de la Haute Cour contestant les restrictions sur l’aide, le gouvernement israélien a déclaré qu’il prévoyait également d’ouvrir un point de passage supplémentaire pour l’aide au nord.
Toutefois, malgré ces mesures, Médecins Sans Frontières (MSF) a affirmé le 1er mai que la fourniture d’articles essentiels comme les réservoirs d’oxygène, les générateurs, les réfrigérateurs et les équipements médicaux essentiels continuait d’être bloquée, que très peu d’aide parvenait au nord de Gaza, et qu’il n’y a « aucune clarté ni cohérence quant à ce qui est autorisé à entrer à Gaza ».
Début avril, des chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus dans la région égyptienne du Nord-Sinaï, qui jouxte la bande de Gaza, et se sont entretenus avec des travailleurs de 11 agences des Nations Unies et d’organisations humanitaires envoyant de l’aide à Gaza. Tous ont déclaré que les autorités israéliennes continuent d’empêcher l’entrée de l’aide via l’Égypte. Ils ont affirmé que l’insuffisance de l’aide, malgré une récentehausse, et le rejet arbitraire de l’entrée d’articles essentiels, ne répondent pas au besoin colossal d’aide.
Plusieurs personnes ont déclaré que les autorités israéliennes interdisent, dans certains cas, les articles qu’elles considèrent comme « à double usage », c’est-à-dire qui pourraient être utilisés à des fins militaires, mais il n’existe pas de liste claire de tels articles. En réponse à une demande d’accès à l’information concernant des listes d’« articles à double usage », les autorités israéliennes ont déclaré qu’elles utilisaient toujours une liste qu’elles avaient publiée en 2008. Tania Hary, directrice exécutive de Gisha, une organisation israélienne de défense des droits humains, a déclaré à Human Rights Watch : « Nous voyons que [les autorités israéliennes] interprètent cette liste de manière très large, ce qui n’est pas nouveau, sauf que ceci se déroule sur fond de catastrophe humanitaire. »
Suite à l’attaque menée par des combattants du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, de hauts responsables israéliens ont fait des déclarations publiques exprimant leur objectif de priver les civils de Gaza de nourriture, d’eau et de carburant – politique concrétisée par les forces israéliennes. D’autres responsables israéliens ont déclaré publiquement que l’aide humanitaire à Gaza serait conditionnée soit à la libération des otages illégalement détenus par le Hamas, soit à la destruction du Hamas.
Le Coordonnateur israélien des activités gouvernementales dans les territoires (Coordinator of the Government Activities in the Territories, COGAT), l’organisme militaire chargé de coordonner l’aide humanitaire à Gaza, contrôle totalement ce qui peut être transporté à Gaza. Après avoir été inspectés en Égypte, les camions d’aide humanitaire doivent passer par deux sites d’inspection contrôlés par Israël : Nitzana et Kerem Shalom. Les personnes interrogées par Human Rights Watch ont déclaré que les camions doivent souvent attendre des jours, voire des semaines, pour être inspectés en raison des horaires de travail limités, du temps requis pour utiliser des scanners, ainsi que des procédures d’inspection supplémentaires rajoutées depuis les attentats du 7 octobre en Israël.
Human Rights Watch a écrit au COGAT le 2 avril pour solliciter des commentaires concernant l’obstruction de l’aide par Israël, mais n’a pas reçu de réponse.
Plusieurs pays ont réagi aux restrictions illégales de l’aide par le gouvernement israélien en larguant de l’aide par avion. Les États-Unis se sont également engagés à construire un port maritime temporaire à Gaza. Cependant, les groupes humanitaires et les responsables de l’ONU ont affirmé que de tels efforts étaient insuffisants pour y prévenir une famine.
Les autorités israéliennes devraient ouvrir d’urgence des points de passage supplémentaires et lever les interdictions sur la livraison de biens d’aide essentiels. Elles devraient fournir aux agences humanitaires une liste des articles interdits, ainsi que des spécifications pour les articles autorisés sous certaines conditions. Les inspecteurs devraient fournir des explications écrites pour tout rejet et permettre aux agences de faire appel de tels refus, a déclaré Human Rights Watch.
Le 4 mai, Cindy McCain, directrice américaine du Programme alimentaire mondial, a déclaré : « La famine est là, une véritable famine dans le nord, et [elle] se déplace vers le sud. » Le 22 avril, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) avait déjà signalé que « 1,1 million de personnes sont confrontées à des niveaux de faim catastrophiques ».
Texte complet en anglais : en ligne ici.