GAZA – Les résidents de Gaza sont ballottés par une incessante série de chocs, tels qu’ils ont abaissé notre seuil de sensibilité à presque tout, quel que soit le degré….
GAZA – Les résidents de Gaza sont ballottés par une incessante série de chocs, tels qu’ils ont abaissé notre seuil de sensibilité à presque tout, quel que soit le degré de souffrance. C’est une vie soumise à une sensation permanente de perte : une perte d’espoir, de vie, d’un avenir. Nous nous levons le matin et entendons des reportages sur la flambée des pourcentages du chômage, sur l’eau polluée dans les robinets que nous n’avons pas le droit de boire, sur la cruauté de la pauvreté.
A l’horizon, il y a toujours des promesses de grands plans et de projets d’infrastructures avec un financement international, mais la plupart d’entre elles vendent l’illusion d’un avenir qui ne sera pas forcément meilleur. Les nouvelles douloureuses font maintenant partie du cycle de la vie, comme la nature cyclique de l’électricité, qui n’apparaît que pour moins de huit heures, puis disparaît à nouveau. Les enfants de Gaza sont nés de cette réalité – ils ne demandent plus pourquoi tout ceci arrive dans cette grande prison. Le monde bouge entre des étapes de souffrance.
Cette semaine, je suis à nouveau tombé dans un abîme de désespoir et de chagrin en tant que résident de la Bande lorsque j’ai ouvert mon ordinateur le matin et que j’y ai appris la mort d’un pharmacien de Gaza qui s’est noyé dans la mer en essayant d’aller de Chypre jusqu’au contient européen. J’ai vu ses photos avec sa famille, célébrant la naissance de ses enfants, les bons vœux de la famille lors des dernières vacances, avec entre autres l’espoir qu’ils se reverraient bientôt, dans de meilleurs conditions.
Ce pharmacien, Tamer al-Sultan, n’a pas risqué sa vie pour un gain financier, même si qui mieux que moi sait à quel point la situation économique à Gaza est rude. Je comprends quel était son objectif. Il est parti pour chercher de l’espoir pour ses enfants. Ce qui se passe maintenant à Gaza, c’est une intériorisation du désespoir, à un point que les gens préféreront essayer de s’échapper, avec un véritable risque pour leur vie, uniquement pour chercher de l’espoir.
Je n’ai pas versé une larme comme on s’y attend dans ce genre de situation. Mes pensées se sont gelées. Est-ce que nous tous ici souffrons déjà d’un manque de sensibilité ? D’une incapacité à réagir ? Est-ce l’avenir que nous voulons pour nos enfants ?
Quelques heures avant la mort d’Al-Sultan, il y avait des reportages dans les médias disant qu’Israël envisageait des moyens de rendre l’émigration des Palestiniens de Gaza plus facile étant donnée la dureté de la vie ici. C’était présenté comme un geste des Israéliens envers les Gazaouis. Comme si Israël n’avait aucun lien avec la détérioration de nos conditions de vie.
Le ministre de la Sécurité Publique, Gilad Erdan, a confirmé les reportages et a dit qu’ils résultaient de discussions en profondeur et qu’une démarche pour parler à d’autres pays avait lieu afin de garantir des pays de destination pour les émigrants. Israël est directement responsable de la gravité de la situation actuelle dans la Bande de Gaza et, même s’il est impossible de nier le rôle des administrations palestiniennes, de l’Egypte et du reste de la communauté internationale, Israël est l’acteur principal et le plus important dans cette équation. En fin de compte, étant donné qu’Israël contrôle presque complètement la Bande, c’est également à lui de trouver des solutions.
La noyade de Tamer al-Sultan est un incident douloureux. Sa famille choquée doit maintenant faire face à la question de savoir quel genre de vie elle va avoir sans lui. Peut-être que beaucoup d’autres dans la Bande considéreraient sérieusement la proposition israélienne d’émigrer, bien que ce soit apparemment avant tout un geste destiné à plaire à l’électorat israélien alors qu’une autre Journée Electorale approche. Nous n’avons pas oublié qu’en 1967, Israël a utilisé la même logique afin de persuader les Palestiniens d’émigrer vers d’autres pays et qu’il était aussi prêt à payer pour ce qu’il considérait comme une démarche stratégique.
Nous savons tous qu’il est impossible de régler un problème en ne traitant que ses symptômes. Ce qui se passe à Gaza est une réaction au blocus cruel qu’Israël a appliqué ces 12 dernières années. C’est Israël qui a créé le désespoir et nous a poussés à émigrer vers notre mort.
Les Gazaouis ne veulent pas qu’on facilite les conditions pour qu’ils émigrent et quittent leurs villes et leurs villages, parce que ce n’est pas ce qui mettra fin à leur détresse. La solution, c’est la liberté et l’indépendance, tous les droits et opportunités auxquels ont droit les habitants de la région. La Bande se construira toute seule, avec ses enfants, et elle se redonnera de l’espoir.
L’auteur est un résident de Gaza et coordinateur sur le terrain de l’organisation de défense des droits de l’Homme Gisha.