Éditorial du Monde : Le gouvernement israélien ne doit plus bénéficier de la moindre impunité

Dire clairement que ce qui est en cours à Gaza est inacceptable est nécessaire. Mais cela doit s’accompagner du constat que de nombreux alliés d’Israël n’ont plus rien en commun avec la coalition de Benyamin Nétanyahou, qui a fait le choix d’une dérive plaçant les autorités israéliennes en dehors des nations respectueuses des droits humains.

Une accumulation de déclarations incendiaires finit toujours par définir une politique. En faisant la promesse de la « destruction » de Gaza, en assurant que rien n’interrompra la guerre, que « toute la force » de l’armée israélienne sera déployée à cet effet, en annonçant comme objectif la « dépopulation » de Gaza, le départ de la moitié des Palestiniens et « même bien davantage » d’une terre rendue sciemment et méthodiquement inhabitable, les autorités israéliennes, premier ministre en tête, font le choix d’une dérive qui les place en dehors des nations respectueuses des droits humains.

Il ne s’agit pas que de paroles. Utilisation assumée de l’arme de la faim ; reprise unilatérale, au nom de l’éradication de la milice du Hamas, de massacres de civils palestiniens sous les bombes fournies par les Etats-Unis ; milliers d’enfants tués, estropiés, privés de soins essentiels ; retour aux déplacements massifs de population dans des zones faussement présentées comme sûres : les faits autant que les déclarations ne font que renforcer la possibilité à terme d’une qualification de génocide par la justice internationale, seule légitime à le faire. Les inflexions à la marge de Benyamin Nétanyahou, destinées aux relations publiques, n’y changeront rien.

Des dizaines d’organisations non gouvernementales et internationales ont multiplié les mises en garde, jusqu’à présent en vain. Sans qu’il soit besoin d’attendre, le projet de nettoyage ethnique à Gaza, grossièrement maquillé en « plan de migration volontaire » par les autorités israéliennes, devrait déjà conduire de nombreux pays aux conclusions qui s’imposent. L’heure de la solidarité sans nuances avec un pays frappé dans sa chair par l’attaque terroriste du 7-Octobre est passée. Celle d’une opposition ferme et assumée au projet de la coalition gouvernementale la plus extrémiste de l’histoire de l’Etat hébreu est en revanche venue.

Ce projet est celui d’un Grand Israël, « de la rivière à la mer », enterrant définitivement le droit à l’autodétermination des Palestiniens. Tout y concourt. Les plans pour Gaza comme ceux pour la Cisjordanie occupée, livrée à la violence de colons israéliens sous la protection d’une armée qui a perdu une bonne partie des valeurs dont elle se réclamait. Le contrôle total du cadastrage de la majorité des terres de cette même Cisjordanie que vient de s’arroger l’Etat hébreu est un indice de plus d’une volonté d’annexion.

La coalition de Benyamin Nétanyahou n’avance pas masquée, bien au contraire. Elle a pourtant bénéficié jusqu’à présent d’une indulgence et d’une complaisance qui relèvent désormais de la complicité. Face à ce rouleau compresseur, la passivité a été générale. Surtout de la part de ceux qui prétendent défendre un projet d’Etat palestinien, alors que les bases territoriales de ce dernier disparaissent sous leurs yeux.

La responsabilité du Hamas dans la catastrophe en cours a été et reste écrasante, et le camp palestinien est très loin d’être exempt de reproches. Mais ce dernier a été affaibli, à dessein, à un point qui l’empêche de peser sur le cours des événements. Dire clairement que ce qui est en cours à Gaza est inacceptable, une « honte », selon Emmanuel Macron, est nécessaire. Mais cette étape n’a de sens que si elle s’accompagne du constat que de nombreux alliés d’Israël n’ont plus rien en commun avec la coalition de Benyamin Nétanyahou, et que cette dernière ne peut donc plus bénéficier de la moindre impunité.

La menace de « mesures concrètes » évoquée le 19 mai par le Canada, la France et le Royaume-Uni dans un communiqué commun est un premier pas. La question de sanctions doit être enfin posée, comme celle de la suspension de l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne, dont l’article 2 précise qu’il est fondé sur « le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques », et qui va être réexaminé.

Pour mettre fin à la tragédie humanitaire en cours, sauver le projet national palestinien ainsi que protéger l’Etat hébreu contre lui-même, la dérive choisie par les autorités israéliennes à Gaza comme en Cisjordanie doit avoir un coût, et il doit être élevé.

Le Monde