Des universitaires découvrent une distorsion dans les manuels d’histoire du GCSE au Royaume Uni

  • Un rapport découvre dans des manuels des modifications sur le conflit du Moyen Orient qui sont dangereusement trompeuses
  • Des universitaires disent que les défenseurs d’Israël ciblent les élèves par de la propagande, sous couvert d’éducation
  • L’exécutif du syndicat national de l’éducation (NEU) vote une motion qui exprime sa préoccupation et sollicite une clarification
  • Le rapport conclut que ces livres « ne répondent pas au besoin » et demande leur retrait.

Un groupe d’universitaires a appelé au retrait immédiat de deux manuels du certificat général de fin d’études secondaires (GCSE[[Les GCSE [General Certificate of Secondary Education, Certificat général de fin d’études secondaires] sont les examens que les élèves des établissements secondaires britanniques passent à l’âge de 16 ans. Le GCSE correspond à la fin de la période scolaire obligatoire dans certains pays anglophones. Il est donc souvent comparé au Brevet des collèges en France. Deux années supplémentaires sont ensuite nécessaires en principe pour préparer les A-levels (examens par disciplines), qui déterminent l’entrée à l’université. Il existe aussi une version internationale du GCSE.]]) dont ils disent qu’ils déforment les données historiques et manquent à leur devoir d’offrir aux élèves une vue équilibrée du conflit israélo-palestinien.

Dans leur rapport de huit pages, les professeurs John Chalcraft et James Dickins, respectivement spécialistes du Moyen Orient en histoire et en langue arabe et membres du Comité britannique pour les universités de Palestine (BRICUP) ont trouvé des centaines de modifications dans les manuels – en moyenne trois par page.

Le rapport montre que des modifications ont été apportées au texte, à des chronologies, des cartes et des photos, ainsi qu’à des grilles d’évaluation et des questions à des élèves – dont ils concluent que « on ne devrait pas livrer de la propagande à des élèves en guise d’éducation ».

Le pouvoir exécutif du syndicat national de l’éducation (NEU) a exprimé sa préoccupation sur les découvertes énoncées dans le rapport ainsi que sur le processus éditorial qui a conduit à ces changements dans les manuels ; il a annoncé qu’il allait contacter l’éditeur pour une clarification.

Ces livres, publiés par Pearson, avec pour titres Conflict in the Middle East (Le Conflit au Moyen Orient et The Middle East: Conflict, Crisis and Change (Le Moyen Orient : Conflit, Crise et Changement), sont lus par des milliers d’élèves qui préparent le GCSE et le GCSE international chaque année. Les modifications ont été faites après une intervention conjointe du Conseil Représentatif des Juifs Britanniques et des Avocats Britanniques pour Israël (UKLFI).

Il est noté dans le rapport qu’en dépit de l’étendue des modifications les livres ne mentionnent aucunement qu’ils ont été révisés.

Principaux éléments trouvés dans le rapport

Les changements dans le texte comprennent :

  • Des définitions déformées du droit international ou le citant de façon erronée
  • Le retrait de la référence faite à des événements historiques et l’insertion d’autres références
  • Des changements dans le langage employé pour décrire des événements particuliers ou de groupes de gens
  • Le changement d’énoncés de faits en énoncés d’opinions et inversement.

John Chalcraft, l’un des auteurs du rapport a expliqué : « Les narratifs dans cette région sont inévitablement contestés. De façon écrasante, les changements qui ont été faits sur ces textes ajoutent ou substituent des énoncés, de l’information et des interprétations en faveur d’un narratif israélien et retirent ou remplacent ceux qui soutiennent des narratifs palestiniens. Dans l’ensemble, cela a pour effet de rendre ces livres dangereusement trompeurs ».

Exemple d’une modification trouvée dans le rapport – la caractérisation de la violence.

Un aspect de ce qui est noté dans le rapport et qui a été le point focal d’intenses révisions réside dans la description d’actes de violence et de ceux qui les ont commis. De nombreuses références à de la violence et des agressions juives et/ou israéliennes ont été ôtées ou adoucies, tandis que des références à de la violence ou des agressions arabes et/ou palestiniennes ont été systématiquement ajoutées ou aggravées.

Dans la version originale du manuel CGSE national, il y a dix références au terrorisme juif et 32 au terrorisme palestinien (avec utilisation dans chaque cas des mots « terreur », « terroriste » ou « terrorisme »). Après révision, il y 4 références au terrorisme de groupes juifs et 61 références au terrorisme de groupes palestiniens.

Le changement dans l’accentuation est partout, et pas toujours perceptible dans un décompte des mots. Par exemple, la version originale observait que « les Fedayin étaient des combattants de la liberté ou des terroristes, selon le point de vue qu’on adopte ». La révision donne : « Les Fedayin étaient des terroristes qui ont combattu pour la liberté des Palestiniens ».

Réactions au rapport

Témoignage d’Eugène Rogan FBA, Professeur d’Histoire moderne du Moyen Orient à l’Université d’Oxford :

« Étant donnée la responsabilité historique de la Grande Bretagne, il est particulièrement important que ce sujet soit enseigné d’une manière impartiale et objective. Donner à des défenseurs d’Israël l’occasion d’éditer du matériau destiné à l’enseignement sans donner la même opportunité à des défenseurs de la Palestine d’apporter une contribution est une trahison. Le résultat ne peut que porter atteinte à la confiance dans l’impartialité de l’enseignement d’une question hautement complexe et sensible ».

Témoignage de Neve Gordon, Professeur de droit international et de droits humains à l’Université Queen Mary de Londres :

« Par leur analyse rigoureuse de deux manuels scolaires du GCSE, les professeurs John Chalcraft et James Dickins dévoilent comment des centaines de révisions ont été introduites de manière à modifier et à déformer des faits historiques et politiques concernant Israël/Palestine. Leur rapport suggère que lorsque des maisons d’édition accréditées permettent à des groupes lobbyistes de contribuer à élaborer le programme scolaires, au savoir se substitue l’endoctrinement et nos enfants sont encouragés à adopter une pensée biaisée ».

Témoignage de Khaled Fahmy, Professeur d’études arabes, Kings College Cambridge :

« S’il est louable que les livres d’histoire sur le Moyen Orient soient régulièrement revus et mis à jour, ces deux manuels scolaires ont été révisés de manière choquante et inacceptable. Les manuels scolaires devraient être revus sur la base d’avis et d’expertises d’universitaires et de spécialistes, et non par des évaluateurs choisis par une organisation d’avocats mobilisés pour la défense d’un pays étranger ».

Comité Britannique pour les Universités de Palestine (BRICUP)


Notes pour les éditeurs:

1. Le rapport complet est accessible par ce lien

2. Origine de la révision des manuels

La révision des manuels a été suscitée par la Fédération Sioniste fin 2010. Celle-ci a lancé une pétition en ligne pour le retrait des livres.

Au début de l’année 2020, le Conseil Représentatif des Juifs Britanniques et les Avocats du Royaume Uni pour Israël ont noué ensemble un dialogue avec Pearson « sur des biais allégués dans ces manuels. Dans une interview au Bookseller, un porte-parole des éditions Pearson a dit que « une révision indépendante du texte par une association spécialisée en éducation n’avait trouvé aucune trace d’un préjugé anti israélien. Elle a identifié quelques passages où l’équilibre entre les sources pourrait être amélioré et nous sommes en train d‘actualiser les textes ».

Dans une déclaration (voir la note 5) le Conseil Représentatif des Juifs Britanniques a précisé que les changements apportés relevaient de sa collaboration avec les Avocats du Royaume Uni pour Israël, ajoutant que « nous sommes satisfaits du résultat final ».

Les auteurs du rapport sur les déformations apportées aux textes ont dit qu’ils ne sont au courant d’aucune consultation de la part de Pearson auprès d’historiens palestiniens ou de personnes décidées à rééquilibrer les narratifs.

3. Autres réactions au rapport:

Témoignage de Caroline Rooney, Professeur d’études africaines et moyen orientales à l’Université du Kent :

« Il est inquiétant de découvrir que ces manuels scolaires ont été largement révisés d’une manière incompatible avec un processus de révision universitaire érudit. Il est important que les élèves apprennent à faire la distinction entre différents points de vue sur un conflit et des biais de propagande de ceux qui ont de forts intérêts d’un côté du conflit. Les manuels révisés ne répondent pas à ce besoin ».

Témoignage de Ken Jones, Professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université Goldsmiths de Londres :

« L’histoire repose sur la preuve et sur l’interprétation. Là où les interprétations divergent, les étudiants devraient avoir les moyens de les examiner. La révision de ces manuels refuse ces moyens aux étudiants et les dirige vers des narratifs sélectifs et incomplets ».

Témoignage d’Henry Maitles, Professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université de l’Ouest de l’Écosse :

« Les amendements me semblent prendre des livres parfaitement équilibrés et les transformer en ressources unilatérales et biaisées. Il est important s’agissant de thèmes contestés d’avoir une approche équilibrée. Ces changements en éloignent les textes en question. Ils risquent désormais d’être considérés comme de la propagande. L’éditeur devrait réévaluer ces livres et assurer qu’un équilibre leur soit restitué ».

4. Quelques exemples illustrant les changements apportés (voir le rapport pour plus de détails)

  • La version originale dit que « le droit international établit qu’un pays ne peut pas annexer ou occuper indéfiniment un territoire conquis par la force ». C’est là le consensus international dominant en matière de légalité. La version révisée remplace par : « Certains défendent le point de vue selon lequel un pays ne peut pas annexer ou occuper indéfiniment un territoire obtenu par la force (c’est nous qui soulignons).
  • Dans l’édition originale il est déclaré que durant la première intifada de 1987-93 « les bras et les doigts d’enfants palestiniens qui lançaient des pierres ont été cassés (par des soldats israéliens). Ce fait est bien documenté. Il a été enlevé de la version révisée.
  • L’édition originale comporte une description par un membre de la Haganah (la principale organisation paramilitaire juive) de l’expulsion de masse d’Arabes traumatisés pendant la guerre de 1948-49. Dans la version révisée elle a été remplacée par un récit du départ beaucoup plus paisible d’une seule famille arabe.
  • La réduction par l’OPEP de la production de pétrole qui a eu pour effet une hausse des prix après la « guerre de Kippour » de 1973 est présentée de façon différente dans les deux éditions. Dans l’édition originale, « cela montre la force de leur colère face à l’avancée d’Israël en Égypte ». Cette explication est remplacée dans l’édition révisée par « l’hostilité des pays de l’OPEP à l’égard d’Israël et de ses alliés ». La raison de cette hostilité a été effacée.
  • Un Plan D a été tracé par la Haganah en mai 1948, une ébauche pour l’expansion des zones aux mains des Juifs au-delà de celles assignées à l’État juif en germe dans le plan de partage de l’ONU. L’édition originale dit que « même si ce n’était pas son intention, un historien israélien moderne a écrit que le Plan D ‘a ouvert la voie à l’opération de nettoyage ethnique en Palestine’ ». Cela a été ôté de l’édition révisée.
  • Il a été écrit dans l’édition originale que les Palestiniens ont été chassés de Jérusalem Est aux mains des Israéliens ; dans l’édition révisée, cela devient qu’ils ont « ressenti qu’ils avaient été chassés de force » (c’est nous qui soulignons).
  • Il n’y a pas de trop petite modification: le massacre de Deir Yassine (dans lequel les forces israéliennes ont tué au moins 107 civils palestiniens) est décrit dans la version originale du manuel international du GCSE comme « une des pires atrocités de la guerre (de 1948) ». Dans l’édition révisée, le mot « atrocités » a été remplacé par « actes ».

5. Description du processus de révision des textes par le Conseil Représentatif des Juifs Britanniques

Une déclaration publiée par le Conseil Représentatif des Juifs Britanniques décrit le processus conduisant à la révision des manuels scolaires, qui comprend les éléments suivants :

Après des échanges initiaux constructifs avec Pearson, le Conseil Représentatif des Juifs Britanniques a travaillé avec UKLFI (les avocats du Royaume Uni pour Israël) à la production de commentaires approfondis sur les deux manuels, que Pearson a reçus et sur la base desquels il a agi. Après un processus long et détaillé qui s’est étendu sur plusieurs mois, les livres ont été publiés à l’usage des étudiants pour l’année scolaire 2020-2021.

La présidente du Conseil Représentatif des Juifs Britannique, Marie van der Zyl a dit : « Nous applaudissons Pearson pour son ouverture à des retours constructifs et pour son consentement à la révision de ces manuels. Nous sommes satisfaits du document finalement obtenu qui présente le conflit du Moyen Orient d’une manière équilibrée et fidèle. Je voudrais rendre un hommage particulier et remercier spécifiquement UKLFI pour leur travail ardu et leurs efforts dans la collaboration avec nous pour arriver à ce que ces manuels soient positionnés là où ils devaient l’être ».

Dans ce document, un porte-parole de l’éditeur se réfère à « une nouvelle édition » mais il n’y a aucune indication à l’intention du lecteur des textes révisés que ce sont de nouvelles éditions, ni aucune indication de l’étendue des révisions apportées à l’original.