Des membres du personnel de l’Union européenne critiquent le soutien « incontrôlé » de von der Leyen à Israël

Plus de 800 membres du personnel de l’Union européenne et diplomates internationaux adressent une lettre à la cheffe de l’Union européenne, lui disant que la position du bloc ne fait qu’encourager la violence.

Bruxelles, Belgique – Alors que Gaza est bombardé sans relâche par Israël, plus de 800 membres du personnel de l’Union européenne ont écrit à la cheffe du bloc, Ursula von der Leyen, pour critiquer son soutien « incontrôlé » d’Israël.

Les signataires de la lettre, qu’Al Jazeera a vue, disent qu’ils « ont du mal à reconnaître les valeurs de l’UE », affirmant qu’« au cours des derniers jours notre institution a été apparemment indifférente au massacre de civils en cours dans la Bande de Gaza, sans égard pour les droits humains et le droit humanitaire international. »

 Ils disent qu’ils sont attristés par le « double standard » de la Commission, puisqu’elle considère le blocus de l’Ukraine par la Russie comme un acte de terrorisme, alors que le blocus de Gaza par Israël est « complètement ignoré ».

« Si Israël n’arrête pas immédiatement, l’intégralité de la Bande de Gaza et de ses habitants sera effacée de la planète », dit la lettre.

« Nous demandons instamment, à vous [von der Leyen] et aux dirigeants de toute l’Union, d’appeler à un cessez-le-feu et à la protection des vies des civils. Cela est au coeur de l’existence de l’UE », ont-ils dit, avertissant que « l’UE risque de perdre toute crédibilité ».

La lettre témoigne des profondes divisions à l’intérieur du bloc sur la manière d’approcher la guerre entre Israël et Gaza, qui en moins de deux semaines a tué des milliers de personnes.

 Les « récentes actions ou positions malheureuses » de la Commission européenne « semblent donner carte blanche à l’accélération et à la légitimité d’un crime de guerre dans la Bande de Gaza », dit la lettre.

A Gaza, plus de 4000 Palestiniens ont été tués, dont beaucoup étaient des enfants.

« Nous aurions été fiers que l’Union européenne … ait appelé à une fin immédiate des hostilités et de la violence sans distinction contre des civils », continue la lettre.

L’appel à von der Leyen vient après d’autres signes de frictions politiques en Occident, avec des informations selon lesquelles des diplomates des Etats-Unis préparent un « câble de désaccord » sur la guerre au Moyen-Orient, un document critiquant la politique de Washington et adressé aux dirigeants du Département d’Etat.

La Commission européenne a dit être informée de la lettre et être prête à communiquer avec les membres du personnel et les citoyens européens pour comprendre leurs points de vue.

« La Présidente a dit à plusieurs occasions qu’il ’n’y avait pas de contradiction à exprimer notre solidarité avec Israël et à agir pour les besoins humanitaires du peuple palestinien’ », a dit à Al Jazeera un porte-parole de la Commission.

« Elle a aussi dit : ‘Il ne peut y avoir d’hésitation sur le côté où nous sommes : l’Europe sera toujours du côté de l’humanité et des droits humains’. »

Une source de l’UE, qui a demandé à rester anonyme, a dit à Al Jazeera que la lettre ne changerait probablement pas la politique de l’UE, « mais elle montre la division croissante avec de nombreux membres du personnel qui veulent voir le droit international appliqué dans le monde entier. »

Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, est actuellement aux Etats-Unis pour un sommet UE-US.

« Nous défendons la paix et la prospérité. En soutenant l’Ukraine dans son combat pour la liberté. En défendant Israël et en répondant aux besoins humanitaires dans la région », a-t-elle dit jeudi.

« Ils pensaient que ce serait comme l’Ukraine »

Une autre source de l’UE a dit à Al Jazeera que la contestation s’accroît parce que l’équipe de von der Leyen « semble avoir très mal interprété la situation ».

« Eux — elle et ses conseillers les plus proches — pensaient que cela [cette guerre entre Israël et le Hamas] serait comme l’Ukraine, donc qu’ils devaient condamner les terroristes et gagner la bataille morale. Mais je pense qu’ils étaient purement et simplement ignorants du niveau de l’oppression vécue par les Palestiniens et de l’interprétation répandue de ce conflit comme d’une réaction violente à l’occupation », a dit un officiel [de l’UE] à Al Jazeera.

[Traduction de X
Ursula von der Leyen
@vonderleyen
Bonne réunion avec @CharlesMichel avec une délégation bipartite du Sénat des US. Le partenariat transatlantique est fort ! Et plus nécessaire que jamais dans ces temps agités. Nous défendons la paix et la prospérité. En soutenant l’Ukraine dans son combat pour la liberté. En défendant Israël et en répondant aux besoins humanitaires dans la région.]

Von der Leyen lutte « encore moralement sur la manière de prendre position », a dit cet officiel, ajoutant que sa position à partir de maintenant dépendra probablement des démarches diplomatiques à l’échelle mondiale et de ce que dit le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken ».

« [Son] équipe essaie d’ajuster sa ligne et de reconnaître qu’ils ont mal interprété la situation. Ils essaient d’écrire un narratif de manière à pouvoir encore être vus comme des alliés indéfectibles d’Israël, mais aussi comme une force diplomatique dans la région, tout en essayant de maintenir un certain degré de crédibilité vis-à-vis de la guerre en Ukraine », a dit le responsable.

« Dans le cas présent, il semble que les Américains seront les adultes dans la pièce », a ajouté le responsable.

A quelques rues de la Commission européenne, un sentiment analogue de colère se développe au sein du personnel du Parlement européen, dirigé par Roberta Metsola.

« Voir deux des trois présidents [von der Leyen et Metsola] soudainement en Israël, épaule contre épaule avec un régime qui tue des civils, était plutôt choquant », a dit à Al Jazeera un responsable du Parlement, qui a demandé l’anonymat.

« Comment se fait-il que Mackelmore ait adopté une position plus humaine que la Commission européenne », ont-ils dit, en faisant allusion au rappeur et chanteur américain qui a appelé à un « cessez-le-feu en Israël » et aussi à « une Palestine libre ».

Parallèlement, le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a reçu des louanges de certains membres du personnel qui pensent qu’il a une position plus nuancée sur la situation actuelle à Gaza ; au cours de cette dernière guerre, il a régulièrement appelé à la fois à la libération des otages israéliens de Gaza et à ce que l’aide arrive au plus vite dans la Bande de Gaza assiégée et au bord de l’effondrement.

Kristina Kausch, une responsable basée à Madrid du German Marshall Fund of the United States, a dit que des « incohérences » jettent une lueur sur les « divisions profondes à l’intérieur de l’UE à propos de ce conflit ».

Au cours de la dernière décennie, a-t-elle ajouté, les 27 nations du bloc « ont à peine réussi à publier des déclarations communes » sur les crises israélo-palestiniennes.

En conséquence, la politique de l’UE sur le dossier Israël-Palestine, un repère clé de l’efficacité de l’UE comme acteur mondial, « est restée bloquée dans l’impuissance ».

Jeudi, au siège du Parlement européen à Strasbourg, les membres ont adopté une résolution appelant à « une pause humanitaire dans la guerre Israël-Gaza ».

Mais des responsables ont parlé à Al Jazeera de nouvelles divisions — par exemple qu’il y a eu des débats pour décider si « cessez-le-feu » ou « pause » devrait être utilisé dans la résolution.

Un responsable a souligné que la résolution ne mentionnait pas du tout l’occupation israélienne ou le blocus sur Gaza.

Un quatrième responsable de l’UE auquel Al Jazeera a parlé a décrit une atmosphère tendue dans toute l’institution, beaucoup se sentant honteux de travailler pour le bloc.

« Pour les employés de ma génération, ‘Plus jamais’ signifie vraiment quelque chose », ont-ils dit. « Nous nous souvenons du 11 septembre et beaucoup d’entre nous ont manifesté contre la guerre en Irak. Je pense donc que plein de gens ont été horrifiés quand von der Leyen et Metsola ont paru donner carte blanche à Israël, apparemment en notre nom. L’espace pour exprimer de la solidarité avec les Palestiniens semble rétrécir.

« La confusion entre les juifs et l’Etat d’Israël est aussi un problème — Le manque de diversité à la fois des juifs et des musulmans travaillant pour l’UE n’aide pas. »

Source: Al Jazeera