Des jeunes de Gaza défient la guerre pour un concours de mathématiques

De jeunes Palestiniens étudient sur leurs téléphones pour les Olympiades de maths et rêvent d’aller au MIT au milieu des ruines de leur enclave détruite

Karam Al-Kurd était un candidat improbable pour une victoire à l’Olympiade de mathématiques palestinienne.

La maison de ce jeune de 17 ans, à Deir al-Balah, au centre de la Bande de Gaza, a été partagée au cours de l’an dernier avec de nombreux parents évacués. La famille a souvent peu à manger à part de la nourriture en conserve. Il y a à peine assez d’énergie solaire pour recharger le téléphone qu’Al-Kurd utilise quand il peut afin de poursuivre ses études.

Il n’a pas pu assister à des cours d’entraînement pour la compétition ; son école étant fermée à cause de l’attaque d’Israël, il a appris tout seul à résoudre des problèmes de maths avancés avec l’aide de son frère aîné et de quelques manuels.

Ces efforts ont payé quand son score dans le test en ligne de cinq heures, à la première place, lui a valu de pouvoir participer à la finale internationale au Royaume Uni en juillet dernier, avec des équipes de 108 autres pays.

Cela aurait été la première fois qu’il aurait quitté Gaza.

« C’est un talent inconnu », a dit Samed AlHajajla, 25 ans, qui dirige l’équipe palestinienne de l’Olympiade internationale de mathématiques.

Un concours de mathématiques peut sembler ésotérique, particulièrement dans un territoire déchiré par la guerre où beaucoup de jeunes gens quittaient l’école avant même que le conflit ne ferme les institutions éducatives.

Et maintenant, les élèves doivent équilibrer leurs efforts pour continuer à étudier et ceux pour échapper aux munitions lourdes, trouver de l’eau potable à boire et traverser les checkpoints.

Depuis que l’attaque du Hamas contre Israël l’an dernier a déclenché la guerre, l’offensive d’Israël à Gaza a tué plus de 43000 personnes, selon les autorités de santé locales, et a laissé une grande partie de la Bande de Gaza en ruines, sa population presque entièrement déplacée.

Mais AlHajajla, qui a été un élément moteur derrière la participation de la Palestine aux Olympiades pour la première fois en 2022, est déterminé à ne pas laisser la guerre interdire aux jeunes palestiniens des succès académiques au plus haut niveau.

« Vous pouvez connaître toutes les théories et toutes les lois. Ce n’est pas la question. Il s’agit de pensée créative, critique — il s’agit de penser hors du cadre », dit-il.

«  Faire que les gens pensent correctement, pensent abstraitement, c’est l’essence de la résolution de problèmes. Vous pouvez ensuite construire des solutions et des modèles qui peuvent être appliqués à n’importe quoi. »

Au cours de ses 65 ans d’histoire, les Olympiades internationales de mathématiques (IMO) ont été un tremplin pour quelques-uns des jeunes esprits mathématiques les plus affûtés du monde, dont environ la moitié des médaillés Fields.

Les six questions de la finale annuelle défient les élèves bien au-delà du niveau scolaire. Résoudre ne serait-ce qu’un de ces problèmes vous vaut une mention honorable, ce qui ouvre la porte aux meilleures universités.


AlHajajla est revenu l’an dernier de Londres, où il travaille comme ingénieur logiciel pour Meta, en Cisjordanie afin d’entraîner des élèves pour l’IMO et son équivalent informatique, par l’intermédiaire de son entreprise sociale Meshka. Environ 1000 jeunes gens entre 14 et 18 ans se sont inscrits pour le programme gratuit cette année.

Les quatre sélectionnés pour l’équipe 2024, dont Al-Kurd, ont suivi une formation intensive par zoom avec des mathématiciens palestiniens et internationaux.

Hasan Saleh, 17 ans, n’a pu rejoindre que quelques sessions sur le téléphone qu’il partage avec six membres de sa famille. Il a fui sa maison de la ville de Gaza une semaine après le début de la guerre.

« J’ai laissé derrière tous mes appareils, mon ordinateur portable, ma calculette, mes notes de mathématiques, et même quelques-uns des problèmes que j’ai inventés », dit-il. Il a fallu un mois avant qu’il puisse revenir en ligne.

Il s’est qualifié pour la finale bien qu’il ait été forcé de fuir quatre fois l’an passé, une fois avec ‘des bombes volant littéralement au-dessus de nous’ ».

Mais la fermeture du passage de Rafah en Égypte en mai a fait qu’Al-Kurd et lui n’ont pas déposé de demande de visa pour le Royaume-Uni, car ils savaient qu’il n’y avait aucune chance qu’ils puissent quitter Gaza.

Les deux autres membres de l’équipe, qui vivent en Cisjordanie, projetaient d’aller au Royaume-Uni, mais leurs passeports et les visas accordés ont disparu quelque part entre le consulat britannique à Jérusalem, l’ambassade à Tel-Aviv et les imprimeurs à Abu Dhabi.

Ce qui s’est passé n’est toujours pas clair ; le comité d’éthique de l’IMO a lancé une enquête.

Cela a été un rude coup pour l’équipe, qui avait espéré gagner sa première médaille.


AlHajajla pense que l’IMO aurait dû faire des arrangements alternatifs, comme de permettre aux élèves de participer en ligne. « Si cela avait été l’Ukraine, je pense qu’ils l’auraient autorisé », a-t-il dit.

Gregor Dolinar, président de l’IMO, a dit que le bureau et lui « ont espéré jusqu’au dernier moment qu’ils puissent venir ». Il a dit qu’ils s’efforçaient de garantir que les équipes affectées par un conflit puissent participer en Australie l’année prochaine, y compris par un accès en ligne ou une aide financière.


Saleh vit maintenant dans une tente, dans une zone qu’Israël a désignée comme « zone humanitaire », mais qui a cependant été frappée par de multiples frappes aériennes. Il aimerait participer à nouveau à la compétition des Olympiades, mais il lui a été difficile d’étudier. il lui a fallu des mois pour s’inscrire dans une école en ligne.

« Il s’est passé un an sans que j’aie une éducation formelle », a-t-il dit.


Al-Kurd essaie de terminer ses deux dernières années d’école en ligne. Il passe beaucoup de son temps libre à étudier des sujets comme le calcul différentiel et intégral, la théorie des nombres et la logique, suivant un cours de niveau universitaire sur son smartphone.

Al-Kurd, fils d’un avocat et d’une femme au foyer, fait partie des rares Gazaouis à avoir pu rester dans sa maison. Mais comme la plupart dans le territoire, il a perdu des membres de sa famille étendue pendant la guerre, un lourd tribut qu’il est réticent à évoquer.

Il n’a pas pu accepter une offre de bourse pour une université en Inde cet automne, mais il espère candidater à une université à l’étranger l’an prochain — peut-être Stanford ou le MIT.

 « La peur et l’incertitude sur l’avenir rendent difficile de se concentrer parfois », a-t-il dit. « Les maths m’ont beaucoup aidé parce que cela me coupait des situations horribles et me motivait à arrêter de penser à la guerre et à me concentrer sur ce que j’aime faire ».

Il a ajouté : « Quand on étudie les mathématiques, on reste enthousiaste à l’idée d’en apprendre plus pour voir le paysage global ».

Pour AlHajajla, le paysage global, c’est d’inspirer une génération. Il veut établir des programmes d’entraînement dans chaque ville palestinienne.

« Il est si important d’améliorer les compétences des enfants palestiniens à résoudre des problèmes, parce qu’ils sont l’avenir et qu’ils ratent tellement de choses », a-t-il dit.

« Notre système d’éducation n’est pas vraiment bon. Mais maintenant nous avons des exemples d’[anciens] élèves qui font des stages à Facebook ou Google ou obtiennent des bourses dans les meilleures universités du monde.

Si nous pouvons étendre cela au pays tout entier, la Palestine sera un endroit différent. »