Des coups de feu et une vague de panique : une vidéo montre les derniers instants d’un garçon de 12 ans tué en Cisjordanie

Deux enfants sont tués par semaine en Cisjordanie. Deux caméras ont enregistré les circonstances de l’une de ces morts.

La dernière fois que Nassar al-Hammouni a parlé à son fils, Ayman, c’était au téléphone et le garçon de 12 ans débordait de projets pour le week-end suivant, et pour le reste de sa vie. Il avait rejoint une équipe locale de football et projetait de s’inscrire ce week-end à un club de karaté. Il a dit à Nassar que, quand il serait grand, il serait un médecin ou, encore mieux, un ingénieur pour aider son père dans son travail de construction qui le retenait toutes les semaines loin de chez lui à Hébron.

Rien de tout cela – le football, le karaté ou sa future carrière imaginée – n’arrivera maintenant. Vendredi dernier, deux jours après l’appel à son père, Ayman a été tué, abattu par un tir israélien, comme le suggère la vidéo montrée par le Guardian.

L’assassinat d’enfants en Cisjordanie ne sort plus de l’ordinaire, surtout depuis que les Forces de Défense Israéliennes (FDI) ont intensifié leurs opérations en territoire occupé après l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas et le commencement de la guerre de Gaza. Cette intensité a augmenté depuis le cessez-le-feu de janvier dans la Bande.

Jusqu’ici cette année, en moyenne deux enfants ont été tués par semaine, un peu plus que le taux moyen pour 2024 où 93 enfants ont été tués. Les travailleurs des droits de l’homme craignent que le nombre continue d’augmenter alors que les FDI transportent les techniques de Gaza en Cisjordanie, chassant des dizaines de milliers de personnes de chez elles, aplanissant des districts et assouplissant encore plus les « règles d’engagement » qui disent quand un soldat est autorisé à ouvrir le feu.

Ils appellent cela « Gazification » et cela devient la nouvelle normalité. Mais ce qui met le cas d’Ayman al-Hammouni à part, c’est la clarté de la preuve, illustrée par l’enregistrement de deux caméras de sécurité, qui raconte l’histoire des derniers instants de l’enfant.

Ayman et son frère de 10 ans, Aysar, étaient allés avec leur mère, Anouar, rendre visite à leur grand-père et à leurs oncles qui vivaient dans une autre partie d’Hébron, Jabal Jawhar. La traversée de la ville prenait une heure dans le trafic oppressant et obligeait de passer d’Hébron sous contrôle palestinien à une zone gérée par les FDI, dans le cadre du patchwork complexe de la division du territoire imposée à la Cisjordanie.

Jabal Jawhar n’est pas loin du Tombeau des Patriarches, où sont supposés être enterrés Abraham et sa famille biblique, site sacré pour les musulmans, les juifs et les chrétiens. Les vendredis soirs, avant que les colons juifs viennent y prier, les FDI ont effectué des patrouilles agressives dans les districts palestiniens environnants. L’armée, dont les effectifs sont de plus en plus nombreux et sont conduits par des Israéliens de la droite nationale religieuse, est largement perçue dans ses actions en Cisjordanie comme la branche armée du mouvement colonial.

Vers 18 H.30, Ayman venait juste de piquer un sprint vers l’appartement de son grand-père et revenait vers la maison de son oncle Tariq, quand il y a eu un remue-ménage dans la rue principale, 60 mètres plus bas dans une ruelle pavée en pente.

On a entendu un tir et les gens se sont mis à courir, et un jeune homme du quartier dont l’oncle vivait dans la maison voisine a remonté l’allée dans une voiture blanche, le pare-brise percé par une balle. Il s’est garé devant la maison de Tariq et est sorti, examinant sa blessure à l’épaule causée par un morceau de verre.

La scène a été enregistrée par deux caméras de sécurité, l’une à l’angle de la cour de Tariq en direction de la ruelle en pente, et l’autre perchée à l‘extérieur de l’appartement du grand-père d’Ayman, Mohammad Bader al Ajlouni, au dernier étage, avec vue sur les voitures devant la maison de Tariq et à travers la ruelle, à 90 degrés de l’angle de l’autre caméra.

Les deux enregistrements d’images montrent Ayman et deux de ses cousins sortant de la maison de Tariq avec un autre de ses oncles, Nadim al-Ajlouni, qui donne à l’homme blessé un morceau de tissu pour sa coupure à l’épaule.

On entend alors à nouveau du vacarme venant de la ruelle et un autre tir, envoyant le petit groupe de personnes à la recherche d’un abri, dont Ayman et ses cousins. Ayman court derrière la grille de la maison de Tariq et hors de la vue des caméras, c’est alors qu’un autre tir résonne depuis le bas de la ruelle. C’est la balle dont on pense qu’elle a atteint Ayman. L’enregistrement ne prouve pas de façon certaine qui l’a tirée, mais elle montre clairement qu’elle venait de la direction des soldats israéliens qui avançaient vers la maison et qui sont arrivés sur scène quelques secondes plus tard.

Dans la confusion, il semble qu’il se soit passé quelques secondes avant qu’on remarque Ayman. C’est Nadim, son jeune oncle, qui l’a vu le premier. « Il gisait sur les marches de la maison, juste à l’intérieur de la grille. Je suis allé le ramasser, mais j’ai vu qu‘il était déjà parti », a dit Nadim.

Puis les caméras montrent un autre mouvement de panique et les silhouettes de trois soldats remontant la ruelle, fusils pointés, l’un d’entre eux avec une torche brillante le long du canon. Le voisin blessé, le cousin d’Ayman, et son petit frère Aysar, qui entre temps était descendu de l’appartement de son grand-père, tous s’enfuient entre les voitures garées. Nadim sort en courant de la grille d’entrée de Tariq portant Ayman, mais lâche sa veste, puis Ayman dans son effort désespéré pour s’enfuir.

Le corps du garçon est laissé par terre entre une voiture et le mur du jardin de Tariq alors que les soldats atteignent la maison. Ils observent autour d’eux pendant quelques secondes, puis aperçoivent le corps et, à ce moment là, font demi-tour et repartent calmement, les cris de la mère d’Ayman derrière eux après qu’elle ait trébuché sur le corps de son fils.

Nadim ramasse encore une fois le corps mou d’Ayman et lui et Tariq descendent la ruelle, sur les pas des soldats qui se retirent, en direction de l’hôpital voisin.

C’était déjà trop tard. La famille doit encore recevoir le rapport médical, mais une association de plaidoyer, Défense des Enfants International – Palestine (DCIP), s’appuyant sur ses contacts à l’hôpital d’Hébron où a été emmené Ayman, a dit que la balle était entrée par son dos et s’était logée dans ses poumons.

Nassar et Nadim ont dit eux aussi qu’Ayman avait été frappé dans le dos, tandis que Mohammad, le grand-père, a dit que la blessure se trouvait en haut du ventre.

Nassar a reçu l’appel à Ramallah, où il travaille dans la construction et la sécurité pour l’Autorité Palestinienne. Un proche lui a d’abord dit qu’Ayman avait été touché par balle, mais Nassar a exigé la vérité et, le temps d’être en route, il savait déjà que son fils était mort.

Un ami l’a conduit pendant la nuit, passant par les checkpoints de l’armée le long de la route. A un endroit au nord de Bethléem, connu sous le nom de « container checkpoint », on a pointé un fusil sur Nassar en lui demandant de sortir de la voiture.

Le père endeuillé a dit qu’en entendant ce qui s’était passé à Hébron, un soldat parlant arabe a commencé à le narguer, prétendant que c’était lui qui avait tiré sur Ayman et disant à Nassar « Convaincs moi que je l’ai tué pour rien.

« Nous espérons que tu vas suivre ton fils », se souvient-il que lui a dit le soldat.

Les FDI n’ont pas répondu aux questions sur la mort d’Ayman. Dans certains cas antérieurs, sous la pression des médias, une enquête a été annoncée, bien qu’elle se traduise rarement en action substantielle. En 2019, un soldat a été condamné à un mois de service civique pour avoir tué par balle un garçon de 14 ans à Gaza. Mais même une sanction aussi légère est extrêmement rare.

Une association israélienne de droits de l’homme, Yesh Din, a calculé la probabilité pour qu’un soldat israélien fasse l’objet de poursuites pour avoir tué des Palestiniens et qu’elle ne se montait qu’à 0,4 % – une poursuite sur 219 décès portée à l’attention de l’armée.

Mercredi, Aysar est retourné à l’école pour la première fois depuis le tir, mais il ne pouvait envisager de voir la classe de son frère aîné de l’autre côté du couloir depuis la sienne. Nassar a demandé au professeur s’il pouvait changer de place.

Ayman était un bébé prématuré et s’est retrouvé dans une couveuse à l’hôpital pendant plus d’un mois, s’est souvenu Nassar. Mai être un enfant n’est pas vraiment une protection en Cisjordanie.

« Il s’agit de rage et de vengeance », a dit Nassar. « Peu leur importe qu’il s’agisse d’un enfant, ou d’une femme, ou d’un vieillard. Plus personne n’est en sécurité. »