Des armes israéliennes munies d’éclats d’obus causent des blessures dévastatrices à des enfants de Gaza, selon les médecins.

Des chirurgiens qui ont travaillé à l’hôpital Européen et à l’hôpital al-Aqsa décrivent de larges blessures causées par des bombes à fragmentation dont les experts disent que c’est voulu pour maximiser les pertes.

Des armes fabriquées en Israël, conçues pour pulvériser de grandes quantités d’éclats d’obus causent des blessures horribles aux civils à Gaza et causent des lésions disproportionnées aux enfants, ont dit au Guardian des chirurgiens étrangers qui ont travaillé dans ce territoire au cours des derniers mois. 

Les médecins disent que de nombreuses morts, amputations et blessures qui changent le mode de vie d’enfants qu’ils ont traités venaient de tirs de projectiles aériens ou terrestres – dans des zones pleines de civils – garnis d’un surplus de métal conçu pour se fragmenter en minuscules morceaux d’éclats d’obus.

Des médecins bénévoles de deux hôpitaux de Gaza ont dit qu’une majorité de leurs opérations étaient faites sur des enfants touchés par de petits morceaux d’éclats d’obus qui laissent à peine percevoir les blessures mais créent des destructions de grande ampleur à l’intérieur du corps. Amnesty International a dit que les armes semblent conçues pour maximiser les pertes.

Feroze Sidhwa, un chirurgien traumatologue de Californie, a travaillé à l’hôpital Européen du sud de Gaza en avril.

« À peu près la moitié des blessures que j’ai prises en charge concernaient de jeunes enfants. Nous avons vu une quantité de lésions dues à des éclats qui étaient petites, très petites au point de ne pas les voir en examinant un patient. Beaucoup, beaucoup plus petites que tout ce que j’ai vu auparavant, mais causant des dégâts énormes à l’intérieur », a-t-il dit.

Des experts en armement ont dit que les éclats d’obus et les blessures correspondent à des armes fabriquées en Israël dans le but de créer des lésions en grand nombre, à la différence d’armes plus conventionnelles utilisées pour détruire des bâtiments. Les experts posent la question de la raison de ces tirs dans des zones pleines de civils.

Radiographie de la blessure faite à la jambe d’un enfant de 15 ans par éclat d’obus dont une partie s’est logée dans l’os. Le chirurgien a dit : « L’éclat est entré par la gauche dans le tibia et est sorti par le péroné, à droite sur l’image. Le mot que nous employons pour un os très écrasé est « comminutif » (broyé). Le broyage d’un os ne va pas plus loin que cela ». Le chirurgien a inséré une plaque en acier inoxydable vissée dans le tibia. Photo : The Guardian

Le Guardian a parlé à six médecins étrangers qui ont travaillé dans deux hôpitaux de Gaza, l’Européen et al-Aqsa, au cours des trois derniers mois. Tous ont dit avoir découvert  des blessures de grande ampleur causées par des armes à fragmentation, dont ils ont dit qu’elles avaient contribué à des taux alarmants d’amputation depuis le début de la guerre. Ils ont dit avoir vu ces blessures chez des adultes et des enfants mais que les dégâts causés étaient susceptibles d’être plus graves sur des corps jeunes.

« Les enfants sont plus vulnérables à toute blessure par pénétration parce que leurs corps sont plus petits. Les parties vitales de leurs corps sont plus facilement perturbées. Lorsque des enfants ont des vaisseaux sanguins lacérés, ces vaisseaux sont tellement petits qu’il est très difficile de leur redonner forme. L’artère qui irrigue la jambe, l’artère fémorale n’a l’épaisseur que d’une nouille chez un petit enfant. C’est très, très petit. Aussi est-il très difficile de la réparer et de la maintenir fixée dans le membre de l’enfant » a dit Sidhwa.

Mark Perlmutter, un chirurgien orthopédique de Caroline du Nord, a travaillé dans le même hôpital que Sidhwa.

« Les blessures les plus courantes sont de loin celles où l’entrée et la sortie ont un ou deux millimètres » a-t-il dit.

« Les radiographies ont montré des os démolis avec une blessure de la taille d’une tête d’épingle d’un côté, une tête d’épingle de l’autre côté et un os dont on dirait qu’un semi-remorque a roulé dessus. La plupart des enfants que nous avons opérés avaient ces petits points d’entrée et de sortie ».

Perlmutter a dit que des enfants touchés par une multitude de petits éclats sont fréquemment morts et que nombre de ceux qui ont survécu ont perdu des membres.

« La plupart des enfants ayant survécu avaient des blessures neurologiques et des blessures vasculaires, cause majeure d’amputation. Les vaisseaux sanguins ou les nerfs sont touchés et quand ils viennent le lendemain, la jambe ou le bras sont morts » a-t-il dit.

Sanjay Adusumilli, un chirurgien australien qui a travaillé à l’hôpital al-Aqsa du centre de Gaza en avril, a récupéré des éclats faits de petits cubes de métal de trois millimètres de large environ, lors de l’opération d’un jeune garçon. Il a décrit des blessures d’armes à fragmentation reconnaissables par les éclats détruisant l’os et les organes en ne laissant qu’une égratignure sur la peau.

Des experts en explosifs qui ont passé en revue des images des éclats et les descriptions que les médecins ont données des blessures ont dit qu’elles correspondaient à des bombes et obus équipés de « manchons à fragmentation » autour de l’ogive explosive de façon à maximiser les blessures. Leur usage a aussi été documenté lors d’offensives passées d’Israël sur Gaza. 

L’obus M329 est une des nombreuses armes utilisées par l’armée israélienne avec fragmentation ajoutée

Le projectile fait 750mm de long et pèse 27kg. Il contient six sous-munitions, chacune contenant des
explosifs emballés dans un « manchon à fragmentation » fait de cubes de tungstène. Lorsqu’il explose,
l’enveloppe se brise et ces cubes partent dans toutes les directions dans un rayon de 20 mètres.
Graphique du Guardian. Source: IMI systems, Guardian reporting, Alamy.

Trevor Ball, ancien technicien de l’armée américaine chargé de la neutralisation des explosifs et munitions, a dit que l’explosif pulvérise des cubes de tungstène et des roulements à billes beaucoup plus mortels que l’explosion elle-même. « Ces balles et ces cubes présentent l’effet de fragmentation principal de ces munitions, l’étui des munitions n’occasionnant qu’un effet de fragmentation beaucoup plus faible. La plupart des munitions et bombes d’artillerie traditionnelles comptent sur l’étui de munition lui-même plutôt que sur l’ajout d’un chemisage à fragmentation » a-t-il dit.

Cubes extraits d’un enfant par Sanjay Adusumilli, un chirurgien australien travaillant à l’hôpital al-Aqsa du centre de Gaza. Photo obtenue par Le Guardian

Ball a dit que les cubes de métal récupérés par Adusumilli sont typiquement présents dans les armes de facture israélienne comme certains missiles Spike tirés depuis des drones. Il a dit que les descriptions des médecins sur les points d’impact minuscules des blessures s’accordent aussi avec les bombes à effet de souffle et des pièces de tanks équipées de manchons à fragmentation tels que l’obus M 329 APAM conçu pour pénétrer à l’intérieur de bâtiments et le canon M339 que son fabricant, Elbit Systems de Haïfa décrit comme « fortement létal contre une infanterie démontée ».

Certaines armes sont conçues pour pénétrer des bâtiments et tuer tous ceux qui se trouvent à l’intérieur. Mais lorsqu’elles sont tirées dans des rues ou parmi des tentes, cela n’est pas contenu de la même façon.

« Le problème se pose sur la façon dont ces munitions de petite taille sont employées » a dit Ball. « Même une munition relativement petite employée dans un espace surpeuplé, en particulier un espace dépourvu de protection contre la fragmentation ou faiblement protégé contre, tels que sont les camps de tentes de réfugiés, peuvent entraîner des morts et blessures significatifs. 

Amnesty International avait initialement identifié des munitions garnies de cubes de métal dans les missiles Spike tirés sur Gaza en 2009.

« Ils semblent conçus pour causer le maximum de blessures et, à certains égards, paraissent être une version plus sophistiquée des roulements à billes ou des clous et boulons que des groupes armés intègrent souvent à des roquettes et des bombes suicides artisanales » a dit Amnesty dans un rapport  à l’époque.

Ball a dit que les armes équipées de manchons à fragmentation sont « des munitions relativement petites » comparées aux bombes à large souffle qui ont endommagé ou détruit plus de la moitié des bâtiments de Gaza. Mais parce qu’elles sont équipées de métal additionnel, elles sont très mortelles dans les environs immédiats. Les éclats d’un missile Spike sont connus pour tuer et blesser gravement dans un rayon de 20 mètres.

Un autre expert en armement, qui a préféré ne pas être nommé parce qu’il travaille parfois pour le gouvernement des États-Unis, a mis en question l’usage de telles armes dans des zones de Gaza surpeuplées de civils.

« L’argument est que ces armes sont plus précises et limitent les blessures dans une aire plus petite. Mais lorsqu’elles sont tirées dans des espaces à forte concentration de civils vivant dehors sans rien pour se mettre à l’abri, les militaires savent que la plupart des blessures vont être celles de civils » a-t-il dit.

En réponse à des questions sur l’usage d’armes à fragmentation dans des zones où sont concentrés des civils, les Forces de Défense Israéliennes ont dit que le commandement militaire est tenu de « considérer les différents moyens de la guerre également capables de remplir un objectif militaire défini et de choisir ceux dont il est attendu qu’ils causent le plus faible dommage indirect dans les circonstances données ».

« L’armée israélienne fait différents efforts pour réduire le tort causé aux civils dans la mesure du possible, compte tenu des circonstances opérationnelles qui prévalent au moment des frappes » ont-elles dit.

« L’armée israélienne examine les cibles avant de frapper et choisit les munitions appropriées en accord avec les considérations opérationnelles et humanitaires, prenant en compte une évaluation des caractéristiques structurelles et géographiques de la cible, de l’environnement de la cible, des effets possibles sur les civils alentour, sur les infrastructures vitales des environs et plus ».

L’agence de l’ONU consacrée à l’enfance, l’UNICEF, a dit qu’un nombre « stupéfiant » d’enfants ont été blessés dans l’attaque d’Israël sur Gaza. Les Nations Unies estiment qu’Israël a tué plus de 38 000 personnes à Gaza dans la guerre actuelle, dont il est confirmé qu’au moins 8000 sont des enfants, bien que les chiffres véritables soient susceptibles d’être bien plus élevés. Des dizaines de milliers ont été blessés.

En juin, l’ONU a ajouté Israël sur la liste des États qui commettent des violations contre des enfants pendant des conflits, et elle décrit l’échelle des meurtres à Gaza comme « un niveau sans précédent et une intensité de graves violations contre des enfants » principalement perpétrées par les forces israéliennes.

Nombre de cas rappelés par les chirurgiens concernent des enfants gravement blessés lorsque des missiles ont atterri sur des zones, ou à proximité, où des centaines de milliers de Palestiniens vivent sous tente après avoir été chassés de leurs maisons par l’attaque israélienne.

Radiographie d’un homme dont le corps contient de minuscules éclats (les taches blanches). Photo : Le Guardian

Perlmutter a dit avoir rencontré des blessures similaires de façon répétitive.

« La plupart de nos patients avaient moins de 16 ans » a-t-il dit. « La blessure de sortie de la balle n’est que de deux millimètres. L’entrée de même, voire plus petite. Mais on peut voir que la vitesse est extrême à cause du dégât à l’intérieur. Quand de multiples petits fragments se déplacent à des vitesses insensées, ils font des dégâts sur les tissus mous qui dépassent de loin la taille du fragment ».

Adusumilli a expliqué le traitement qu’il a prodigué à un garçon de six ans, arrivé à l’hôpital après qu’un missile israélien a frappé la tente où sa famille vivait après avoir fui leur maison bombardée par Israël. Le chirurgien a dit que l’enfant avait des blessures de la taille d’une tête d’épingle qui ne donnaient pas d’indication sur l’étendue des dégâts sous la peau.

« J’ai dû ouvrir son abdomen et son torse. Il avait des lacérations sur ses poumons sur son cœur et des trous dans l’intestin. Il a fallu tout réparer. Il a eu la chance qu’il y ait un lit dans l’unité de soins intensifs. Mais, malgré tout, ce jeune garçon est mort deux jours plus tard » a-t-il dit.

Un médecin urgentiste états-unien travaillant actuellement au centre de Gaza, qui n’a pas souhaité donner son nom de peur de compromettre son travail sur place, a dit que le personnel médical continue à traiter des blessures profondément pénétrantes créées par des éclats à fragmentation. Le médecin a dit qu’il venait d’agir sur un enfant souffrant de blessures sur le cœur et sur des vaisseaux sanguins majeurs et qu’une accumulation de sang entre ses côtes et ses poumons lui donnait du mal à respirer.

Sidhwa a dit que “environ la moitié des patients que nous prenions en charge étaient des enfants ». Il a gardé des notes sur plusieurs d’entre eux, notamment sur une fille de neuf ans, Jouri, gravement blessée par des éclats d’une frappe aérienne sur Rafah.

« Nous avons trouvé Jouri dans un coin, mourant de septicémie. Nous l’avons emmenée au bloc opératoire et avons découvert que ses deux fesses avaient été complètement lacérées. L’os inférieur de son pubis était exposé directement à la peau. Ces blessures étaient couvertes d’asticots. Sur sa jambe gauche un gros morceau de muscle manquait sur le devant et à l’arrière ainsi que 5 cm du fémur. L’os de la jambe avait tout bonnement disparu” a-t-il dit.

Sidhwa a dit que les médecins ont pu sauver la vie de Jouri et traiter le choc septique. Mais pour sauver ce qui restait de sa jambe, ils l’ont raccourcie en plusieurs opérations.

Le problème, dit Sidhwa, est que Jouri va nécessiter des soins constants pendant les années à venir, qu’il est peu probable qu’elle trouve à Gaza.

« Elle a besoin d’une intervention chirurgicale de pointe tous les ans ou tous les deux ans pendant sa croissance pour reconstituer son fémur à la longueur nécessaire pour l’équilibrer avec la jambe droite, sinon elle ne pourra pas marcher » a-t-il dit. 

« Si elle ne sort pas de Gaza, si elle survit, elle sera complètement estropiée pour toujours ».

Adusumilli a dit que les armes à fragmentation entraînent de nombreuses amputations chez les enfants qui ont survécu.

« Le nombre d’amputation auxquelles nous avons dû procéder était incroyable, en particulier sur des enfants » a-t-il dit. « Pour sauver leur vie il fallait choisir d’amputer leur jambe ou leurs mains ou leurs bras. Il y avait un flux constant d’amputations au quotidien ».

Adusumilli a opéré une fille de sept ans qui avait été frappée par un éclat de missile atterri près de leur tente familiale.

Un garçon de 15 ans souffrant de malnutrition a une blessure de la taille d’une tête d’épingle au milieu du torse. Photo : Le Guardian

“Elle est arrivée, le bras gauche complètement arraché. Sa famille a apporté le bras enveloppé dans une serviette et dans un sac. Elle avait des blessures d’éclats sur l’abdomen, aussi ai-je dû ouvrir son abdomen pour contrôler le saignement. Il a fallu amputer son bras gauche” a-t-il dit.

« Elle a survécu, mais la raison pour laquelle je me souviens d’elle est que tandis que je me ruais vers le lieu d’intervention, elle m’a rappelé ma propre fille et c’était en quelque sorte très difficile à accepter émotionnellement ».

L’Unicef a estimé que rien que pendant les 10 premières semaines du conflit environ 1 000 enfants avaient perdu une de leurs jambes ou les deux, par amputation.

Les médecins ont dit que beaucoup de membres auraient pu être sauvés dans des circonstances plus normales, mais que le manque de médicaments et de lieux d’intervention limitait les chirurgiens à procéder aux urgences pour sauver des vies. Quelques enfants ont supporté des amputations sans anesthésie ou analgésiques à la suite de l’intervention, ce qui a freiné leur rétablissement, à cela s’ajoutant les infections rampantes dues à des conditions malsaines et au manque d’antibiotiques.

Adusumilli a dit qu’en conséquence, certains enfants sauvés sur la table d’opération sont morts par la suite alors qu’ils auraient pu être sauvés dans des conditions différentes.

« Le côté triste est qu’on fait tout ce qu’on peut pour aider ces enfants. Mais à la fin de la journée, du fait que l’hôpital est tellement surpeuplé et qu’il n’a pas les ressources nécessaires en soins intensifs, ils finissent tout simplement par mourir par la suite ».

  • Des Palestiniens portent des corps enveloppés dans des linceuls à l’hôpital Al-Aqsa de Deir al-Balah à Gaza. Photo: APAImages/REX/Shutterstock