La Société britannique des Études sur le Moyen-Orient [The British Society for Middle Eastern Studies, BRISMES] est fermement engagée dans la défense de la liberté académique. Dans la présente déclaration, le Comité de BRISMES pour la liberté académique explique sa position, à savoir que, contrairement aux affirmations courantes, les boycotts académiques peuvent être cohérents avec le respect de la liberté académique et des droits humains fondamentaux, — et même nécessaires à ce respect — particulièrement dans des contextes d’injustice systémique.
Le Comité de BRISMES pour la liberté académique mène un travail étendu pour surveiller et défendre la liberté académique dans la recherche, l’étude et l’enseignement des Études sur le Moyen-Orient, tant au Royaume-Uni qu’au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et dans le monde entier. Nous publions cette déclaration pour clarifier la relation entre liberté académique et boycotts académiques, qui sont devenus de plus en plus importants dans notre champ dans les dernières années.
Nous reconnaissons qu’il y a de prime abord une tension potentielle entre les boycotts académiques et la liberté académique, certains opposants des boycotts académiques alléguant que le boycott académique d’un pays spécifique ou de ses institutions académiques contreviendrait à la liberté académique de ceux et celles qui y travaillent, et de ceux et celles qui peuvent souhaiter collaborer avec ces institutions. Néanmoins, en tant qu’association engagée dans la défense de la liberté académique et du libre échange des connaissances, nous pensons que, dans certains contextes, les boycotts académiques peuvent légitimement être utilisés stratégiquement pour faire avancer la liberté académique et les droits fondamentaux dont cette liberté dépend. Les boycotts académiques devraient alors être compris non comme un principe, mais comme une tactique qui peut être utilisée pour protéger et défendre le personnel universitaire et les étudiants et étudiantes dont la liberté et les droits sont systématiquement violés. Nous approuvons donc la déclaration de l’Association américaine des professeurs d’université [American Association of University Professors] disant que « les boycotts académiques ne sont pas en eux-mêmes des violations de la liberté académique ; ils peuvent au contraire être considérés comme des réponses tactiques légitimes à des conditions qui sont fondamentalement incompatibles avec les missions de l’enseignement supérieur. »
Le concept de liberté académique ne peut exister dans le vide, séparé des réalités sociales et politiques qui façonnent les conditions du travail universitaire. La liberté de produire et d’échanger des connaissances dépend de l’accès à d’autres libertés de base, dont le droit à la vie, à la liberté, à la sécurité des personnes et à la protection vis-à-vis d’arrestations ou de détention arbitraires ; le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; le droit à défendre des opinions sans interférence ; le droit à la liberté d’expression ; le droit à participer aux affaires publiques ; le droit à l’égale protection et à une protection effective contre les discriminations : le droit à la liberté d’association : le droit à se réunir pacifiquement ; le droit au travail ; le droit à participer à la vie culturelle ; le droit à l’éducation ; et le droit à la liberté de déplacement. Ces droits sont inscrits dans des instruments juridiques internationaux, dont la Déclaration universelle des droits de l’Homme et la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels.
S’opposer aux boycotts académiques dans un contexte où des populations entières se voient systématiquement dénier leurs droits fondamentaux — dont l’accès à l’éducation — est une mauvaise compréhension de la nature de la liberté (académique). Celle-ci n’est pas seulement l’absence de censure ou de contrôle d’État ; elle requiert un environnement où tous les individus, indépendamment de leur nationalité, de leur ethnie ou de leur identité politique, peuvent participer librement à l’échange d’idées. En l’absence de telles conditions, les appels à des boycotts académiques peuvent être justifiés.
Des appels à la mise en oeuvre de boycotts académiques tactiques sont souvent inspirés par leur contribution au démantèlement des systèmes politiques et institutionnels bâtis sur une injustice structurelle, comme dans le cas du système d’apartheid en Afrique du Sud. D’autres appels ont été suscités par des situations où la violation des droits humains et de la liberté académique étaient devenus systématiques, comme dans le cas de la Turquie après le licenciement de masse et les poursuites judiciaires de collègues qui ont signé la lettre de 2016 : « Nous ne participerons pas à ce crime » des « Universitaires pour la paix » [Academics for Peace]. Au vu de ce que de nombreux experts juridiques internationaux et organisations des droits humains ont caractérisé comme une campagne génocidaire lancée par Israël contre Gaza, la Campagne palestinienne pour le Boycott académique et culturel d’Israël (Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel, PACBI), qui existe de longue date, a gagné une importance encore plus grande et a provoqué des débats intenses.
Dans ce contexte, il existe des preuves étendues que la liberté académique, la liberté d’expression et le droit à l’éducation sont systématiquement déniés aux universitaires et étudiants palestiniens par les autorités israéliennes. Des restrictions sévères sur les déplacements, des arrestations arbitraires et le déni d’un accès à l’éducation sont des réalités quotidiennes pour les Palestiniens. Alors que les institutions académiques israéliennes bénéficient de partenariats internationaux, de subventions et de prestige, leurs homologues palestiniennes opèrent sous occupation et siège, la vie académique étant rendue presque impossible. Le scolasticide en cours à Gaza suit presque deux décennies de blocus, qui ont créé une situation catastrophique dans laquelle les étudiants se voyaient fréquemment refuser la permission de partir pour leurs études à l’étranger ou même en Cisjordanie.
En Cisjordanie, les universités palestiniennes sont fréquemment soumises à des raids des forces militaires israéliennes. Par exemple, l’université Birzeit a subi des raids à de nombreuses reprises, avec des soldats pénétrant sur le campus, entrant de force dans les bureaux des étudiants et arrêtant les leaders étudiants. Ces actions ne sont pas des incidents isolés mais font partie d’un schéma plus large de répression qui mine le droit à l’éducation. Les étudiants palestiniens, particulièrement ceux et celles impliqués dans le militantisme ou des mouvements politiques, sont souvent soumis à des arrestations arbitraires et à des détentions administratives, une pratique dans laquelle les personnes sont détenues sans charge explicite, ni procès, pendant des périodes indéfinies.
De manière cruciale, les institutions académiques ne sont pas des acteurs neutres. Comme cela a été mis en lumière pendant l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, les universités existent dans des systèmes politiques et sociaux plus larges et peuvent par conséquent être impliquées dans les structures de pouvoir et de domination qui définissent ces systèmes, ou peuvent même les perpétuer activement. Comme cela a été bien documenté par des universitaires et des militants, beaucoup d’universités en Israël collaborent avec l’armée et l’industrie d’armement d’Israël, développant des armes et de la technologie utilisées dans l’assujettissement des Palestiniens et l’occupation illégale de leur pays. Parallèlement, l’Université hébraïque à Jérusalem est construite sur des terres palestiniennes confisquées, renforçant l’annexion par Israël de la cité (ce qui est illégal selon le droit international).
L’appel de PACBI cible les institutions académiques israéliennes, et non les individus. La distinction est critique quand on évalue la relation entre la liberté académique et les boycotts académiques. La campagne cherche à faire rendre des comptes à ces institutions pour leur rôle dans la violation systématique des droits humains palestiniens. Comme pour le boycott en Afrique du sud, de telles actions sont conçues pour être arrêtées une fois leurs objectifs —la restauration des droits et des libertés — réalisés.
BRISMES est profondément inquiet d’entendre des rapports de plus en plus nombreux selon lesquels les associations professionnelles arrêtent les débats et les conversations sur les boycotts académiques. Par exemple, nous avons appris que des membres de l’Association pour les langues modernes (Modern Languages Association, MLA), de l’Association des Études internationales (International Studies Association, ISA) et de l’Association historique américaine (American Historical Association, AHA) ont récemment vu bloquées ou interdites leurs requêtes d’avoir des discussions ou des votes sur le boycott académique d’Israël. Ces mesures semblent être elles-mêmes des violations de la liberté d’expression et du débat scientifique ouvert. Nous exhortons toutes les associations professionnelles à respecter les valeurs de liberté académique en permettant des discussions ouvertes entre membres sur la situation à Gaza et sur les stratégies pour y faire face.
Tous les universitaires méritent la liberté académique, particulièrement ceux et celles pour qui elle est systématiquement déniée. Plutôt que comme violations de la liberté académique, les évaluations des boycotts académiques doivent reconnaître leur potentiel comme instruments pour sa défens et pour celle des droits humains plus larges dont elle dépend.
Comité de BRISMES pour la liberté académique
18 juin 2025