La France en retrait des initiatives européennes pour dénoncer les partenariats avec les universités israéliennes

Les recteurs belges, rejoints par 4 500 universitaires européens, appellent à ne plus financer les projets de recherche israéliens, lorsque les établissements ont des liens avec l’armée. En France, les présidents d’université se tiennent à l’écart du débat.

La discrétion absolue : c’est la politique adoptée depuis vingt mois par l’enseignement supérieur français au sujet des partenariats académiques et de recherche avec les universités israéliennes. Aucun directeur d’école ou président d’université ne s’est ainsi exprimé publiquement, compte tenu de la situation à Gaza, pour annoncer le réexamen des accords passés avec des institutions impliquées dans la recherche militaire de l’Etat hébreu.

Les recteurs des universités belges, pour leur part, viennent d’adresser le 21 juin un « appel urgent » à l’Union européenne (UE) et aux Etats membres pour que soit retiré à Israël son statut de membre du programme européen de recherche et d’innovation, Horizon Europe.

L’initiative est appuyée par quelque 4 500 universitaires européens, qui ont signé lundi 23 juin une pétition, remise à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Ils dénoncent le financement de ces recherches par l’UE qui contribue, selon eux, « au développement de technologies de pointe à double usage et de sécurité, susceptibles d’être utilisées pour tuer des civils, détruire des infrastructures civiles et contrôler et réprimer le peuple palestinien dans les territoires occupés ».

En Espagne, dès le 9 mai 2024, la Conférence des recteurs d’université avait appelé au boycott des relations académiques avec Israël. En juin 2025, le Trinity College de Dublin et l’université de Genève en ont fait autant.

« Goût pour la répression »

En France, c’est avant tout la mobilisation étudiante depuis près de deux ans qui a fait émerger cette problématique, que redoutent d’aborder les chefs d’établissement. A Sciences Po Strasbourg, la question du maintien du partenariat avec l’université Reichman, en banlieue de Tel-Aviv, a fait l’objet d’un revirement : en décembre 2024, le conseil d’administration a en effet affirmé son soutien à sa poursuite, six mois après avoir voté pour sa suspension. Ce boycott « n’a pas d’autre signification que de dénier l’existence d’Israël », avait argumenté le directeur de l’Institut d’études politiques de Strasbourg, Jean-Philippe Heurtin, qui avait reçu le soutien du précédent ministre de l’enseignement supérieur (septembre-décembre 2024), Patrick Hetzel. « Cette université est indépendante du gouvernement, il s’agit d’une université privée », soulignait également M. Heurtin.

« Porter une motion dans un conseil d’administration pour la suspension des partenariats, c’est déjà un exploit », a relaté Jean Gardin, maître de conférences en géographie à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, le 20 juin, lors de la conférence « Pourquoi le boycott académique maintenant », organisée dans la capitale par l’Union juive française pour la paix et l’Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (Aurdip).

Ancien président de l’université Paris-Dauphine, Ivar Ekeland, à la tête de l’Aurdip, décrit un contexte universitaire contraint. « L’arsenal législatif a été durci, les universités y ont recours avec un goût pour la répression qui n’existait pas autant auparavant, note-t-il. La pression est mise sur les présidents d’université, car le ministère de l’enseignement supérieur les tient par les moyens et les postes d’enseignants-chercheurs qu’il peut décider ou non de leur attribuer. »

Au sujet de cette possible pression, l’entourage du ministre de l’enseignement supérieur, Philippe Baptiste, ne fait aucun commentaire. Il explique que « la ligne qui s’impose au ministère comme à l’ensemble des universités » a été définie par un avis du collège de déontologie du ministère, le 19 juin 2024. Celui-ci prévoit qu’« en France, un partenariat ne peut être rompu par un établissement que pour des raisons académiques » et que « toute rupture de partenariat académique pour des raisons politiques n’est pas conforme au principe de neutralité ».

« La France ne fait rien »

La situation est des plus paradoxales, relève Ghislain Poissonnier, magistrat et membre de l’association Juristes pour le respect du droit international. En vertu d’une convention adoptée en décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies, les universités, à l’instar des Etats, ont en effet pour obligation de prévenir tout génocide et tout crime contre l’humanité, des faits de plus en plus souvent reprochés à Israël par les opposants à la guerre. « Cette convention impose d’agir avec une obligation de moyens », explique M. Poissonnier. Ceux-ci peuvent être politiques, économiques, diplomatiques, mais aussi académiques, jusqu’aux sanctions. Dès le 26 janvier 2024, rappelle-t-il, la Cour internationale de justice a indiqué qu’il existait un « risque plausible de génocide », ce qu’elle a réitéré en mars et en mai 2024.

Le magistrat observe que « la France ne fait rien ». « Elle ne met pas en œuvre son obligation de prévention, et, à ce titre, elle sera sans doute poursuivie pour son inaction », prévoit-il. Il est tout à fait légal, selon lui, de « décider du boycott de l’université Technion [à Haïfa], car elle a des liens avec l’armée israélienne et les entreprises d’armement, ou de celle de Reichman, car ses dirigeants et des professeurs ont pris publiquement des positions favorables au gouvernement et apportent leur soutien aux réservistes ». Seule condition, souligne M. Poissonnier : « Avancer des motifs politiques précis, comme la négation de la Nakba [l’exode forcé des Palestiniens en 1948], le lien avec la colonisation comme dans le cas de l’université d’Ariel [située dans une colonie israélienne en Cisjordanie], la promotion d’un discours raciste, l’apologie de discours de haine… »

Dans l’Etat hébreu, les universités tiennent une place particulière, soutient l’anthropologue israélienne Maya Wind, professeure à l’université de Californie, dans son livre Towers of Ivory and Steel (« tours d’ivoire et de métal », Verso Books, non traduit), publié en janvier 2024.

« La réalité d’Israël »

« Elles forment les gens qui vont commettre le génocide : les militaires, les policiers, les membres des services de renseignement », détaille-t-elle, citant notamment le département d’études islamique et du Moyen-Orient de l’Université hébraïque de Jérusalem, « qui forme les membres du renseignement pour améliorer leurs compétences en surveillance de masse et en constitution de base de données pour massacrer à Gaza ».

Ensuite, « les entreprises d’armement Elbit Systems, Israel Aerospace Industries et Rafael sont nées sur les campus israéliens. Les drones et les missiles testés en direct à Gaza ont aussi été exposés dans des salons comme celui du Bourget ». Cette année, toutefois, les stands de ces entreprises présentant des armes offensives ont été fermés, le 16 juin, sur décision du gouvernement.

Selon Maya Wind, « même la production de connaissances des universités va dans le sens d’une propagande d’Etat, en particulier dans le département d’études juridiques ». Le gouvernement inciterait ainsi des universitaires à produire de nouvelles interprétations du droit international afin de justifier les enfreintes actuelles et les crimes contre l’humanité.

Pour expliquer « la réalité d’Israël », des chercheurs tentent de nuancer cette approche. « Il existe une symbiose, dans un Etat qui est en guerre, entre l’université, l’économie, l’armée, les réservistes, car la solidarité s’impose dans des périodes de grande menace », soutenait ainsi en octobre 2024 Samy Cohen, directeur de recherche émérite à Sciences Po et spécialiste de la société israélienne.

Si les universités françaises ne se prononcent pas en faveur du boycott, c’est que les partenariats en question sont « pertinents, surtout dans le domaine scientifique, comme la médecine ou l’informatique », estimait aussi Denis Charbit. Professeur de science politique à l’université ouverte d’Israël, il appelait à « se méfier d’un regard unilatéral » et à être « capables au coup par coup d’examiner un terrain », avec des autorités universitaires qui « soient en mesure de dire quels sont les usages de telle ou telle recherche et si la ligne rouge a été franchie », plaidait l’enseignant.

Soazig Le Nevé