On peut voir les soldats en train d’enfoncer les portes et de fouiller dans les documents. Ils font nonchalamment des selfies et distribuent en plaisantant des cartes de visite.
La vidéo CCTV d’une attaque israélienne du mois dernier contre le principal groupe palestinien de défense des droits humains a jeté un éclairage nouveau sur l’opération et s’oppose au narratif officiel sur les causes du ciblage de l’organisation.
L’attaque du 18 août au petit matin contre le bureau de Ramallah d’Al-Haq ainsi que de six autres groupes de défense des droits a entraîné une réaction diplomatique et une condamnation internationale du resserrement des restrictions israéliennes sur la société civile palestinienne.
En octobre 2021, Israël a qualifié de soutiens du terrorisme six de ces organisations et prétendu qu’elles avaient des liens avec le Front Palestinien pour la Libération de la Palestine (FPLP) qui a organisé des attaques meurtrières contre Israël. Al Haq et les autres groupes ont rejeté ces accusations, accusant à leur tour Israël de les cibler pour leur travail qui documente les abus présumés contre les Palestiniens.
« L’occupation israélienne a fait pire que (l’attaque contre Al-Haq) » a dit Michaël Sfard, un avocat israélien qui représente le groupe dans deux procès sur sa qualification de terroriste. « Mais il s’agit bien de de franchir la ligne en ciblant les organisations responsables de critiquer des centres du pouvoir. C’est le summum de l’assujettissement et de la domination”.
Le jour de l’attaque du mois d’août, des missions diplomatiques de 17 pays principalement européens, dont la Grande Bretagne et la France ainsi que des États-Unis, ont condamné l’opération israélienne et se sont rassemblées au bureau de Al Haq en signe de solidarité. Le Bureau étatsunien des Affaires Palestiniennes de Jérusalem n’a pas participé.
Le mois précédent, neuf États membres de l’U.E. ont dit, lorsqu’Israël n’a pas réussi à fournir de preuves suffisantes du soutien d’Al Haq au FPLP, qu’ils renouvelleraient le financement d’Al Haq qu’ils avaient suspendu.
Le groupe d’études de Forensic Architecture (Architecture Légale) basé à l’Université de Londres, qui dirige une unité d’enquêtes en partenariat avec Al Haq, a cartographié et synchronisé une prise de vue de l’attaque à partir des quatre caméras de vidéosurveillance du bureau et a partagé le document en exclusivité avec le Washington Post.
“La vidéo montre une réelle contradiction entre ce que dit le ministère (israélien) de la défense sur ce que sont Al Haq et ses organisations sœurs qui défendent les droits humains et la façon dont ses soldats se comportent sur le terrain », a dit le chercheur responsable de la publication qui s’est exprimé sous le sceau de l’anonymat, de crainte de la réaction des autorités israéliennes.
Le bureau principal d’Al Haq est situé dans le centre de Ramallah, la capitale palestinienne de fait, en Cisjordanie occupée par Israël. La ville est contrôlée par l’Autorité Palestinienne, mais l’armée israélienne y mène des opérations militaires.
La vidéo de surveillance a saisi l’arrivée d’au moins neuf véhicules militaires transportant plus d’une douzaine de soldats à 3h du matin. On peut voir des soldats défoncer la porte d’une église épiscopale au premier étage de l’immeuble avant de faire irruption dans le bureau d’Al Haq peu après 3h20. Les soldats sont restés à l’intérieur pendant plus d’une heure.
La vidéo les montre en train de fouiller dans des documents d’un bureau et d’un placard et s’introduire dans des bureaux, y compris celui du directeur, et dans la salle informatique et du serveur. Ils ont enregistré les événements sur leurs portables et se sont fait des selfies et autres photos ensemble. À un certain moment, un soldat a distribué des cartes de visites d’Al Haq prises sur le bureau d’accueil. D’autres sont vus en train de converser de façon détendue tout en déambulant dans les couloirs peints en blanc.
Les forces israéliennes ont coupé l’électricité et l’accès aux caméras de surveillance intérieures pendant 40 minutes environ à partir du début de l’attaque, a dit Forensic Architecture, ce qui a laissé de côté en gros 20 minutes sans observation.
Des caméras extérieures ont filmé des soldats apportant une grosse barre métallique sortie d’un camion, qu’ils ont soudée pour fermer la porte d’entrée. Ils ont utilisé la même méthode pour sceller les portes d’entrée des autres organisations attaquées ce matin-là, c’est-à-dire Défense des Enfants International-Palestine, l’Union des Comités de Femmes Palestiniennes, le Centre Bisan de Recherche-Développement et Addameer qui défend les prisonniers palestiniens.
« Toutes les organisations en question agissent en secret et au service du FPLP en Judée et Samarie comme à l’étranger » a dit le ministre de la défense dans une déclaration lors de l’attaque, employant le terme israélien pour désigner la Cisjordanie.
Forensic Architecture a précédemment analysé des prises de vues de démolitions de maisons par Israël, de frappes sur Gaza et d’autres cas de violence contre des Palestiniens. Mais le chercheur a dit que c’était la première fois qu’ils ont vu le tournage d’une attaque militaire donnant autant de détails.
Un employé de Al Haq qui a parlé sous réserve d’anonymat pour protéger leur sécurité, a dit qu’il semblait qu’aucun document n’ait été retiré du bureau, sans pour autant en être sûr. Les travailleurs sont retournés au bureau mais ils restent circonspects quant à la surveillance et à la sécurité digitale.
« Ce n’est toujours pas un cadre sûr » a dit l’employé. « Nous ne savons pas vraiment quelle est l’étendue des dommages en termes d’infiltration, de bugs et ce genre de choses ».
« Ce fut une opération militaire contre une organisation de la société civile » a-t-il ajouté. « Dans quelle dystopie est-ce que je vis ? »
Ned Price, porte-parole du département d’État a dit à des reporters après l’attaque du mois d’août que les États-Unis étaient « préoccupés » par ces fermetures et qu’ils avaient transmis un message selon lequel il fallait placer très haut la barre pour engager une action contre des organisations de la société civile ».
Price a dit cette semaine à des reporters qu’Israël avait récemment apporté de nouvelles informations et qu’ils « continuent à examiner la question ».
Les Nations Unies ont condamné le raid et la désignation d’Al Haq comme organisation terroriste, disant que cela ne s’est accompagné d’aucune preuve concrète et crédible ».
Al Haq n’accepte pas d’argent de l’Agence des États-Unis pour le Développement International, en signe de protestation contre le soutien des USA à l’occupation militaire des territoires palestiniens.
« Malheureusement, nous n’avons pas vu les États-Unis défendre en aucune manière les droits humains ni la protection des défenseurs des droits humains ou même (prendre soin) de la démocratie et du droit international » a dit l’employé d’Al Haq.
Al Haq a reçu plusieurs prix internationaux . L’organisation a aussi documenté des abus supposément commis par l’Autorité Palestinienne et par le Hamas, le groupe militant qui contrôle la bande de Gaza.
Sfard, l’avocat israélien d’Al Haq, a dit que les dossiers judiciaires ont traîné pendant des mois et qu’Israël a refusé à plusieurs reprises de fournir les preuves qu’il dit avoir contre le groupe. Ses appels ont été rejetés et il dit qu’il a été menacé de sept ans de prison pour le fait de représenter un groupe désigné terroriste sans l’approbation du gouvernement.
L’armée « va probablement attaquer de nouveau » a dit l’employé d’Al Haq. « Ce n’est qu’une question de temps sauf si la responsabilité de leurs actions est établie ».