CheckNews: Une association permet-elle aux citoyens français de financer du matériel aux soldats israéliens contre réduction d’impôts ?

Dans une vidéo postée le 10 octobre, l’avocate Sarah Saldmann encourage les dons pour financer l’équipement de soldats de Tsahal, affirmant qu’ils sont éligibles à des déductions fiscales.

Question posée sur Twitter (renommé X) le 12 novembre 2023.

«Ça ne vous coûte pas grand-chose de faire un don», annonce Sarah Saldmann. Dans une vidéo, partagée le 10 octobre sur le réseau social TikTok, l’avocate au barreau de Paris promeut le versement de dons pour soutenir les soldats mobilisés par Tsahal : «sur le terrain, il y a des soldats qui risquent chaque jour leur vie, et pour assurer leur sécurité, il faut qu’ils aient le meilleur matériel possible». A l’écran apparaît un visuel qui présente le «set d’équipement complet» comprenant notamment un casque et un gilet pare-balles, pour un coût total de 895 euros. «Pour faire un don, c’est très simple, et en plus vous bénéficiez d’une réduction dans la mesure où il y a un Cerfa», poursuit le conseil, en référence au reçu délivré par les associations à leurs donateurs, et permettant de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu. Et Saldmann d’exhorter à inscrire en commentaire, juste avant de procéder au paiement, le nom d’une fête juive, «Simhat Torah», afin que le don soit bien fléché vers le financement d’équipements pour les soldats.

Récemment retirée de TikTok, la vidéo était relativement passée inaperçue depuis un mois. Jusqu’à ce qu’elle fasse l’objet d’un premier tweet dans la nuit de samedi 11 à dimanche 12 novembre, lui-même masqué par X (anciennement Twitter), ce qui a poussé son autrice à repartager cette vidéo dans un second tweet. Entre-temps, la séquence avait été relayée par l’ingénieure Radia Ayad, à l’origine de l’association DMF (pour «Défense des musulmans de France»), dans une publication consultée plus de 1,4 million de fois. «Donc un sioniste qui soutient le massacre de civils, sera remboursé par notre argent à nous Français, qui sommes pourtant majoritairement contre la guerre et pour le cessez-le-feu ?», s’insurge-t-elle. Les images ont également été reprises par différents comptes X d’actualité.

Jointe par CheckNews, Sarah Saldmann explique qu’elle a réalisé cette vidéo parce qu’elle connaît «très bien une personne qui est sur le terrain». En l’occurrence le fils de son confrère Olivier Pardo. Egalement contacté, ce dernier relate : «Mon fils est un soldat israélien, volontaire, parti le 7 octobre. Comme il y a eu 350 000 appelés, ils se sont mis en lien avec des associations, quand ils sont arrivés, en vue d’obtenir du matériel.» Ce fils lui ayant communiqué un appel au financement de matériel, Olivier Pardo précise avoir «sollicité plusieurs personnes dont Sarah Saldmann». Il poursuit : «Mon fils risque sa vie, a participé à des opérations contre le terrorisme, elle n’a fait [cette vidéo] que pour l’aider.»

«J’ai fait ça pour rendre service», abonde l’avocate, chroniqueuse des «Grandes Gueules» sur RMC et invitée régulière de Touche pas à mon poste. «Quand je l’ai postée le 10 octobre, il ne s’est rien passé, je n’ai pas fait plus de vues que d’habitude», souligne-t-elle. Car «à ce moment-là, le contexte était moins tendu, on était encore dans l’émotion». Un mois plus tard, et alors que la riposte israélienne sur Gaza a occasionné des milliers des morts (11 000 selon le ministère de la santé gazaoui, contrôlé par le Hamas), la vidéo appelant à un soutien à Tsahal déductible d’impôts se retrouve au cœur d’une polémique. L’avocate a ainsi été informée que son TikTok faisait l’objet d’un très grand nombre de signalements sur la plateforme gouvernementale Pharos. A tel point que les auteurs de ces signalements ont fini par voir apparaître le message suivant : «Le contenu que vous avez mentionné nous a été récemment signalé à de très nombreuses reprises. Il n’est donc pas nécessaire de poursuivre votre démarche.» Sarah Saldmann a décidé de passer la vidéo «en privé pour anticiper» sa suppression.

Des équipements de confort mais pas de matériel militaire

Sous ce contenu désormais passé à la trappe, un lien renvoyait vers la page de la «plateforme de dons associatifs» AlloDons permettant de donner à ASI (Association de soutien à Israël). Une association dirigée par Gil Taïeb, par ailleurs vice-président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). «Notre solidarité envers Israël au lendemain du massacre du 7 octobre est essentielle», écrit Gil Taïeb, qui ne revient pas spécifiquement sur le sort des soldats israéliens. Plus haut, un visuel placé en bandeau précise : «Reçu Cerfa instantané». Façon de dire que les dons sont éligibles aux réductions d’impôts. Et effectivement, quand on clique par exemple sur la case correspondant à un don de «2 000 euros», on se voit ensuite indiquer qu’«après déduction fiscale», un tel versement ne coûte à l’arrivée «que 680 euros».

Interrogé par CheckNews, Gil Taïeb assure que contrairement à ce que suggère la vidéo de Sarah Saldmann, les fonds perçus depuis le début du conflit n’ont pas servi à financer du matériel militaire. Mais à assurer «le bien-être des soldats et de leurs familles», affirme le vice-président du Crif depuis Israël, où il se trouve actuellement.

«On a essayé de leur porter ce dont ils avaient besoin et dont ils manquaient. Pour les soldats, on amène, au sortir des frontières de Gaza et lorsqu’ils sont sur leurs bases, des machines à laver et à sécher, de quoi prendre une douche, des coiffeurs», énumère Gil Taïeb. Jeudi 9 novembre, dans le cadre de son séjour en Israël, il a ainsi partagé sur Twitter des clichés le montrant à bord d’une camionnette équipée de lave-linges et sèche-linges qui ont été remplis de vêtements militaires. On y voit des soldats se faisant raser la barbe ou servir un repas. Sur la camionnette sont collées les bannières de plusieurs associations, dont celle-ci : «ASI Keren Or – En témoignage de notre amour pour les soldats d’Israël».

Gil Taïeb qualifie ces actions d’«humanitaires» et assure qu’elles «ne participant pas à la chose militaire». Le mêmeaffirme avoir rendu leur argent aux personnes ayant effectué de dons pour financer des équipements militaires, notamment après avoir vu la vidéo de Sarah Saldmann : «Des gens ont voulu faire ce genre d’opérations en passant par nous. Mais nous, on a renvoyé les dons, remboursé les gens, en leur expliquant que ça sortait du cadre de nos actions.»

Le vice-président du Crif en veut pour preuve un message transmis à CheckNews et présenté comme étant adressé aux personnes ayant récemment donné à ASI, via les numéros de téléphone rentrés sur AlloDons. Le texte précise : «Nous vous rappelons que notre action est uniquement en direction […] du bien-être des familles et des soldats. Nous n’accepterons aucun don pour quelque matériel militaire que ce soit.»

C’est ce que reflétaient d’ailleurs les statuts d’une précédente structure que dirigeait Gil Taïeb, l’Absi (Association pour le bien-être des soldats israéliens) Keren Or, dont les activités ont, explique-t-il, récemment été absorbées par l’ASI. Dans sa déclaration en préfecture, à la fin de l’année 2000, il était mis en avant que l’Absi avait pour objet de «mener en France et en Israël toutes les actions ou manifestations au profit de l’amélioration des conditions sociales, culturelles, éducatives et de loisirs des soldats israéliens», et ce «en dehors de la vie militaire».

Des dons hors du cadre déterminé par le code des impôts

Reste que cette précision ne suffit pas forcément à justifier des déductions fiscales, aux yeux des textes législatifs. Pour être éligible à des déductions fiscales, les dons doivent servir à financer certaines catégories d’organismes ou œuvres, listées à l’intérieur du code général des impôts, parmi lesquelles les œuvres à caractère «social» ou «humanitaire».

Or «une force armée étrangère n’entre manifestement pas dans ces catégories», pointe auprès de CheckNews le ministère de l’Economie et des Finances. De même, ajoute le ministère, un don à une association française dont l’objet est de «soutenir une armée étrangère» ne respecte pas «les critères». Une réponse qui exclut donc explicitement tout financement d’équipement militaire, mais semble donc concerner toute aide ciblée vers les soldats de Tsahal.

CheckNews a ainsi interrogé spécifiquement le ministère à propos d’associations qui, comme ASI, «revendiquent apporter en Israël une aide sociale ou humanitaire aux soldats, en leur fournissant des repas, du matériel pour laver leur linge, etc.» A la question : «Les dons servant à financer ces œuvres rentrent-ils dans le cadre fixé par le code général des Impôts ?», le ministère a répondu : «Non car ce n’est pas considéré comme une œuvre sociale ou humanitaire.» Et d’ajouter : «la responsabilité pèse sur l’association qui délivre indûment des attestations aux donateurs. L’association risque d’être sanctionnée sur la base […] du code général des impôts. L’amende est alors égale au montant de l’avantage fiscal indu accordé sur la base des reçus fiscaux. Les donateurs ne sont sanctionnés qu’en cas de collusion avec l’organisme émetteur des reçus fiscaux.»

Outre l’association de Gil Taïeb, plusieurs structures associatives proposent explicitement (parmi diverses initiatives) de flécher des dons vers l’assistance aux soldats israéliens, en promettant donc une ristourne fiscale en échange. La page de dons de l’association SOS Netivot, qui distribue des repas aux soldats, indique que «pour un don de plus de 80 euros, un Cerfa vous est délivré, sur votre demande». Torah Box, quant à elle, invite ses bienfaiteurs à, par leurs dons, apporter aux soldats «de la nourriture, des vêtements, chaussettes, couvertures… et tout ce dont ils ont besoin dans ces moments difficiles». Et spécifie bien que «66 % du montant de votre don à l’association Torah-Box (Tov Li) est déductible de vos impôts». Il en va de même pour Hasdei Avot, qui propose d’«offrir un petit plus journalier» aux soldats (aide financière, mise à disposition d’une maison d’accueil…), à l’aide de dons permettant de «bénéficier d’une réduction d’impôt jusqu’à 66 %».