Deux mois après l’attaque terroriste du Hamas, le bilan presque définitif confirme que certaines horreurs alléguées, parfois relayées hâtivement au plus haut niveau pour obtenir le soutien international, n’ont pas eu lieu.
Le 7 octobre, le Hamas, et à sa suite d’autres factions palestiniennes, ont massacré plus de 1200 personnes, dont près de 800 civils, au nombre desquels des personnes âgées, des familles, des femmes et des enfants. CheckNews est revenu en détail, à de nombreuses reprises, sur ces actes documentés et souvent filmés, que le Hamas continue à nier, en dépit d’innombrables preuves.
Toutefois, depuis deux mois, CheckNews a aussi relevé plusieurs récits et témoignages non confirmés, ou incohérents. Aujourd’hui, le bilan définitif du massacre est presque connu. De même que, pour bon nombre de civils tués, les circonstances de leur décès. Or, les données disponibles confirment que certaines horreurs initialement décrites n’ont pas eu lieu. Ces témoignages concernent quasiment exclusivement des allégations de sévices sur des enfants, qui ont été au cœur de la guerre de communication lancée depuis deux mois. Ils ont été relayés pendant des semaines par des secouristes volontaires, des soldats ou responsables de Tsahal, mais aussi au sommet de l’Etat et de la diplomatie israélienne. Ils ont irrigué la presse mondiale, ainsi que les déclarations de responsables politiques occidentaux.
Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, le ministère des Affaires étrangères ou encore Michal Herzog, femme du Président, Isaac Herzog, ont-ils diffusé sciemment des contre-vérités, parfois dans des échanges diplomatiques au plus haut niveau, dans le but de rallier l’opinion internationale ? Le 7 octobre est un authentique massacre, mais aussi un objet de propagande de guerre. Cet article contient des descriptions choquantes.
Trente-cinq mineurs tués, dont deux bébés
Le mardi 10 octobre, l’armée israélienne autorise des journalistes de la presse étrangère à pénétrer dans le kibboutz libéré de Kfar Aza, situé à moins d’un kilomètre de la bande de Gaza. Un témoignage se distingue : celui de la correspondante anglophone de i24News Nicole Zedeck. «L’un des commandants ici présents a déclaré qu’au moins 40 bébés avaient été tués», dit-elle, ajoutant que «certains d’entre eux ont eu la tête coupée. Il a dit qu’il n’avait jamais vu de tels actes de brutalité». Cette affirmation sera reprise par les médias du monde entier, mais aussi par les autorités israéliennes, durant de longues semaines. Dès le lendemain, le compte officiel de l’Etat d’Israël publie ainsi sur Twitter la vidéo de la chaîne i24 évoquant le massacre de Kfar Aza, accompagnée des mots : «40 bébés assassinés.» L’affirmation s’est ensuite retrouvée en bonne place parmi les vidéos dont Israël a inondé la Toile en octobre pour dénoncer les crimes du Hamas. Notamment un clip du ministère des Affaires étrangères israélien, déjà évoqué par CheckNews, mettant en avant les «40 nourrissons» assassinés, dans une imitation de programmes pour enfants, sur fond de licornes et d’arcs-en-ciel.
Cette affirmation est aujourd’hui démentie par les chiffres. Au 5 décembre, l’Institut national des assurances israélien (NIOI), dont les statistiques font aujourd’hui office de référence, s’était vu communiquer par la police israélienne les noms de 789 victimes civiles identifiées (forces de sécurité exclues), et en a publié 686. Comme nous l’a précisé le ministère des Affaires étrangères, seules dix victimes civiles restaient non identifiées. Parmi la centaine de noms non publiés, un très grand nombre est connu grâce au travail méthodique de collecte effectué par plusieurs médias (dont le quotidien Haaretz) et associations israéliennes, notamment sur la base de signalements effectués par les familles des victimes. Comme le relève auprès de CheckNews un journaliste du quotidien israélien Haaretz, il est extrêmement peu vraisemblable que l’existence d’autres jeunes victimes reste inconnue deux mois après les faits. Des sources internes des instituts médicaux légaux israéliens qui ont reçu les corps nous ont également confirmé que «les bilans officiels sont corrects».
Selon le NIOI, on trouve un seul bébé parmi les civils tués le 7 octobre. Il s’agit de Mila Cohen, 10 mois, qui a été tuée par balle à Be’eri, ainsi que son père. Selon nos informations, il y en aurait toutefois un deuxième : il s’agit d’Omer Kedem Siman Tov, mort dans sa maison incendiée dans le kibboutz de Nir Oz, avec ses sœurs âgées de 5 ans, après que leurs parents avaient été abattus. Omer Kedem Siman Tov apparaît sur le fichier de l’Institut comme âgé de 4 ans. Mais plusieurs éléments concordants consultés par CheckNews, notamment disponibles sur les réseaux sociaux de la famille défunte, indiquent qu’il avait en réalité 2 ans et 3 mois au moment où il a été assassiné. Au-delà de ces deux cas, aucun autre bébé n’a été tué ce 7 octobre dans les kibboutz. Et il n’y a eu aucun bébé «décapité», contrairement à ce qui a beaucoup été relayé. Interrogé par CheckNews à propos du nombre de 40 bébés tués, un porte-parole de Tsahal nous a fait cette réponse : «Un soldat de l’armée israélienne a affirmé qu’il avait été témoin de cela, mais aucune source officielle de l’armée n’a fait de commentaire sur le sujet.»
Selon notre décompte, 35 mineurs ont été tués le 7 octobre, dont sept enfants de moins de 10 ans. Outre Mila Cohen et Omer Kedem Siman Tov, deux autres enfants de la famille Kedem Siman Tov (les jumelles Arbel et Shahar – âgées de 5 ans) ont été tués, dans les mêmes circonstances que leur frère. Yazan Zakaria Abu-Jama, 5 ans, d’une famille de bédouins, a été tué par une roquette. Eitan et Alin Kapshitter, 5 et 8 ans, sont également morts avec leurs parents tués sur la route à proximité de Sdérot. Six enfants entre 11 et 12 ans, et vingt-deux entre 13 et 17, ont aussi été tués. La plupart ont été abattus. Parmi les 35 victimes mineures, 7 ont été tuées par un tir de roquette du Hamas.
A l’aune de ces informations, plusieurs déclarations ayant suivi le massacre du 7 octobre, outre le mensonge des 40 bébés, apparaissent imprécises ou fausses. Certaines peuvent s’expliquer par le chaos qui a suivi le massacre, l’ampleur des destructions, les corps non identifiables. Mais d’autres semblent être de pures inventions, que rien ou presque ne rattache à des faits avérés.
Kfar Aza, épicentre de l’horreur, et des mensonges
La plupart des déclarations fausses relatives à des bébés ou de jeunes enfants s’ancrent à Kfar Aza, l’un des kibboutz les plus durement touchés (plus de 50 personnes y ont été massacrées), là où est né le mensonge des 40 bébés tués, alors qu’aucun jeune enfant n’est listé parmi les victimes. Une partie de ces récits émanent de sources militaires.
Le 17 octobre, le Times of Israel avait couvert la visite du kibboutz de Kfar Aza d’une délégation de parlementaires français. Le colonel Golan Vach, commandant de l’unité nationale de sauvetage de Tsahal, qui accompagnait la délégation, avait raconté, selon le quotidien israélien, «avoir lui-même transporté les corps de bébés décapités». Ce récit est aujourd’hui contredit par les bilans.
Quatre jours plus tôt, le lieutenant-colonel à la retraite Yaron Buskila avait déclaré dans The Epoch Times avoir parlé à un rabbin qui se serait rendu dans le kibboutz de Kfar Aza. II affirmait : «Je regrette même d’avoir rencontré le rabbin. Ses descriptions des choses qu’il a vues étaient si choquantes, que j’ai juste vomi.» Selon Buskila, le rabbin avait vu «des bébés qui étaient pendus en rang» sur une corde à linge, avec «les soutiens-gorge de leurs mères.» Yaron Buskila fait partie de l’Israel Defense and Security Forum (IDSF), une organisation fondée par des généraux de l’armée en retraite, qui exerce un lobbying (notamment à l’international) pour défendre l’idée que la paix d’Israël ne pourra s’obtenir que par la force. Le but officiel de la structure, dont l’ancien militaire est le «directeur des opérations», est de «façonner et d’influencer le récit quant aux besoins de sécurité nationale d’Israël». Dans le «board» et comme porte-parole à l’international de l’IDSF, on retrouve par ailleurs Jonathan Conricus, l’un des principaux communicants de Tsahal dans le conflit actuel.
Le 28 novembre, Yaron Buskila a livré une nouvelle interview au journaliste Yishai Cohen, du site d’information Kikar HaShabbat. Son récit est le même, à la différence qu’il affirme cette fois avoir vu de ses yeux «des enfants, des bébés qui ont été pendus à une corde à linge». Yishai Cohen a été rapidement avisé sur les réseaux sociaux des incohérences du témoignage, du fait de l’absence de bébés décédés à Kfar Aza. Il a supprimé l’échange, non sans préciser que l’interview lui avait été proposée «par un porte-parole de Tsahal». Interrogée sur ces évènements par CheckNews, l’armée israélienne a déclaré que Buskila s’était «vu expliquer de manière claire que des situations comportant des détails vagues et non officiels ne devaient pas être abordées [publiquement]», mais ne nous a pas répondu sur l’affirmation de Yishai Cohen selon laquelle elle lui aurait proposé le témoignage.
Les récits incohérents de Yossi Landau, médiatique responsable de Zaka
D’autres récits incohérents ou non vérifiés parmi ceux que nous avons identifiés proviennent des organismes de secours. Et notamment de Zaka. Cette organisation caritative reconnue par le gouvernement israélien, essentiellement animée par des juifs orthodoxes, se charge de collecter les corps (ou restes des corps) des victimes du terrorisme et d’importants accidents, afin de permettre que des enterrements puissent avoir lieu dans le respect de la religion juive. Dans les jours et les semaines qui ont suivi le 7 octobre, un homme a émergé dans les médias, dans son gilet jaune de secouriste: Yossi Landau, responsable de Zaka pour la région Sud. C’est lui qui a témoigné, face au monde entier, dans des multiples interviews, de nombreuses atrocités commises, sans que la véracité des faits rapportés ne soit jamais questionnée. Plusieurs médias ont dressé son portrait, y compris en France. Mais certains éléments de ses récits sont apparus, après coup, déformés, sinon inventés.
Yossi Landau a souvent raconté avoir découvert le corps de vingt enfants brûlés, à Be’eri : «J’ai vu 20 enfants ensemble, les mains liées dans le dos, et ils ont été abattus et brûlés, en deux piles» (ici sur i24News). Cette affirmation a été reprise par un très grand nombre de médias. Mais pas seulement. Le 12 octobre, Benyamin Nétanyahou se fait filmer au téléphone dans une conversation avec Joe Biden. Il déclare : «Ils ont pris des dizaines d’enfants, les ont ligotés, brûlés et exécutés.» Ce récit est, là encore, contredit par ce que l’on sait aujourd’hui. Dix mineurs sont morts dans le massacre de Be’eri. Pour la plupart adolescents. Ils n’ont pas été regroupés ensemble. Les récits de leur assassinat, pour la majorité d’entre eux, situe en effet leur mort à leur domicile, souvent avec leurs parents.
Dans un article détaillé paru début décembre, le quotidien Haaretz note que le récit de Yossi Landau s’inspire peut-être d’une scène documentée du massacre de Be’eri, mais qui n’a toutefois que peu à voir avec ce que racontent le secouriste et le Premier ministre israélien. Quinze otages, treize adultes et deux adolescents, ont été rassemblés pendant de longues heures, dans une des habitations du kibboutz, par plusieurs dizaines de membres du Hamas qui y étaient eux-mêmes retranchés. La totalité des terroristes, ainsi que presque tous les otages ont été tués (seuls deux ont survécu) lors du violent affrontement entre le Hamas et l’armée. Plusieurs témoignages de survivants ont fait état de tirs de tank israélien sur la maison, qui a été presque entièrement détruite. Parmi les victimes figuraient deux adolescents: Yanai et Liel Hetzroni sa soeur jumelle, âgés de 12 ans. Le corps de cette dernière n’a été identifié que très tardivement. Il s’agit d’un des cas où des civils ont été potentiellement victimes de tirs israéliens.
Yossi Landau a aussi raconté à de nombreux médias internationaux avoir découvert le corps d’une femme enceinte, abattue d’une balle en pleine tête, et dont le ventre aurait été ouvert pour en faire sortir le foetus, lequel aurait été poignardé. «Nous avons dû délibérer pour savoir si nous allions prendre un ou deux sacs mortuaires pour une femme enceinte assassinée et son enfant à naître» raconte-t-il au quotidien allemand Bild, le 24 octobre. Yossi Landau, note de son côté Haaretz, a affirmé que la femme enceinte a été retrouvée morte près de l’habitation 426, composée de deux appartements et située dans un quartier où vivent principalement des personnes âgées. Selon des survivants de l’immeuble interrogés par le quotidien israélien, aucune femme enceinte n’y habitait. Le kibboutz a également assuré à Haaretz que «l’histoire de la femme enceinte rapportée par Zaka est sans rapport avec Be’eri». Contacté par CheckNews, Yossi Landau n’a pas donné suite. Auprès du journal, un porte-parole de Zaka a expliqué qu’en raison de l’état difficile des corps, les volontaires ont pu mal interpréter ce qu’ils ont vu.
Ce témoignage horrifique a pourtant été mis en avant par les autorités israéliennes, par exemple dans un message posté sur Twitter (devenu X) et Instagram, le 27 octobre, par l’ambassade d’Israël aux Etats-Unis. Dans une tribune récente publiée dans le magazine américain Newsweek, et intitulée «Le silence des instances internationales face aux viols massifs perpétrés par le Hamas est une trahison envers toutes les femmes», l’avocate et première dame d’Israël, Michal Herzog, a elle aussi fait référence à cet acte. Elle affirme hâtivement, et de manière erronée : «Une vidéo du Hamas provenant d’un kibboutz montre des terroristes en train de torturer une femme enceinte et de lui retirer son foetus.» CheckNews a pu voir une vidéo qui circule et prétend apporter la preuve de cette exaction. Comme cela a été corrigé notamment par l’Anti-Defamation League, ONG de référence aux Etats-Unis dans la lutte contre l’antisémitisme, les images sont en réalité tirées d’une vidéo partagée en 2018, qui montrerait les sévices commis par un cartel mexicain. Sollicitée par CheckNews, la présidence israélienne reconnaît que «la vidéo qui a ensuite été jointe à l’article n’est peut-être pas liée à l’événement». «Cependant, l’épouse du président s’est exprimée, après avoir également parlé aux travailleurs humanitaires et aux secouristes présents sur les lieux, ainsi qu’aux professionnels de la médecine légale qui ont rassemblé des preuves authentifiant cette affirmation.» Nous avons demandé à être mis en relation avec ces sources. La présidence nous a fait savoir que l’organisation Zaka lui a indiqué que son témoin «n’était pas en capacité de nous répondre en raison des traumatismes vécus», indiquant également que le légiste n’était pas disponible. Mais selon une source au sein des services de médecine légale impliqués dans l’identification des victimes du 7 octobre, aucune victime correspondant à cette description n’aurait été prise en charge.
Yossi Landau a relaté, toujours à propos de Be’eri, la découverte des corps d’une famille, comprenant deux enfants de 6 et 11 ans (ou de 6 et 7 ans, selon une autre interview), torturés pendant que les terroristes mangeaient les restes du repas de shabbat. Les versions données par Landau diffèrent selon les médias auprès desquels il a parlé. Parfois, il a parlé d’enfants brûlés vifs devant leurs parents. Mais la plupart du temps, il a évoqué, en les détaillant, les mutilations infligées à chaque membre de la famille. Ces atrocités, initialement décrites par Landau, ont ensuite été rapportées mot pour mot le 31 octobre devant le Sénat américain par Antony Blinken, secrétaire d’Etat des Etats-Unis : «Un jeune garçon et une jeune fille, âgés de 6 et 8 ans, et leurs parents autour de la table du petit-déjeuner. L’oeil du père a été arraché devant ses enfants. Le sein de la mère a été coupé, le pied de la jeune fille a été amputé, les doigts du garçon ont été coupés avant leur exécution. Et puis leurs bourreaux se sont assis et ont pris un repas. C’est à cela que cette société est confrontée», a-t-il déclaré. Aucun enfant entre 6 et 11 ans n’est mort à Be’eri, selon les bilans disponibles. La seule famille ayant connu la mort de deux enfants de sexe différents à Be’eri est la famille Hetzroni dont les circonstances de la mort, déjà évoquées, ne correspondent pas au récit de Landau. Il est impossible de savoir si les éléments rapportés par le responsable de l’organisme de secours sont la déformation de faits s’étant produits ou une invention. Sollicité par CheckNews, Yossi Landau n’a pas donné suite à nos demandes. Auprès de Haaretz, un porte-parole de Zaka avait précisé que «les bénévoles ne sont pas des experts en pathologie et ne disposent pas des outils professionnels pour identifier une personne assassinée et son âge, ou pour établir comment elle a été assassinée, au-delà d’un témoignage oculaire».
«Obtenir un soutien inébranlable des décideurs américains pour Israël»
Plusieurs autres récits douteux, ou infirmés, ont comme source une autre organisation non gouvernementale : United Hatzalah, qui regroupe des secouristes, urgentistes et ambulanciers bénévoles pour intervenir sur les lieux de sinistres en Israël. Son responsable, Eli Beer, s’est rendu aux Etats-Unis fin octobre, avec l’intention revendiquée d’obtenir le soutien des dirigeants américains. Avant son départ, Beer – qui était entretenu avec Joe Biden lors de la visite du président américain en Israël – avait ainsi déclaré dans le Jerusalem Post : «Nous assistons aujourd’hui aux tentatives de la machine de propagande du Hamas de nier et de minimiser l’ampleur de ces massacres afin d’améliorer sa position internationale pendant la guerre, et il est de notre devoir, en tant que témoins de ces actes barbares, d’obtenir un soutien inébranlable des décideurs américains pour Israël. J’ai raconté certaines de ces histoires au Président, et maintenant je vais les raconter aux membres de la direction républicaine.» Le 28 octobre, Beer a rendez-vous à Las Vegas, devant la Republican Jewish Coalition. Il y évoque les atrocités dont il affirme avoir été témoin (à partir de 32’16), et dont aucune n’a été confirmée. Le responsable commence ainsi par ce témoignage (qui est donc faux, comme indiqué) : «J’ai vu de mes propres yeux une femme enceinte de quatre mois, elle était dans un petit kibboutz. Ils sont entrés chez elle, devant ses enfants, ils lui ont ouvert le ventre, ont sorti le bébé et ont poignardé le tout petit bébé devant elle, puis lui ont tiré dessus devant sa famille. Et puis ils ont tué le reste des enfants.» Il enchaîne : «J’ai vu des petits enfants qui se faisaient décapiter, on ne savait pas quelle tête appartenait à quel enfant. […] Nous avons vu un petit bébé dans un four. Ils ont mis, ces salauds, ces bébés dans un four et ont allumé le four. Nous avons retrouvé l’enfant quelques heures plus tard.»
CheckNews est déjà revenu, fin octobre, sur cette affirmation selon laquelle un bébé aurait été tué dans un four. Elle n’a jamais été confirmée, et a été démentie par plusieurs journalistes israéliens. Le contexte de la mort des deux bébés qui figurent dans le bilan officiel des victimes du Hamas ne correspond en rien à ce que décrit Eli Beer. Plus d’un mois après, sa déclaration continue pourtant de circuler. Lundi 4 décembre, le sénateur républicain de Louisiane John Kennedy a appelé Joe Biden à maintenir le soutien américain à Israël, en argumentant ainsi : «Vous n’avez pas besoin de lire un traité sur le Moyen-Orient pour savoir que seuls les monstres – des monstres au coeur noir – mettraient un bébé dans un four et allumeraient l’interrupteur, comme l’a rapporté un secouriste. C’est le mal pur.» Après un bref échange le 6 décembre, United Hatzalah n’a finalement pas répondu à nos questions concernant ses allégations.
Au moment où Eli Beer témoignait devant les responsables républicains américains, une autre responsable de l’organisation, Linor Attias, donnait une interview à la chaîne américaine CNN. Le 1er novembre, la secouriste décrit cette scène d’horreur à laquelle elle dit avoir assisté à Be’eri: «Il y avait une petite fille, 8 ou 9 ans, ils lui avaient coupé la main, elle respirait encore, c’était son dernier souffle. Elle avait perdu tellement de sang, pendant des heures.»
CheckNews a visionné plusieurs interviews de Linor Attias entre le 7 octobre et le 1er novembre. A aucun moment, dans les récits pourtant circonstanciés qu’elle a livrés de son intervention dans les kibboutz, elle n’avait fait référence à cette séquence. Interrogée par le journaliste de CNN sur les raisons la poussant à témoigner tardivement à ce sujet, Linor Attias a affirmé : «Après trois semaines, j’ai réalisé l’importance de parler de cela.» Aucun autre témoignage, à notre connaissance, ne vient corroborer le sien. Selon les bilans aujourd’hui disponibles, aucune enfant de 8 ou 9 ans n’est morte à Be’eri. Ailleurs, trois enfants de sexe féminin entre 8 et 12 ans ont été assassinées le 7 octobre, mais les circonstances des décès connues sont incompatibles avec le récit de Linor Attias. CheckNews n’est pas en mesure de savoir s’il s’agit d’une déformation, ou d’une invention. Plusieurs titres de presse ont relayé ce témoignage, et le porte-parole du gouvernement israélien Eylon Levy l’a partagé sur les réseaux, avec ce commentaire évoquant le Hamas : «Il n’y aura pas de cessez-le-feu avec le mal.» United Hatzalah ne nous a pas non plus répondu concernant ces allégations.
Un autre récit, non vérifié, concerne enfin les otages, et le fait que le Hamas aurait pris en otage une femme enceinte proche du terme qui aurait accouché en captivité. Le 15 novembre, Sara Nétanyahou, l’épouse du Premier ministre israélien, a écrit à plusieurs «premières dames», dont la femme du président des Etats-Unis, Jill Biden. Dans la missive, elle affirme sans aucune précaution : «Une des femmes kidnappées était enceinte. Elle a donné naissance à son bébé en étant prisonnière du Hamas. Vous pouvez imaginer, comme moi, ce que cette femme doit vivre mentalement depuis qu’elle est détenue avec son bébé par ces meurtriers.» Cette lettre a été très largement relayée par de nombreux médias, tout d’abord en Israël (Times of Israel, i24News…), mais également en France (l’Indépendant, Ouest-France…) à la suite d’une dépêche de l’AFP. Le 18 novembre, soit trois jours plus tard, le tabloid britannique Daily Mail a publié un article affirmant qu’une femme thaïlandaise, otage du Hamas, aurait accouché en captivité. Une information démentie les jours suivants par la famille de l’otage en question (qui a depuis été libérée). CheckNews a interrogé de nombreuses sources israéliennes pour avoir des précisions. Nous n’avons obtenu aucune réponse, ni identifié aucun élément confirmant l’affirmation – à l’inverse, nous avons identifié une source vraisemblable de confusion, liée à une homonymie. Aucune des femmes libérées n’était enceinte ou ne venait d’accoucher, et aucun élément disponible n’indique que l’une des femmes encore otages du Hamas soit dans cette situation.
Cette campagne, soufflée aux oreilles des dirigeants politiques, martelée sur les réseaux sociaux et aux journalistes, a eu pour but de rallier, puis consolider, le soutien de l’opinion israélienne et internationale aux violentes représailles à Gaza. Elle a aussi eu comme effet secondaire de nourrir, sur les réseaux sociaux, un puissant déni des crimes du 7 octobre, servant à mettre en doute les récits authentiques du massacre de quelque 800 victimes civiles. Un dénialisme sur lequel CheckNews, a déjà travaillé, et reviendra en détail la semaine prochaine.