Des chercheurs de Gaza racontent à Nature leur « engagement inébranlable en faveur de l’éducation et de la connaissance » alors que la plupart des universités sont endommagées ou détruites.

Le cessez-le-feu de 42 jours entre le Hamas et Israël, entré en vigueur le 19 janvier, fournit une opportunité vitale pour commencer à s’attaquer à la dévastation laissée par une guerre de 15 mois, ont dit à Nature les scientifiques sur place. Le cessez-le-feu pourrait pourtant s’avérer temporaire, et qu’il tienne ou non, l’avenir à long terme pour le territoire et ses citoyens reste très incertain.
Le bombardement quotidien étant suspendu, les organisations internationales peuvent effectuer une évaluation détaillée des besoins de Gaza en eau, en nourriture, en soins et en infrastructure, disent les chercheurs.
« Il y a besoin de documenter ce qui s’est passé ici à Gaza et de publier [les résultats] avec d’autres chercheurs du monde entier », dit le neuroscientifique Khamis Elessi, directeur de l’Unité de Médecine fondée sur des preuves [Evidence Based Medicine, EBM] de l’université islamique de Gaza, qui passe actuellement la plus grande partie de son temps à traiter des personnes blessées à l’hôpital Al-Ahli Arabi.
Cette connaissance est nécessaire pour guider ceux qui entreprennent le redressement et la reconstruction de Gaza, pendant le cessez-le-feu et quand la guerre sera terminée. « La recherche est essentielle [à ce stade] » ajoute Samer Abuzerr, qui étudie les maladies transmises par voie hydrique au Collège universitaire de science et de technologie de Gaza.
Elessi et Abuzerr font partie des plus de dix scientifiques qui ont parlé à Nature pour cet article. Ces universitaires se sont arrangés pour continuer leurs recherches et quelques-uns ont même publié leurs résultats, alors qu’ils étaient confrontés à la perte de leur domicile, à des déplacements récurrents et à une pénurie de nourriture et de nécessités de base.

« Les efforts de la communauté universitaire palestinienne pour continuer leur travail dans des circonstances si difficiles sont un témoignage de leur engagement inébranlable en faveur de l’éducation et de la connaissance », dit Aya ElMashharawi, chercheuse dans le domaine de l’enseignement en ligne au Collège universitaire de sciences appliquées à Gaza.
Le 7 octobre 2023, quelque 1200 personnes ont été tuées quand le Hamas a attaqué Israël. Environ 47500 personnes ont été tuées en conséquence des représailles d’Israël. Ces chiffres viennent de données rapportées au Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires.
Chercheurs et spécialistes de l’aide humanitaire estiment que 90% des 2,2 millions de résidents de Gaza est sans domicile. Les systèmes fournissant de la nourriture, des approvisionnements, de l’eau, de l’assainissement, de l’éducation, des soins, de l’énergie, et plus largement l’économie ont été détruits ou sont en danger critique, exigeant une reconstruction.
Un autre besoin urgent, disent les chercheurs, est le retrait des débris créés par les dommages des bombes. Selon une évaluation préliminaire du Programme d’environnement des Nations Unies publiée en juin, pour chaque mètre carré de la Bande de Gaza, il y a selon les estimations 100 kilogrammes de débris, béton, fer et acier, ainsi que des résidus de bombes, explosées ou non, d’amiante et de restes humains.
« Plus de 97% de l’eau de Gaza vient d’un aqueduc sous-marin », dit Ahmed Hilles, directeur de l’Institut national de l’environnement et du développement à Gaza. « La porosité [des couches de l’aqueduc] est très élevée, donc le potentiel de contamination [de la nappe phréatique] est aussi très élevé », ajoute-t-il.
Les universités, elles aussi, auront besoin d’être reconstruites. Quinze des 21 universités, collèges universitaires et collèges communautaires de Gaza, ont été soit sévèrement endommagés, soit détruits, selon des données datant de septembre de l’UNESCO, l’agence scientifique et culturelle des Nations Unies.

Dans une réponse écrite envoyée à Nature, un représentant des Forces de défense d’Israël (FDI) a expliqué que, dans le cadre des efforts pour démanteler les capacités militaires du Hamas, « il y a eu le besoin opérationnel, entre autres choses, de frapper ou de perquisitionner des bâtiments » où le Hamas « plaçait son infrastructure terroriste ». Le représentant des FDI a ajouté : « Le Hamas se sert systématiquement de bâtiments publics qui sont supposés être utilisés dans des buts civils seulement, dont des institutions éducatives et des universités. »
Les eaux usées dans les rues
Même avant la guerre, seulement 10% des Gazaouis avaient accès à de l’eau potable. C’est maintenant tombé à 4%. Trente pour cent ont accès à un réseau d’eaux usées, à comparer avec les 70 % pré-guerre, selon un rapport de novembre sur les besoins de reconstruction de Gaza (1) écrit par Hilles, qui enseignait aussi à l’université Al-Azhar de Gaza. « Les eaux usées sont déversées dans les rues. Réparer le système d’assainissement est urgent, pour que la population n’ait pas de maladies transmises par l’eau », ajoute Elessi.
À peu près la moitié des 36 hôpitaux de Gaza ne fonctionnent pas, et le reste n’est que partiellement opérationnel, selon l’Organisation mondiale de la santé. Les Gazaouis souffrent de taux élevés de diarrhées, d’infections respiratoires et d’hépatites virales, selon une étude dont Abuzerr est un co-auteur et qui a été publiée en novembre dernier (2).
« Nous avons 350 000 patients avec des maladies chroniques qui n’ont pas eu de suivi pendant les size derniers mois. Nous avons 11000 patients avec un cancer », dit Elessi. « Ils souffrent tous et leur état se détériore parce qu’il n’y a ni thérapie ni possibilité de les envoyer à l’étranger. Ces patients devraient être traités de manière urgente. »
« Reconstruction accélérée »
ElMashharawi a étudié l’impact des déplacements sur les près de 200 membres du personnel de son université. « Établir des abris temporaires et accélérer la reconstruction des maisons est une priorité absolue », dit-elle.

« Quatre étages au-dessus de nous ont été bombardés, tuant 30 personnes », dit El Mashharawi, qui est maintenant dans le camp de réfugiés de Nuseirat. « C’était une expérience incroyablement terrifiante que je ne peux même pas décrire, mais par la grâce de Dieu, nous avons survécu », se rappelle-t-elle.
Hilles a été déplacé huit fois à l’intérieur de la Bande de Gaza, avant de partir pour l’Égypte fin avril. « Mes enfants ont fait face à la mort de nombreuses fois », dit-il. Abuzerr a aussi perdu sa maison, et vit et travaille dans le camp de réfugiés de Nuseirat.
Faire vivre la recherche
« La guerre a changé mon objectif, de l’innovation académique à la survie basique, comme de récupérer de l’eau de sources distantes, de cuisiner sur un feu ouvert et de payer des prix de luxe pour des aliments de base », dit ElMashharawi.
Malgré cela, ElMashharawi est déterminée à continuer ses recherches. « Je reste impliquée dans mon parcours académique », dit-elle. « Je dois souvent marcher de longues distances pour trouver des endroits où je peux recharger mon ordinateur portable et mon téléphone cellulaire, en comptant sur les boutiques équipées de systèmes solaires. Cela me permet de travailler seulement quelques heures par jour. » C’est alors qu’elle peut utiliser des banques de données en ligne et des outils de collaboration à distance pour poursuivre ses recherches.
Abuzerr exploite le travail qu’il faisait avant guerre et s’oriente vers des recherches qualitatives, qui exigent moins d’infrastructure, une stratégie partagée par d’autres universitaires. « Prélever des échantillons n’est pas possible, parce que vous n’avez pas le matériel. Les recherches expérimentales et cliniques ont été remplacées par des recherches descriptives », ajoute Elessi.
Plusieurs universitaires disent qu’ils ont simplement abandonné leurs recherches entièrement. « J’aspirais à continuer des recherches avancées » dit le chercheur en informatique Hazem A. Elbaz de l’université Al-Aqsa. « Les conditions actuelles à Gaza donnent le sentiment que ces rêves sont presque hors d’atteinte ».
Elessi dit : « La chose la plus urgente maintenant est de convertir ce cessez-le-feu en un cessez-le-feu permanent. C’est la première fois en 471 jours que nous pouvons dormir sans entendre des explosions supersoniques, gigantesques et de forts tremblements de terre nuit et jour. Nous avons l’impression de rêver encore. J’espère que cela durera toujours ». ElMashharawi ajoute : « Il y a une détermination collective pour rester sur cette terre et servir les générations à venir. »
doi: https://doi.org/10.1038/d41586-025-00160-w
Références
- Hilles, A. M. Reconstruction and Environment (Friedrich Ebert Stiftung, 2024).
- Zinszer, K. & Abuzerr, S. J. Water Sanit. Hyg. Dev. 14, 1182–1192 (2024).
Photo : Bâtiments bombardés sur le campus de Khan Younis de l’université Al-Aqsa. Crédit : Doaa Rouqa/Reuters