Personne ne sait ce qui va se passer quand l’interdiction par Israël de l’agence des Nations Unies qui fournit des services vitaux à Gaza, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie entrera en vigueur le 1er février.
Pressant son visage contre les barres bleues du guichet de la pharmacie, Fatmeh Jahaleen a réclamé juste quelques boites supplémentaires de son médicaments. Elle compte sur cette pharmacie, à l’intérieur d’une clinique de Jérusalem-Est gérée par l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA, pour son approvisionnement mensuel de médicaments pour la tension et les reins, ainsi que d’insuline.
« Où est-ce que je suis supposée obtenir mes médicaments ? Cela me coûterait 400 shekels israéliens [c. 108 euros] par mois sinon. Nous ne pouvons pas nous le permettre, nous sommes des réfugiés », dit-elle.
Et il y a les tests sanguins dont elle a besoin tous les trois mois, qui lui coûteraient encore 150 shekels [40 euros] sinon, ou son traitement régulier à un hôpital d’ophtalmologie qui était couvert par l’UNRWA et qui serait sinon trop coûteux.
À Gaza, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, le désastre est imminent pour l’UNRWA à cause de l’interdiction imposée par le Parlement d’Israël qui doit entrer en vigueur à la fin du mois de janvier.
« Êtes-vous sûrs que l’UNRWA va fermer ? », demande Jahaleen, se frappant les cuisses de détresse. « Je ne sais vraiment pas quoi faire — seul Dieu peut nous aider s’ils ferment cette clinique. »
Quand le Parlement israélien a voté en octobre dernier une loi pour interdire l’UNRWA, Fathi Saleh, le directeur des services pour le camp de réfugiés de Shuafat, en périphérie de Jérusalem, a trouvé en arrivant à son bureau des centaines de personnes terrifiées, demandant ce qui pourrait arriver si l’agence était forcée de fermer.
« Couper les services que nous fournissons, c’est comme couper l’approvisionnement en oxygène pour les gens ici », a-t-il dit. « Cela va dévaster les gens ».
Saleh est un enfant du camp, dont le bureau se trouve sur le site d’une cafétéria municipale pour les enfants, où il supervise les mêmes écoles, les mêmes services médicaux et les mêmes agents de l’assainissement qu’il l’a fait sa vie entière. Même ainsi, ce qui va arriver le 1er février quand il arrive à son bureau au milieu du camp reste un mystère.
L’interdiction pourrait signifier qu’il n’y ait plus de tonalité quand il prend son téléphone ou qu’il y ait un sceau de cire rouge sur la porte, bloquant l’entrée de son bureau ou, pire, cela pourrait signifier la présence des forces de sécurité israéliennes qui font des raids réguliers dans le camp. Tous les membres du personnel de l’UNRWA savent qu’ils ne décideront pas eux-mêmes de leur sort.
« Tout est possible », dit-il. Quand les gens se présentent à son bureau avec des questions, il les rassure en disant que l’UNRWA continuera à fournir les mêmes services de santé, les écoles et les ramassages d’ordure aux quelque 30000 réfugiés — enregistrés ou non — qui vivent à Shuafat, « jusqu’à ce que nous puissions plus le faire ».
Le camp de réfugiés de Shuafat accueille des dizaines de milliers de personnes entassées dans un amas de blocs de tours squattées, un réseau de cables électriques tendus entre eux, le tout enclavé dans de hautes barrières de béton, avec une tour de garde et un checkpoint. La perspective que les camions de l’UNRWA puissent être bloqués quand ils enlèvent les ordures empilées chaque jour dans la rangée de bennes des les rues du camp inquiète Saleh.
« Ce camp génère 20 à 25 tonnes d’ordures chaque jour ; imaginez la catastrophe qui se produira si nous ne pouvons pas les enlever, rien que pour ce camp. En quelques jours, il y aura 100 tonnes d’ordures dans les rues ici. Que va-t-il se passer ? », demande-t-il.
Les attaques du 7 octobre 2023, quand les militants du Hamas se sont échappés de la Bande de Gaza assiégée, ont tué 1139 personnes et en ont pris 250 autres en otage, a changé d’un jour à l’autre la relation d’Israël avec l’UNRWA. Les responsables israéliens se sont plaints depuis longtemps de l’organisation, fondée en 1949 pour aider les réfugiés palestiniens en fournissant une gamme de services comme l’éducation, ce qui la rend unique parmi les agences des Nations Unies. Mais dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, les Israéliens ont accusé l’UNRWA d’avoir des liens avec le Hamas, et d’être impliquée dans l’attaque.
Une enquête sur 19 membres du personnel de l’UNRWA conduite par l’organe de contrôle officiel des Nations Unies a conduit au licenciement en août de neuf employés qui « pourraient avoir été impliqués dans les attaques armées du 7 octobre 2023 », selon Farhan Haq, porte-parole adjoint du Secrétaire général des Nations Unies. L’UNRWA a maintenant plus de 30000 employés.
Les efforts des Nations Unies ont été jugés insuffisants par Israël, où les bureaux de l’UNRWA à Jérusalem-Est ont été incendiés au milieu de manifestations à l’extérieur. L’interdiction contre l’UNRWA a été considérée comme un triomphe par l’aile droite de plus en plus dure d’Israël, qui prescrit une coupure complète de toute communication entre les institutions israéliennes et l’agence des Nations Unies, maintenant désignée comme organisation terroriste.
En début de semaine, le gouvernement israélien a ordonné à l’UNRWA de libérer ses bureaux avant le 30 janvier, un maire adjoint de droiet, Aryeh King, appelant à manifester à l’extérieur ce jour-là, et ajoutant « le compte à rebours continue, trois jours encore avant que l’UNRWA ne soit expulsée de Jérusalem. »
Le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a dit au Conseil de sécurité des Nations Unies en début de semaine que la fermeture affecterait 70000 patients et plus de 1000 élèves, rien qu’à Jérusalem-Est.
Le camp de Shuafat est le seul camp géré par l’ UNRWA officiellement sur le territoire israélien, ce qui signifie que si l’agence des Nations Unies là était contrainte à fermer, la municipalité de Jérusalem serait sous pression pour prendre en charge certaines de ses fonctions. Saleh a dit que la municipalité ne l’avait pas informé de plans pour une transmission potentielle.
Suad Shwefi, 67 ans, bavardant tout en achetant des légumes dans la rue à Shuafat, a dit que sa famille « n’avait absolument aucune information sur ce qui va arriver » pour l’éducation de ses 13 petits-enfants — ils sont au milieu de l’année scolaire dans des écoles de l’UNRWA qui sont, et c’est crucial, à une courte distance de marche.
Udi Shaham Maymon, porte-parole de la municipalité de Jérusalem, a dit qu’ils travaillaient à fournir des alternatives. Il a souligné que c’était aux résidents de Jérusalem-Est, qui se sont plaints depuis longtemps que la municipalité néglige leurs besoins, de participer.
Des plans d’urgence sont prêts à absorber 650 élèves dans d’autres écoles de Jérusalem « au cas où l’UNRWA ferme effectivement », a-t-il dit, ajoutant qu’il serait simple d’étendre les services de collecte d’ordures pour inclure le camp. La municipalité pourrait offrir un accès à certains centres de soin familiaux, a-t-il ajouté.
Mais ailleurs le risque de chaos se profile nettement à l’horizon, particulièrement en Cisjordanie, où plus de 45000 élèves vont dans des écoles de l’UNRWA, où des centaines de milliers de personnes affluent vers les 43 centres de soins de base et où l’agence des Nations Unies fournit des services de base comme la collecte des ordures dans 19 camps de réfugiés palestiniens. Ces camps ne sont pas administrés par l’Autorité palestinienne appauvrie qui gouverne cette région, ce qui veut dire qu’ils pourraient se retrouver sans aucun service.
À Gaza, l’UNRWA a aussi été longtemps la plus grande organisation d’aide humanitaire, coordonnant la distribution des secours à plus de 2 millions de personnes, exigeant un certain niveau de coopération israélienne dans le territoire assiégé.
Des infirmiers et un administrateur de la clinique de l’UNRWA à Shuafat ont dit que les forces israéliennes aux checkpoints qui parsèment la route pour travailler à partir de la ville cisjordanienne de Ramallah ont été prompts à montrer leur hostilité. Des soldats, qui avaient l’habitude de laisser passer d’un signe au checkpoint leurs voitures marquées du logo de l’UNRWA sans même regarder leurs cartes d’identité émises par les Nations Unies, les mettent maintenant à l’écart pour des vérifications et des tracasseries supplémentaires.
« Nous avions l’habitude de montrer fièrement nos cartes d’identité de l’UNRWA aux checkpoints, parce que c’était respecté. Maintenant, nous les cachons », a dit un administrateur, Adel Karim. « Si nous montrons aux soldats qui sont là nos cartes de l’UNRWA, ils nous disent qu’ils ne les reconnaissent pas et que nous devons leur montrer nos cartes d’identité palestiniennes ».
Un infirmier, Abu Omar, a dit : « Le 1er février, nous viendrons travailler ; il n’y a pas d’autre option. Aussi longtemps que la porte de la clinique est ouverte, nous viendrons accomplir nos fonctions. S’ils arrivent pour nous expulser de la clinique, nous ne partirons pas volontairement ». Il a souri en s’adossant à un bureau, sidéré par la situation accablante. « La plupart d’entre nous ont travaillé ici pendant 10 ou même 15 ans — où sommes-nous supposés aller ? »
Saleh a dit qu’il sentait que l’interdiction était une attaque allant au-delà des services quotidiens fournis par l’UNRWA. « Si cette interdiction entre en vigueur, ce sera un triste jour pour la charte des Nations Unies », a-t-il dit. « C’est une attaque contre les Nations Unies. »