Les attaques récentes contre Gaza, qui ont tué 49 personnes, ont exacerbé la crise sanitaire déjà existante dans la Bande. Yara M. Asi explique de quelle façon le blocus d’Israël, qui a affaibli le système de soins, tue des Palestiniens depuis plus de 15 ans.
Dans la Bande de Gaza, un cessez-le-feu précaire se met de nouveau en place. Les familles des morts suite aux récentes attaques israéliennes contre la Bande, au nombre de 49 au moins (dont 17 enfants), essaient maintenant de se représenter comment vivre sans eux. Les professionnels de santé de Gaza, auxiliaires paramédicaux, médecins, personnel infirmier, s’efforcent de trouver un peu de temps pour se reposer, tout en dispensant des soins qui peuvent sauver la vie des blessés alors que le matériel et le personnel manquent. Quant aux jeunes de Gaza, ils arpentent les rues avec des balais et des sacs poubelles, ramassant les gravats et les vestiges des destructions.
Encore une série de bombardements qui s’ajoutent à tous ceux des quinze dernières années, même si cette offensive a duré moins longtemps que celle de mai 2021, qui a tué 261 Palestiniens. Comme d’habitude, ces images spectaculaires de violence et de dévastation ont figuré dans les actualités mondiales – ce sont les rares occasions où les souffrances des Palestiniens font l’objet d’un débat public.
Le sujet est difficile à éviter, quand les médias sociaux diffusent largement des photos et des vidéos d’enfants morts et de familles désespérées. Le grand public mondial est sensible aux images de morts subites et violentes. Mais les gens de Gaza, y compris les enfants, meurent de façon plus lente, plus insidieuse, depuis des décennies, et surtout depuis l’instauration du blocus il y a plus de 15 ans.
Le 2 août, quelques jours avant le premier bombardement, Gaza traversait déjà une situation terrible qui n’a pas suscité beaucoup d’attention dans le monde, à l’exception de quelques communiqués de presse publiés par des organisations de défense des droits humains.
Israël, qui contrôle presque toute la circulation à l’entrée et à la sortie de la Bande de Gaza, avait fermé tous les points de passage avec Gaza, y compris Erez, lieu de sortie pour les patients ayant besoin de soins médicaux urgents et d’autres personnes nécessitant des services humanitaires, et Kerem Shalom, par lequel transitent les produits dont Gaza a besoin, notamment le combustible nécessaire au fonctionnement de la seule centrale électrique de Gaza. Dans ces conditions, les habitants avaient au plus 4 heures de courant régulier par jour.
Ce n’est que l’exemple le plus récent du châtiment collectif infligé aux habitants de Gaza, qui débouche sur des conséquences déplorables en termes de santé physique et mentale sans rapport avec les bombardements occasionnels subis par ces habitants. En raison du stress et des traumatismes constants, de l’insécurité élevée en ce qui concerne la nourriture et l’eau, et des conséquences durables de la violence des bombes et snipers israéliens, notamment des milliers d’amputations, la situation sanitaire à Gaza est mauvaise à tout point de vue, même en comparaison avec celle des Palestiniens de Cisjordanie occupée.
Le contrôle israélien de tous les biens entrant dans Gaza, en particulier les marchandises relevant des restrictions relatives aux ‘biens à double usage’, a rendu le système de santé totalement incapable de répondre à ces défis. En raison des restrictions relatives au béton et aux canalisations, certaines installations sanitaires bombardées ne seront pas reconstruites. Les pénuries de matériel élémentaire comme les poches à perfusion et la gaze sont fréquentes.
Comme les traitements de pointe pour des maladies chroniques comme le cancer n’existent pas du tout dans le territoire, il faut un permis accordé par Israël pour quitter Gaza et recevoir les soins nécessaires en Israël ou à Jérusalem-Est—et ce permis est souvent refusé de façon arbitraire, ou retardé jusqu’au moment où les patients manquent des rendez-vous difficiles à obtenir. Un médecin n’est pas certain d’avoir du courant électrique pour la durée de son tour de garde.
Le résultat de ces politiques n’a donc rien d’étonnant. L’espérance de vie compte parmi les plus basses du Moyen-Orient (elle est inférieure de presque dix ans à celle des Israéliens), la mortalité infantile et maternelle est élevée, et la malnutrition est fréquente, avec un taux élevé de retards de croissance et de carences en fer chez les enfants.
Le recours à la vaccination contre la Covid-19 s’est déclenché très lentement, en grande partie parce qu’Israël, non content d’ignorer ses propres obligations de puissance occupante, bloquait de surcroît les efforts palestiniens et extérieurs pour mener ce combat. En date du 2 février 2022, 30% seulement des habitants de Gaza étaient complètement vaccinés.
De la part des groupes de défense des droits humains et de certaines personnalités politiques progressistes, il y a eu des condamnations fermes de nombreuses déclarations gouvernementales en lien avec les bombardements récents, qui répètent, dans leur quasi-totalité, des formules recyclées sur le droit d’Israël à se défendre. Et pourtant, il existe d’innombrables preuves montrant qu’aucune norme n’autorise à considérer ces décennies de châtiment collectif des Palestiniens comme une réponse légitime d’Israël en termes de sécurité. Rares ont été ceux à mentionner les Palestiniens tués au nom de cette prétendue autodéfense, et notamment les nombreux enfants. Il est vrai que ces déclarations partiales, historiquement fausses et excluant toute critique méritent d’être dénoncées.
Mais que dire des jours, des semaines, des mois qui s’écoulent entre les bombardements, pendant lesquels les gens de Gaza, dont plus de la moitié sont des enfants, continuent à vivre dans un territoire dont la clôture est effective, tandis que leurs souffrances sont largement oubliées par le reste du monde ou, pire encore, justifiées ? Les condamnations doivent continuer jusqu’à ce que ce blocus injuste et illégal soit levé.
Aucun pays ne peut se définir comme un défenseur des droits humains tout en continuant à ignorer et à rendre possible ce qui est infligé à cette population civile, tout particulièrement après des mois de platitudes sur l’immoralité et l’illégalité des attaques des Russes contre l’Ukraine et de leurs tentatives d’entraver l’approvisionnement alimentaire. Il ne devrait plus être acceptable que l’on fasse référence au Hamas ou à d’autres groupes armés palestiniens pour répondre aux questions sur le bombardement de familles dans leurs propres maisons. Et cette réponse n’est pas plus acceptable pour justifier que l’on empêche des patients atteints d’un cancer de recevoir leur traitement, des enfants de bénéficier d’une alimentation correcte, et des médecins de disposer du matériel nécessaire pour sauver la vie de leurs patients.