Ce n’est jamais la faute d’Israël : deux enfants de Gaza ont été tués et leur histoire ne suscite qu’indifférence

Il n’est pas difficile d’imaginer ce qui se serait passé si le Hamas avait tué deux enfants – un frère et une soeur – avec un tir de Qassam.

Elle avait 6 ans, lui, 10. Frère et sœur. Sont-ils morts pendant leur sommeil ? Se sont-ils éveillés juste avant que le missile ne frappe leur maison ?

Ont-ils entendu l’avion et ont-ils été effrayés avant de mourir ? Ou même : ont-ils essayé de fuir ? Pouvaient-ils aller quelque part ? Que faisaient-ils avant d’aller au lit la dernière nuit où ils ont été vivants ? Ont-ils rêvé de quelque chose, durant leur dernière nuit ? Avaient-ils des rêves ? Israa et Yassin, une fille et un garçon, frère et sœur. C’était dans la nuit de vendredi à samedi, dans la Bande de Gaza.

La nuit de vendredi à samedi dans la Bande de Gaza. 2 h 30 du matin. Beit Lahia, qui souffre depuis longtemps et qui est toujours très marquée par les bombardements, s’est éveillée dans la peur panique que provoque chaque fois le vrombissement de mauvais augure d’un avion. Mon ami M. m’a dit que ses enfants avaient sauté du lit tellement ils avaient eu peur.

Israël était en train de se venger de quatre tirs de roquettes Qassam sur son territoire quelques heures plus tôt. Les roquettes étaient retombées dans des zones non habitées et n’avaient provoqué aucun dégât. Entre vendredi et samedi, dans la Bande de Gaza, les forces aériennes israéliennes ont visé quatre cibles, les « installations terroristes du Hamas ».

L’avion a survolé Beit Lahia, et le pilote a largué ses bombes. Les frappes ont fait mouche. L’écran de l’appareil n’a montré ni Yassin mort, ni Israa en train de mourir.

L’une des installations terroristes était la maison d’Israa et Yassin Abu Khoussa. « Maison » est un terme éxagéré. Un semblant de toit d’amiante, des vêtements rapiécés sur le seuil de la fenêtre, de minces matelas posés à même le sol et recouverts de couvertures à bon marché, dont certaines tout imprégnées de sang, maintenant. C’est ici qu’Israa et Yassin étaient nés. C’est ici qu’ils ont vécu. Et c’est ici qu’ils sont morts. Sur le sol de la pièce frappée par la bombe dormaient les sept enfants de la famille, âgés de 2 à 15 ans, ainsi que leur mère. Tous sont en état de choc.

Les Forces de défense israéliennes (*) connaissent bien cette cahute de Beit Lahia : elles l’ont déjà démolie à quelques reprises. Mais la famille a continué à y vivre : où pourrait-elle aller ? Aujourd’hui, Suleiman Abu Khoussa, 45 ans et fermier, est assis là, atterré par le mort de deux de ses enfants juste devant leur mère, leurs frères et leurs sœurs. La mère va se terrer ailleurs, il n’est pas possible de lui parler.

Leur maison se trouve à quelque 300 mètres d’un camp d’entraînement du Hamas, une distance rendue bien plus petite par les pilotes très expérimentés de Forces aériennes israéliennes. Yassin est mort sur place. Israa a été emmenée dans un état critique à l’hôpital indonésien de Beit Lahia, puis à l’hôpital de Shifa, où elle est décédée. Tous deux ont été enterrés côte à côte au cimetière d’al-Salatin. Un frère et une sœur, sans présent ni futur.

C’est tout juste si on a fait état de l’incident, en Israël. Il est difficile d’imaginer une déshumanisation plus fondamentale que la couverture infâme qu’ont assurée la majorité des médias israéliens de l’exécution de ces deux enfants palestiniens. Israel Hayom en a parlé sous forme d’un sous-titre laconique au ton méprisant et condescendant : « Déclaration du Hamas : À la suite de l’attaque, deux enfants ont été tués. » Il n’est pas difficile d’imaginer ce qui se serait passé, si le Hamas avait tué deux enfants israéliens, frère et sœur, avec une roquette Qassam. On peut imaginer non seulement d’impitoyables représailles militaires, mais aussi toute une couverture médiatique vibrante d’émotion : de vraies bêtes, auraient hurlé les gros titres, que ces massacreurs d’enfants du Hamas !

Mais nos tueurs d’enfants, eux, sont purs. Après tout, ce n’était pas intentionnel. Ce ne l’est jamais. Personne n’a demandé à Israël de publier une condamnation, personne n’a même pensé à exprimer le moindre regret, en encore moins à proposer une compensation.

J’aimerais beaucoup visiter la maison d’Abu Khoussa afin de raconter aux Israéliens ce que leurs forces aériennes y ont fait. Mais Israël ne permet pas aux journalistes israéliens de mettre les pieds à Gaza. Le journal britannique The Independent y était cette semaine afin d’informer ses lecteurs. Le [quotidien israélien] Yedioth Ahronoth, de son côté, y allait d’un reportage sur la guitare offerte par Aviv Geffen à un type qui avait brisé la sienne – et nos cœurs en même temps – sur le crâne d’un terroriste.