En 2004, le ministère palestinien des Télécommunications m’a désigné pour assister au congrès annuel de l’Union internationale des Télécommunications à Hong Kong. J’avais mon visa et mon billet, ma valise….
En 2004, le ministère palestinien des Télécommunications m’a désigné pour assister au congrès annuel de l’Union internationale des Télécommunications à Hong Kong. J’avais mon visa et mon billet, ma valise était bouclée, mais je n’ai pas pu faire le voyage, car Gaza a été mise en quarantaine partielle par l’armée israélienne, qui contrôlait le point de passage de Rafah entre l’Égypte et la bande de Gaza. En me rendant au point de passage de Rafah, j’ai dû m’arrêter à deux importants checkpoints militaires ; ils contribuaient tous les deux à diviser la bande de Gaza en cantons, imposant à des millions de Palestiniens pendant des mois un bouclage relativement dur. Les employés, les étudiants, les patients, les voyageurs, les fournitures et marchandises de base, n’avaient pas le droit de se déplacer entre les parties principales de la bande de Gaza. Ce jour-là, l’armée israélienne n’a pas autorisé à passer la voiture dans laquelle je me trouvais et j’ai dû rejoindre la ville de Gaza. On ne nous a pas indiqué pour quelles raisons nous ne pouvions pas passer. C’était une pratique à la fois normale et injustifiée qui aggravait notre sentiment de frustration et de désespoir. Après qu’Israël s’est retiré de la bande de Gaza ainsi qu’à la suite des élections palestiniennes de 2006 qui ont donné au Hamas une place dans l’arène politique, Israël a mis en quarantaine deux millions de Palestiniens de la bande de Gaza, ne laissant personne quitter la bande de Gaza, en partir ou y venir, empêchant des biens et des services essentiels d’entrer dans la bande de Gaza, rendant ce lieu insupportable pour un être humain vivant.
Ces jours-ci, alors que le monde affronte une pandémie de coronavirus qui ne fait aucune discrimination liée à la race, à la nationalité, à la religion ou à la classe sociale, le seul élément qui nous unit tous est la quarantaine, à laquelle s’ajoute parfois le couvre-feu. Cette quarantaine me rappelle le bouclage que j’ai subi à Gaza.
Enfant, j’avais l’habitude du couvre-feu et de bouclages épisodiques et, en grandissant, j’ai été forcé de m’habituer à des années de bouclage, en compagnie de deux millions d’autres êtres humains. À l’échelle internationale comme dans la région, la sympathie et la solidarité avec les Palestiniens enfermés n’ont cessé de croître, soutenant à distance leur cause et leurs droits. Mais ceux qui apportaient ce soutien ne savaient pas vraiment ce que voulaient dire la quarantaine forcée et la situation de bouclage.
Au cours de la dernière quinzaine, j’ai reçu de nombreuses annonces d’annulations de conférences, dont un colloque international prestigieux. Je devais assister à au moins cinq évènements universitaires qui ont été annulés dans le contexte de l’épidémie de COVID-19. J’ai éprouvé des sentiments mêlés : de la tristesse à l’idée que je ne pourrais pas présenter mon travail lors de conférences et d’évènements internationaux, et un bonheur raisonné à l’idée que nous autres universitaires pouvions nous reposer, et aussi en pensant que nombre de personnes comprendraient ce que veulent dire réellement le confinement et la quarantaine collective forcée. Des centaines d’universitaires de Gaza sont confinés depuis 15 ans. On les a privés du privilège des voyages, de la présentation de travaux, des échanges en réseau et des collaborations à cause du bouclage inexpliqué et injustifié infligé à Gaza depuis 2006 par l’armée israélienne.
Depuis 2006, des milliers d’étudiants de Gaza au niveau postdoctoral n’ont pas pu et ne peuvent toujours pas voyager, ou ont perdu leurs bourses à cause du bouclage. À Gaza, la participation à des conférences ou évènements d’ordre international ou régional donne l’occasion d’échapper à la quarantaine, même pour une courte durée (quand c’est possible), mais c’est un privilège impossible. Gaza a été “mise en quarantaine” au moyen d’un mécanisme déshumanisant, et non pour protéger la santé publique ou mondiale.
L’interruption de la vie, de la carrière, du travail, des études, placés temporairement à l’arrêt, constitue la réalité de la vie quotidienne des Palestiniens de Gaza depuis 2006. Cependant, à l’extérieur de la bande de Gaza, il existe encore un gouvernement et des institutions qui pourraient rendre la vie plus facile, fournir des services, des soins de santé et un soutien économique, tandis qu’à Gaza, c’est un rêve éveillé. En réalité, le seul événement dont parlent les gens de Gaza est la date de la prochaine guerre, et pas la levée du bouclage.
Le choix de traiter le confinement de Gaza par l’ignorance est plus clair aujourd’hui pour la grande majorité des habitants du monde occidental, ainsi que d’autres parties du monde.
La solidarité et la sympathie à l’égard des Palestiniens pourront évoluer lorsqu’elles ne seront plus fondées sur les deux mots latins ignoramus – “nous ne savons pas” ou non liquet – “non prouvé”. Personne ne devrait prétendre ne rien savoir sur la quarantaine forcée, le siège et le bouclage, ou ne pas avoir eu la preuve directe de cette expérience après avoir vécu un confinement moins sévère et un siège sans brutalité. Aujourd’hui, tout le monde a éprouvé les sentiments suscités par le bouclage et la quarantaine. Heureusement, il s’agit de sauver des vies, contrairement à la situation à Gaza, qui ne provoque que des morts et des souffrances.
Toutefois, de nombreux Israéliens, tel l’ancien directeur général de l’autorité israélienne de radiotélédiffusion, souhaiteraient que le COVID-19 réduise au silence les Palestiniens de Gaza. Dans un article publié par le Centre pour les Affaires publiques de Jérusalem, il souligne que le virus offre une opportunité de faire taire les Palestiniens, se demandant sur un ton malsain et déshumanisant si l’épidémie aura cet effet. L’auteur a oublié qu’Israël a largement contribué à la destruction du système de santé dans la bande de Gaza. Au cours des seules offensives de 2014, Israël a détérioré 17 hôpitaux, 56 centres de soins de santé primaires et 45 ambulances. Selon l’OMS, Israël a refusé un traitement médical à des patients gazaouis en invoquant des raisons de sécurité. Israël est en train d’utiliser les traitements médicaux comme arme contre les Palestiniens en détruisant les moyens de répondre aux besoins sanitaires fondamentaux et tout le système de santé de Gaza, et aussi en s’efforçant de priver les habitants de Gaza de la possibilité d’obtenir un traitement à l’extérieur de la bande.
La souffrance, l’injustice et la violence qu’Israël n’a cessé d’imposer aux Palestiniens de Gaza rappellent avec force qu’Israël et la communauté internationale sont directement responsables des conséquences catastrophiques qui risquent de survenir si le COVID-19 frappe la bande de Gaza. Le monde a regardé Israël confiner et déshumaniser la bande de Gaza tout en traitant de façon éhontée cette situation comme une crise humanitaire. Avec un système sanitaire délabré, une mauvaise alimentation, un manque de ressources et l’incapacité de faire face à une telle épidémie, les gens de Gaza n’y arrivent pas, n’y arriveront pas. Israël provoque une catastrophe de longue durée à un degré sans précédent.