Alors que l’isolement mondial d’Israël grandit, Berlin approfondit son alliance avec Tel Aviv — criminalisant la dissension, récompensant des groupes de pression et érodant les droits sous prétexte de combattre l’antisémitisme.

Le 28 mars, l’hebdomadaire juif allemand sioniste Judische Allgemeine Zeitung a annoncé joyeusement que Tel Aviv deviendrait la nouvelle cité jumelée à Berlin, tous les partis de la Chambre des représentants de Berlin approuvant la décision.
Quelques jours plus tard, Der Tagesspiegel, un des quotidiens de Berlin considérés « de qualité », a déclaré que les « deux métropoles ont beaucoup en commun ».
Quelle honte abyssale : les représentants des partis qui s’auto-proclament « du centre démocratique » à la Chambre des représentants de Berlin — les chrétiens démocrates, les socio-démocrates et les Verts — ont décidé, avec la « Gauche » et le parti fasciste Alternative für Deutschland (AfD), de se rapprocher encore davantage des bouchers génocidaires à Tel Aviv.
Ils le font alors même que de vastes parties du monde prennent peu à peu leurs distances avec ce régime.
Choisir une cité jumelée est bien plus qu’un acte symbolique, particulièrement quand cette ville est la capitale d’un État dirigé par des criminels de guerre responsables d’un génocide en cours.
Une telle décision reflète des intérêts et des valeurs communs qui sont supposés unir les villes et leurs populations.
Et ceux affichés dans ce partenariat sont éloquents : alors qu’un côté commet un génocide, l’autre le soutient, le promeut et le finance ; alors que l’un réalise un nettoyage ethnique, l’autre feint l’ignorance ; alors que l’un cible délibérément des enfants, des journalistes et des membres du personnel médical, l’autre détourne les yeux et jacasse sur les droits humains ; alors que l’un affame un peuple à mort, l’autre se contente de hausser les épaules.
Et ensemble, ils partagent le mépris du droit international et de l’autorité de la Cour pénale internationale.
Cette liste est loin d’être complète, mais elle est déjà l’une des plus répugnantes imaginables. Berlin et Tel Aviv, comme la presse allemande le souligne à juste titre, ont effectivement beaucoup en commun.
Amnésie historique
La décision des représentants de Berlin envoie un message clair au monde sur ce que la capitale allemande veut défendre maintenant — et indique un acte d’amnésie historique sans précédent.
Le gouvernement d’une ville qui était assiégée il y a des décennies et qui continue d’invoquer cette expérience comme élément central de sa mémoire collective, a maintenant changé de côté.
Berlin s’aligne à la capitale d’un pays qui a non seulement assiégé la Bande de Gaza depuis 17 ans, a créé la la plus grande prison sur terre et mis les Palestiniens « à la diète », mais est aussi en train de commettre un génocide depuis plus de 18 mois — une campagne pleinement soutenue par les habitants de Tel Aviv.
Si l’expérience de siège était vraiment aussi significative et définissante pour Berlin que ses politiciens l’affirment si souvent, en grande pompe, alors il devrait y avoir une seule cité jumelle naturelle et appropriée : la ville de Gaza.
Contrairement à Gaza, cependant, Berlin a trouvé de l’aide quand elle a été assiégée après la Deuxième Guerre mondiale. Les pays occidentaux ont envoyé des « Rosinenbomber » [des bombardiers larguant des vivres et des sucreries] et ont approvisionné en nourriture l’enclave prise au piège, et ils n’en ont pas été empêchés par l’Union soviétique — un contraste frappant avec l’affamement criminel de la population civile de Gaza par le régime colonial de peuplement à Tel Aviv.
Pour être à la hauteur de leur expérience historique et de leurs responsabilités, les représentants de Berlin auraient dû envoyer des « Rosinenbomber » à Gaza le 8 octobre 2023, au lieu de se rendre complice d’un génocide. Ils n’auraient pas dû gaspiller une seule pensée à devenir partenaires avec la capitale coupable.
Influence sioniste
Le choix de la capitale d’ Israël que Berlin a fait souligne à quel point les politiciens allemands ont permis aux groupes de pression sionistes de façonner, ces dernières années, l’agenda politique de la ville.
D’une manière incompatible avec un régime de droit, il suffit maintenant du simple soupçon qu’un événement ou une déclaration puisse paraître antisémite, selon la définition de l’IHRA guidée par le sionisme, pour que la machinerie de la répression de l’État se mette en marche.
Des campagnes de diffamation et des perquisitions policières aux poursuites contre des militants et à la criminalisation de la solidarité humanitaire, toute manifestation en soutien des droits palestiniens rencontre la répression brutale de la police anti-émeutes militarisée de Berlin.
Les groupes de pression sionistes, comme dans d’autres pays, ne cherchent pas à comprendre les racines profondes de l’antisémitisme. Ils instrumentalisent au contraire cette accusation pour faire pression sur l’État allemand afin de punir tout discours anti-sioniste.
Après leur victoire électorale, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et le parti bavarois associé, l’Union chrétienne-sociale (CSU), ont soumis « une interpellation mineure » au gouvernement fédéral, intitulée « Neutralité politique des organisations subventionnées par l’État ». Elle consiste en plus de 500 questions ciblant des organisations de la société civile critiques du génocide d’Israël, avec l’objectif de les dépouiller des subventions et de leur statut d’organismes à but non lucratif si elles ne se conforment pas à ce que les chrétiens-démocrates définissent comme la « neutralité politique ».
Sans surprise, ces partis chrétiens n’ont pas inclus un seul groupe de pression sioniste dans leur interpellation, même si ces groupes sont tout sauf « neutres politiquement ».
Ils opèrent au contraire comme des armes de propagande pour la cause sioniste et le génocide d’Israël contre la population palestinienne, de manière ouvertement hostile aux principes démocratiques et à la défense des idéaux universalistes.
Mais peut-être plus révélateur encore est le fait, il y a deux ans, que le financement des contribuables à l’un de ces groupes de pression sionistes a presque doublé, atteignant un total annuel de 23 millions d’euros.
Une autre organisation ouvertement sioniste est aussi soutenue financièrement par le ministère de l’Intérieur — même si, une fois encore, une organisation qui représente et défend ouvertement une idéologie raciste peut difficilement être considérée comme « politiquement neutre ».
Donc quel est, exactement, son bénéfice public ?
Répression de l’État
Le 19 février 2025, le maire de Berlin Kai Wegner (CDU) a délibérément fait pression sur le président de l’Université libre de Berlin (FU), Gunter M Ziegler, au nom d’un groupe de pression sioniste, pour annuler un événement avec Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les Territoires palestiniens occupés.
Comme Forschung & Lehre l’a rapporté, la maire n’a pas été le seul à exercer une pression sur le président de l’université.
Deux groupes sionistes — qui sont tout sauf « politiquement neutres » — étaient aussi impliqués. Ziegler s’est finalement incliné devant cet empiètement illégitime sur l’autonomie de l’université et a annulé l’événement.
Le 4 avril, le journal de droite Die Welt a lancé une autre campagne de diffamation contre Albanese, faisant écho à la propagande israélienne officielle, en amont d’un vote des Nations Unies sur la reconduction de son mandat.
L’article citait des politiciens allemands, dont Jurgen Hardt de la CDU — un fervent défenseur du sionisme — qui a répété comme un perroquet les mensonges des militaires israéliens avec un mépris éhonté pour la vérité ou la décence.
Comme si ce n’était pas assez, Berlin a franchi un nouveau seuil le 1er avril avec une mesure à la Trump : annonçant l’expulsion de trois citoyens de l’Union européenne et d’un citoyen des États-Unis simplement pour avoir participé à des manifestations pro-Gaza.
Ces personnes n’avaient commis aucun crime. Mais à Berlin, tolérer la liberté d’expression est déjà trop, particulièrement quand elle s’exerce pour défendre les droits palestiniens.
Cela envoie un avertissement sans ambiguïté : quiconque demande justice pour les Palestiniens est maintenant une cible de la répression d’État.
Si les tribunaux échouent à arrêter cette descente dans l’autoritarisme, les citoyens allemands risqueront bientôt la prison pour critiquer les crimes de guerre israéliens, et les non-citoyens seront simplement expulsés. Tous seront punis, non pour des actes de violence ou d’incitation à la violence, mais pour leur défense des « mauvaise »s personnes aux yeux de l’establishment politique.
Attaque institutionnelle
Après l’adoption en 2017 par les parlementaires allemands de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, les conséquences réelles de cette mesure pour la démocratie allemande sont devenues claires à la lumière du génocide sioniste de la population palestinienne en cours.
Deux résolutions décisives votées en novembre 2024 et janvier 2025 ont changé de manière dramatique la société allemande et ont ouvert la voie pour une influence sioniste encore plus grande.
La première attaque conduite par les sionistes contre la démocratie allemande s’est produite en novembre avec l’adoption de la résolution « Jamais plus, c’est maintenant : protéger, préserver et renforcer la vie juive en Allemagne ».
Son approbation permet au gouvernement allemand d’intervenir dans la vie sociale comme une question de principe — de diffamer quiconque, juif ou non-juif, comme antisémite et de punir ceux et celles qui élèvent leurs voix contre le régime sioniste d’apartheid colonial et ses crimes de guerre.
La deuxième attaque a suivi, le 28 janvier, avec la résolution : « Antisémitisme et hostilité envers Israël dans les écoles et les universités ». Elle a été votée à la hâte, passant largement inaperçue du grand public, après la chute du gouvernement et la campagne électorale.
Cette résolution constitue une attaque impudente contre l’autonomie des universités et la liberté de la recherche et de l’enseignement. Sous le masque d’une inquiétude devant une prétendue augmentation de l’antisémitisme dans les écoles et les universités, cette accusation est instrumentalisée pour réduire au silence les universitaires et les étudiants critiques.
À une conférence de presse au niveau fédéral après son adoption, des professeurs allemands ont exprimé leur indignation que la résolution ait été rédigée sans la consultation usuelle d’experts de l’antisémitisme, ni des organes universitaires.
Ils ont aussi critiqué le fait que les rédacteurs ont ignoré les objections de la Conférence des recteurs allemands (HRK) qui avaient déjà rejeté une proposition analogue à l’automne 2024 en raison de problèmes juridiques. Selon un professeur, qui était l’auteur de la résolution n’était même pas clair.
Probablement, cependant, la force motrice n’est pas difficile à identifier. Étant donné l’agenda explicitement sioniste de la résolution — menaçant les étudiants et les universitaires qui prennent position contre le régime et son génocide — il suffit de regarder qui sont les parlementaires actuels et passés derrière la résolution.
Volker Beck, un ancien député des Verts, est président de la Société israélo-allemande. Mathias Stein, un ancien député du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) et membre du groupe parlementaire derrière la résolution, est l’un de ses vice-présidents.
D’autres membres actuels et passés du Bundestag, dont Marcus Faber (FDP), Lisa Badum (Verts) et Jurgen Hardt (CDU/CSU), sont aussi vice-présidents de la Société israélo-allemande.
Il n’est donc guère surprenant que l’expertise universitaire et l’exactitude historique n’aient eu aucun intérêt quand cette résolution a été rédigée. Les parlementaires allemands se sont avérés soit incapables de reconnaître sa véritable intention, soit réticents à le faire.
Plutôt que de défendre les droits démocratiques ou de résister à cet empiètement sioniste, ils sont devenus des complices volontaires de ce vaste « accaparement des terres » — un accaparement qui démantèle les institutions allemandes et la démocratie elle-même.
Nouveau fascisme
Naguère salué comme « pauvre mais sexy », Berlin attirait les jeunes du monde entier, ainsi que l’élite culturelle mondiale et des scientifiques influents. Cette époque est révolue.
Aujourd’hui, Berlin s’est tournée vers une instrumentalisation de l’antisémitisme destructrice de la démocratie, coupant à la hache la liberté d’opinion, de pensée, de recherche et d’enseignement.
Le droit de critiquer Israël pour ce qu’il est — une colonie de peuplement suprémaciste menant un nettoyage ethnique en Cisjordanie, menaçant les Palestiniens qui possèdent la citoyenneté israélienne et mettant en danger les populations civiles dans toute la région — est sous attaque directe.
Par son partenariat avec Tel Aviv, Berlin devient un havre sûr pour les suprémacistes et racistes sionistes, pour les soldats israéliens qui ont commis des crimes de guerre à Gaza et pour les responsables sous mandat d’arrêt du gouvernement israélien — tout cela sous prétexte de protéger la vie juive.
Au lieu de soutenir le droit international ou de défendre les libertés civiles, le prétendu « centre démocratique » de Berlin ouvre la voie à l’émergence d’un nouveau fascisme.
Bienvenue à Berlin, la capitale de la répression sioniste.
Les opinions exprimés dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Jurgen Mackert est. professeur de sociologie à l’université de Potsdam, Allemagne. Il a été professeur de structure des sociétés modernes à l’université d’Erfurt, Allemagne, à titre temporaire, et professeur invité de sociologie politique à l’université Humboldt de Berlin. Ses derniers livres incluent On Social Closure. Theorizing Exclusion, Exploitation, and Elimination (Oxford University Press 2024). Siedlerkolonialismus. Grundlagentexte und aktuelle Analysen (éd. avec Ilan Pappe; Nomos 2024).
- Photo : Un militant pro-Palestine est entraîné à l’écart par des officiers de police pendant une manifestation contre la guerre d’Israël à Gaza à l’Université libre de Berlin, Allemagne, 7 mai 2024 (Tobias Schwarz/AFP)
[Note de l’AURDIP : Nous publions cette analyse des dérives autoritaires en Allemagne en rappelant que : le sionisme (idéologie politique) ne représente pas le judaïsme, et soutien à Israël ne signifie pas nécessairement adhésion au sionisme.]