Quand Gaza est en proie à des bombardements – pardon, à des “violences” –, rien ne vaut pour s’informer BFMTV et sa petite sœur i24News. Car elles puisent leurs infos à la meilleure source : l’armée israélienne.
« Le Jihad islamique affirme ce matin avoir tiré des roquettes vers Jérusalem. » Dimanche 7 août, sur BFMTV. Le présentateur parle de « l’escalade armée en cours ». On se demande qui « escalade »… Un reportage le précise : « Dans le ciel de Gaza, une nouvelle salve de roquettes tirée vers Israël. » Un bandeau résume : « Jérusalem ciblée par le Jihad islamique. » Le reporter explique : « Des représailles après l’arrestation d’une vingtaine de membres en Cisjordanie et la neutralisation de quinze combattants. » Une « neutralisation », ce n’est pas méchant, ça n’a jamais tué personne. Cependant, « six enfants palestiniens sont morts sous les frappes ». Quelles « frappes » ? Sans doute de fatales mandales infligées par des parents maltraitants.
Le présentateur réapparaît. « Situation toujours tendue entre Israël et le Jihad islamique retranché dans la Bande de Gaza. » Une « situation tendue », c’est seulement pour les nerfs que c’est éprouvant. « On va tout de suite retrouver Julien Bahloul, vous êtes habitant à Tel-Aviv. » Un simple « habitant », observateur impartial de la vie quotidienne en Israël. Bien sûr, certains mauvais esprits relèvent qu’il fut aussi porte-parole et community manager de l’armée israélienne, Arrêt sur images reproche même à BFMTV de ne pas le mentionner. Mais on ne peut invoquer ce passé d’un citoyen revenu à une paisible vie civile, inquiet pour ses deux enfants à cause des tirs de roquette du Jihad islamique, comme il l’indique à l’antenne.
« Je voudrais revenir sur un point important, témoigne Julien Bahloul. Dans le reportage, vous venez de mentionner la mort de six enfants palestiniens. Je voudrais juste préciser que la mort de cinq d’entre eux, hier, était due non pas à une frappe israélienne mais à un tir de roquette du Jihad islamique raté et qui est tombé du côté palestinien. » Ça alors, ils n’ont pas été assassinés par leurs parents mais par d’autres Palestiniens. Qui, décidément, ne savent pas viser. Déjà, au mois de mai, la journaliste Shireen Abou Akleh avait succombé au tir d’un militant palestinien (selon Tsahal). L’habitant de Tel-Aviv certifie : « Y a des vidéos qui l’ont montré. » Si des vidéos l’ont montré, impossible d’en douter. Bernard-Henri Lévy, dans un tweet, ne s’y est pas trompé : « L’information est confirmée par des sources indépendantes. » BFMTV, par exemple.
Des vidéos qui prouvent la totale innocuité des bombardements – pardon, des « frappes » – israéliens, il en existe des dizaines. Il suffit de regarder i24News, chaîne du groupe Altice (comme BFMTV), sur laquelle les colonies s’appellent « implantations », la Cisjordanie « Judée et Samarie ». Selon une journaliste, « plusieurs vidéos publiées sur les réseaux sociaux apportent la preuve que l’armée israélienne s’efforce tant bien que mal à épargner les civils, quitte à reporter une frappe stratégiquement importante ». Tsahal est prête à tous les sacrifices. À l’appui, les images des « réseaux sociaux » sont celles du compte Twitter Israel Defense Forces – la plus fiable des sources. « Exemple, cette vidéo sur l’élimination du haut commandant du Jihad islamique à Gaza ce samedi. On entend un soldat surveillant la zone expliquer que plusieurs enfants se trouvent à proximité de l’immeuble où se trouve la cible. » Le soldat : « Je vois des enfants vers les arbres là-bas, vers la zone Alpha nord. – Oui, vers les arbres. – Oui, ils courent vers l’immeuble et reviennent. » Sans hésiter, « son supérieur décide d’annuler la frappe ». Le supérieur : « Bon, on annule la frappe. » Ouf, les enfants sont sains et saufs – à moins qu’une roquette du Jihad islamique ne les pulvérise.
« Un scénario qui se reproduit plusieurs fois », rapporte la journaliste. Le soldat : « Il y a encore des enfants qui jouent à proximité de la maison. Ils jouent au ballon. » Résultat, « l’armée israélienne aurait dû reporter sa frappe à trois reprises avant de s’assurer de ne blesser aucun civil ». Ce n’est plus une armée, c’est une organisation humanitaire. « Autre vidéo, même scénario. Alors que Tsahal vise une cible militaire, un soldat remarque un civil qui passe à proximité du bâtiment. Il prévient immédiatement ses supérieurs qui décident donc d’annuler la frappe. Des vidéos comme celles-ci, il y en a des centaines. » Ce qui nous fait des centaines de civils épargnés. Restent ceux qui meurent sous les roquettes du Jihad islamique.
« Pour éviter les pertes civiles, poursuit la journaliste, l’armée israélienne dispose d’autres outils. Avant les frappes, des tracts sont lancés pour prévenir les personnes qui vivent à proximité. Des appels sont passés aux résidents de la zone pour s’assurer que tout le monde est parti. » Une nouvelle preuve est fournie (par l’armée israélienne) : « C’est ce qu’on entend dans cette conversation entre un coordonnateur de Tsahal et un habitant de la Bande de Gaza. Le Shin Bet souligne que des dizaines de conversations de ce genre ont été enregistrées ces derniers jours. » Des dizaines de conversations enregistrées, ça fait encore des centaines d’innocents épargnés. En fait, l’armée israélienne, c’est ce qu’on appelle en France la Sécurité civile.
Grâce aux informations de BFMTV et d’i24News, il est donc possible d’expliquer le bilan de l’« opération Aurore » lancée par Israël, une opération « préventive », comme le martèle BFMTV. Les quarante-quatre morts, dont quinze enfants, et les centaines de blessés palestiniens peuvent être répartis en deux catégories : soit des personnes à tendance suicidaire qui, informées par Tsahal du lieu d’un imminent bombardement, s’y précipitent pour mettre fin à leurs jours ; soit des personnes touchées par les maladroits artilleurs du Jihad islamique. Je comprends mieux pourquoi, pendant tout le week-end, BFMTV a titré : « Violences à Gaza ». Israël ne méritait pas d’être nommé puisque ce sont les Palestiniens qui se sont entretués.
Si l’on excepte les suicides et les tirs palestiniens ratés, les plus gros dégâts causés par cette « escalade » se sont produits en Israël, comme l’a prouvé un effrayant duplex de BFMTV à Sderot avec un envoyé spécial d’i24News. « Nous sommes dans une ville qui est au pourtour sécuritaire de la Bande de Gaza, et c’est la première fois qu’une roquette a réussi à percer le filet du système antimissile Dôme de fer. » Sur l’image de droite, on voit les dégâts considérables causés par cette roquette :
« Cette roquette a percé le toit de ce bâtiment, poursuit le reporter, et a pénétré dans un grenier appartenant à une famille. » Le journaliste grimpe un escalier miraculeusement préservé. « Heureusement, la famille était dans un abri protecteur et ils s’en sont sortis indemnes. » Ouf. Au total, cette « escalade » n’aura donc causé aucune victime. « Du côté palestinien, une quinzaine de militants du Jihad islamique ont été neutralisés. » Neutralisés ? Encore des morts évitées.
Rectificatif du 16 août. Selon un article de Haaretz, l’armée israélienne reconnaît que c’est un de ses missiles, et non une roquette du Jihad islamique, qui a tué les cinq enfants palestiniens de Jabalaya. Je vous dois donc des excuses. Il ne s’agit donc pas d’une erreur de tir palestinienne mais d’un suicide collectif de gamins dépressifs qui ont accouru pour bénéficier d’une « frappe » de Tsahal. Je ne doute pas que BFMTV diffusera en boucle cette correction.