Au lieu de signer un nouvel accord avec l’apartheid israélien, l’Union européenne ferait mieux de soutenir la société civile palestinienne

A M. Josep Borrell Fontelles Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Mme. Mariya Gabriel Commissaire européenne à l’éducation, à la culture, au multilinguisme….

A M. Josep Borrell Fontelles

Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité

Mme. Mariya Gabriel

Commissaire européenne à l’éducation, à la culture, au multilinguisme et à la jeunesse

La Commission européenne et Israël ont finalisé le 9 octobre 2021 un accord qui permettra à Israël d’avoir accès au programme Horizon Europe, le programme de recherche et développement de l’Union européenne. La signature de l’accord doit avoir lieu le 9 décembre.

Cet événement se produira à la fin d’une année dont l’histoire se rappellera comme celle de l’apartheid israélien. Elle a commencé le 12 janvier par la publication du rapport de B’Tselem->https://www.btselem.org/about_btselem] «  A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is apartheid » ([Un régime de suprématie juive du Jourdain à la Méditerranée : c’est un apartheid). Trois mois plus tard, le 27 avril, Human Rights Watch a enfoncé le clou en publiant son rapport « A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution » (« Un seuil franchi : Les autorités israéliennes et les crimes d’apartheid et de persécution » – résumé en français). Ces rapports ont été précédés par d’autres rapports des Nations Unies (de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale et du Conseil des droits de l’homme) et des ONG israélienne et palestinienne Yesh Din et Adalah, qui tous établissent qu’Israël est un état pratiquant l’apartheid.

Or, l’apartheid est un crime. Il a été reconnu internationalement comme tel depuis le 30 novembre 1973, lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Convention internationale sur la suppression et la punition du crime d’apartheid. Dans le Statut de Rome de 2002 qui a établi la Cour pénale internationale, l’apartheid figure spécifiquement sur la liste des crimes contre l’humanité. Néanmoins, la Commission européenne a décidé de continuer sa collaboration avec Israël et de la renforcer par un nouvel accord sur le programme Horizon Europe.

La signature de cet accord arrive à un moment où Israël a intensifié ses attaques contre la société civile palestinienne. Le 19 octobre, le gouvernement israélien a placé six ONG palestiniennes de défense des droits de l’homme sur une liste d’ « organisations terroristes ». Ces ONG sont Al-Haq->https://www.alhaq.org/], Addameer, l’Union of Palestinian Women’s Committees (UPWC), le Bisan Center for Research and Development, Defense for Children International-Palestine, et l’ Union of Agricultural Work Committees. Qualifier ces ONG de terroristes est un non-sens absolu. Ces associations sont reconnues pour leur professionalisme et leur compétence dans le domaine des droits humains par leurs activités de recherche, d’échanges, de plaidoyer et de formation. Leur travail inspire fréquemment celui des experts des Nations Unies et de grandes ONG insternationales et elles sont largement reconnues pour leur impartialité : par exemple, Al-Haq a reçu le prix des droits de l’homme de la République française en 2018, en même temps que l’organisation israélienne B’Tselem. La seule faute de ces six organisations est qu’elles documentent les violations des droits humains commises par l’armée israélienne et par les colons israéliens dans les territoires palestiniens occupés, ce qui pourrait être utilisé pour appuyer les poursuites devant la Cour pénale internationale. Le 3 novembre, Israël a pris une [mesure supplémentaire alarmante : le commandant militaire israélien a signé une ordonnance qui met hors la loi ces six organisations de la société civile palestinienne en Cisjordanie.

La signature de l’accord vient aussi à un moment où Israël a accru sa répression contre ses propres citoyens qui contestent ou même simplement critiquent ses politiques coloniales et d’apartheid. La dernière victime de cette répression est le professeur Oded Goldreich du Weizmann Institute of Science. Le 18 novembre, la ministre de l’Education Yifat Shasha-Biton a confirmé la décision de son prédécesseur de retirer le prestigieux prix Israël à Goldreich parce que celui-ci a signé une lettre appelant l’Union européenne à cesser de coopérer avec l’université Ariel, située dans une colonie israélienne. Cette lettre se référait à la propre législation de l’Union européenne et à ses règlements de mise en oeuvre pour « garantir le respect des positions et des engagements conformes au droit international à propos de la non-reconnaissance par l’UE de la souveraineté d’Israël sur les territoires occupés par Israël depuis juin 1967 ».

Selon Haaretz, la ministre israélienne de l’Éducation a déclaré : « Je ne peux pas accorder le prix Israël pour des contributions universitaires, aussi impressionnantes soient-elles, à [quelqu’un] qui appelle à boycotter des institutions universitaires en Israël ». Elle se référait à l’université Ariel, dont la présence dans une colonie est une violation du droit international et est incompatible avec la position de l’UE, qui ne reconnait pas la souveraineté d’Israël sur les territoires palestiniens occupés. Cela en dit long sur le respect des autorités israéliennes envers les règlements européens.

Dans ce contexte préoccupant, nous vous demandons instamment de suspendre la signature de l’accord d’association d’Israël à Horizon Europe, et de maintenir le soutien politique, diplomatique, financier et technique des autorités européennes aux six organisations de la société civile palestinienne engagées à la défense des droits humains.

Ivar Ekeland,

Président de l’Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (AURDIP)

Ancien président de l’université de Paris-Dauphine