« Arrêtez de tirer profit d’un génocide : 200 personnes arrêtées à une manifestation de Voix juives pour la paix devant la Bourse de New York15 octobre 2024

« Il n’y a. rien d’antisémite dans le fait de lutter pour le droit des gens à vivre », dit l’organisatrice de Jewish Voice for Peace [JVP, Voix juives pour la paix], Elena Stein, qui a rejoint lundi des centaines de manifestants arrêtés pour avoir bloqué les entrées de la Bourse de New York. Nous parlons de cette manifestation de masse historique, qui appelait à un embargo des armes pour Israël et à la fin d’une guerre qui profite à des compagnies comme Raytheon and Lockheed Martin. « Nous sommes remplis d’une horreur sans nom et nous essayons d’incarner ne serait-ce qu’une once de ce refus », dit Stein à propos de l’urgence morale à manifester contre les actions d’Israël au Moyen-Orient, qu’elle décrit comme « une guerre d’extermination … faite avec la couverture des États-Unis ». Elle dit que JVP a choisi la Bourse pour attirer l’attention sur le rôle des intérêts financiers et entrepreneuriaux des États-Unis dans l’armement de l’armée israélienne.

Invitée

  • Elena Stein directrice de stratégie organisationnelle à Jewish Voice for Peace (Voix juives pour la paix)

Liens

Transcription de l’entretien

Ceci est une transcription brute, qui n’est peut-être pas dans sa forme définitive.

AMY GOODMAN : Nous sommes Democracy Now!, democracynow.org, The War and Peace Report [Rapport sur la guerre et la paix]. Je suis Amy Goodman, avec Juan González.

Les manifestations contre l’armement d’Israël par États-Unis continuent. Lundi matin, plus de 200 militants juifs et leurs alliés ont été arrêtés alors qu’ils bloquaient les entrées de la Bourse de New York sur Wall Street. Les manifestants ont appelé à un embargo des armes à Israël et à la fin d’une guerre qui profite à des compagnies comme Raytheon et Lockheed Martin.

MANIFESTANTS : Que vive Gaza ! Arrêtez d’armer Israël ! Arrêtez d’armer Israël ! Que vive Gaza ! Que vive Gaza ! Arrêtez d’armer Israël ! Arrêtez d’armer Israël ! Que vive Gaza ! Que vive Gaza ! Arrêtez d’armer Israël !

AMY GOODMAN : La manifestation était organisée par l’organisation « Voix juives pour la paix », qui a déclaré que cette action était le plus grand acte de désobéissance civile devant la Bourse de toute l’histoire. Les participants de la manifestation incluent des descendants de survivants de l’Holocauste, l’acteur Eric André, lauréat d’un Emmy Award, la réalisatrice oscarisée Laura Poitras, l’artiste renommé Nan Goldin, l’actrice nommée aux Oscars Debra Winger et l’artiste Molly Crabapple. La police a dégagé de force beaucoup de ces manifestants pacifiques, dont notre invitée Elena Stein. Elle est directrice de l’organisation et de la stratégie pour « Voix juives pour la paix ». Elle a été arrêtée et détenue pendant huit heures.

Bienvenue à Democracy Now! Nous sommes heureux de vous compter parmi nous, Elena. Il y a une photo très dramatique de vous en train d’être emmenée, maintenue par la police et trainée sur le dos. Vous portiez le tee-shirt que vous portez maintenant, avec l’inscription « Arrêtez d’armer Israël ». Expliquez-nous en quoi consistait cette action.

ELENA STEIN : Tout d’abord, merci beaucoup de me recevoir, Amy and Juan. Je regarde votre programme, Democracy Now!, tous les matins depuis à peu près 15 ans, j’aime tellement tout ce que vous faites tous.

Hier, 500 New-Yorkais juifs et leurs amis ont bloqué le « business as usual » de la Bourse de New York sur Wall Street,— vous savez, l’épicentre du capital mondial—, en demandant que les États-Unis cessent d’armer Israël et cessent de profiter du génocide.

Et, vous savez, lorsque nous sommes arrivés là-bas le matin, nous avons appris que la nuit même Israël avait bombardé l’hôpital Al-Aqsa et avait incendié au moins 30 tentes pleines de personnes qui avaient déjà été déplacées, qui avaient encore des intraveineuses dans les bras à cause de leur séjour à l’hôpital, brûlant vifs les gens. Et cela se passe après des journées de massacre de familles entières dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le cadre d’une stratégie plus large pour bloquer, affamer, et essentiellement compléter le nettoyage ethnique du nord de Gaza, où vivent 400 000 personnes.

Cela s’appelle un génocide à l’intérieur d’un génocide. Les gens mettent en ligne leurs derniers adieux. Donc nous sommes remplis d’une horreur sans nom et nous essayons seulement d’incarner une once de ce refus par nos actions.

Et, bien sûr, ce qui est si important pour nous tous ici aux États-Unis, c’est de comprendre que tout cela est fait avec des bombes américaines, ces bombes qui massacrent famille après famille dans cette guerre d’extermination — parce que, ne nous y trompons pas, c’est l’objectif : l’extermination. C’est fait avec des bombes américaines, avec des armes américaines et sous couverture américaine, en protégeant Israël de l’obligation de rendre des comptes devant n’importe quelle institution internationale.

Maintenant, le gouvernement Biden veut que vous croyiez que la raison pour laquelle les États-Unis arment et financent et couvrent le gouvernement israélien comme cela, c’est au nom de la sécurité juive. N’est-ce pas ? C’est la couverture morale qu’ils utilisent. C’est la justification utilisée pour couvrir toute l’entreprise.

Et alors, nous sommes là pour dire que nous rejetons ce mythe, ce mythe malsain, de toutes les fibres de nos êtres. Nous refusons de laisser nos histoires, nos identités, nos traditions se faire utiliser pour torturer, pour affamer, pour massacrer, pour effacer les Palestiniens. Et nous sommes là pour dire que les vrais intérêts du gouvernement Biden, les vrais intérêts du gouvernement américain, sont cela : ses propres intérêts impérialistes et ses propres intérêts financiers. Et donc, nous sommes là pour dire aux États-Unis : « Arrêtez d’armer Israël. Arrêtez de tirer profit d’un génocide ».

JUAN GONZÁLEZ : Et, Elena, pourriez-vous expliquer pourquoi vous avez chois la Bourse ? Parce que la réalité, c’est que dans chaque guerre où les États-Unis aient jamais combattu, il y a eu des gens qui en ont tiré de l’argent, c’est un secteur du capitalisme américain. Et dans le cas présent, pourriez-vous parler des fabricants d’armes et des sommes énormes, obscènes, d’argent qu’ils tirent de cette guerre, des compagnies comme Raytheon et Lockheed Martin?

ELENA STEIN : C’est parfaitement exact. Donc, la plupart d’entre nous savent que chaque année les États-Unis envoient 3,8 milliards de subventions militaires à Israël. Bon, la première chose à savoir est que c’est une quantité d’argent sans précédent. Il n’y a pas une telle quantité d’argent public des contribuables qui va annuellement comme cela à aucun autre pays.

La deuxième chose à savoir est qu’aucune partie de cet argent n’est utilisée [pour de l’aide humanitaire] — quand nous entendons le mot « aide », nous pourrions penser : « Oh, c’est pour se remettre d’un désastre naturel ou pour les logements ou l’éducation ». Non, tout cet argent doit être utilisé par l’armée israélienne, pour des objectifs militaires. Et pas seulement cela, mais tout cet argent doit ensuite retourner aux États-Unis, à des entrepreneurs du secteur de la défense aux États-Unis, à des compagnies d’armes américaines. Donc nous voyons ici que l’entreprise entière a pour but de renforcer l’économie de guerre des États-Unis.

Maintenant, 3,8 milliards de dollars n’est que la somme d’argent qui provient du financement public par les contribuables.On ne parle pas des milliards des fonds privés. Mais cette année, les États-Unis ont envoyé — en financement public, le gouvernement américain a envoyé 18 – 18 – milliards de dollars de fonds des contribuables à l’armée israélienne. Il n’y a pas de mots pour décrire à quel point cela est sans précédent.

Et donc, quand nous disons que tout cela sert à renforcer l’économie de guerre des États-Unis, il faut voir que cela marche. Cette année, les cours des actions des fabricants d’armes sont montés en flèche. Si l’année dernière, vous aviez investi 10000 dollars dans Raytheon, à l’heure actuelle vous auriez eu 18000 dollars, en un an seulement. C’est du 80% de rendement en un an. Raytheon est la firme fabriquant des bombes à fragmentation qui sont interdites dans les zones civiles et qu’Israël utilise juste maintenant au Sud-Liban.

Et pas seulement cela : 50 – plus de 50, au moins, membres du Congrès et leurs conjoints ont investi dans Raytheon et Lockheed Martin, deux des fabricants d’armes majeurs. Donc nous pouvons voir qu’ils tirent profit, assez littéralement, de ce génocide. Et ce sont les gens qui votent pour accroître les subventions et les armes à l’armée israélienne. Nos responsables élus ne devraient jamais être capables de tirer profit d’un génocide. Ils sont là soi-disant pour exécuter la volonté du peuple.

Et réfléchissez à cela : la semaine dernière, l’ouragan Helene a ravagé des communautés dans tous les Appalaches — n’est-ce pas ?— tuant des centaines de personnes, déplaçant des milliers d’autres. C’était seulement une semaine avant que l’ouragan Milton ne fasse la même chose, qu’il ne ravage la Floride. Et avant même d’avoir pu évaluer les décombres après l’ouragan Helene, la FEMA [l’Agence fédérale de gestion des situations d’urgence] a rapporté qu’il manquait 9 milliards de dollars. Au même moment exactement, le président Biden a annoncé qu’il débloquait 8,7 milliards de dollars de financement militaire pour l’armée israélienne. C’est presque exactement le même montant. Donc ce que nous voyons, c’est que, assez littéralement, le gouvernement des États-Unis choisit de massacrer en masse des Palestiniens plutôt que d’aider nos communautés ici aux États-Unis qui essaient de se remettre de cette crise climatique dévastatrice, nous voyons aussi le désinvestissement chronique de leurs communautés.

Et voilà pourquoi nous étions là hier avec 500 personnes pour dire, à l’extérieur sur Wall Street, cet épicentre du capital mondial — et oui, comme vous avez dit, Juan, vous savez, Wall Street a tiré profit du génocide, de chaque génocide de ce pays depuis la fondation de ce pays, depuis les génocides fondateurs. Wall Street a été construit effectivement comme le premier marché pour le commerce des personnes kidnappées sur les côtes d’Afrique pour être mises en esclavage — et il a ensuite été transféré en 1711 sur Wall Street par les colons européens, qui avaient aussi mené un génocide contre les populations autochtones de Manhattan. Et hier, c’était la Journée des peuples autochtones et c’est une partie des raisons pour lesquelles il est si important d’y enraciner cette histoire.

Et nous rendons aussi hommage aux nombreux mouvements qui ont manifesté contre Wall Street depuis, de ACT Up qui a eu sa manifestation fondatrice à Wall Street en 1987, en retardant l’ouverture de la Bourse— et de fait, un des organisateurs de cette manifestation était avec nous hier en prison, ce qui est tellement significatif — jusqu’au mouvement Occupy Wall Street et aux nombreuses manifestations menées par des Palestiniens à Wall Street cette année. Et donc, c’est pourquoi nous étions là, pour dire, tous ensemble, financez la FEMA, pas le génocide ; financez les logements, pas le génocide ; financez la santé, pas le génocide.

AMY GOODMAN : Je voudrais que nous écoutions maintenant Sumaya Awad, du projet juridique Adalah. Elle est palestinienne et a participé à la manifestation où vous avez été arrêtée à la Bourse de New York. Elle parle ici à CBS News.

SUMAYA AWAD : Nous refusons que notre gouvernement continue à faire cela, à utiliser ainsi nos impôts pendant que notre pays souffre d’un désastre climatique, et de manque de soins.

AMY GOODMAN : Et je voudrais mentionner aussi Ros Petchesky, lauréate de la prestigieuse bourse MacArthur, une ancienne militante contre la guerre au Vietnam, et actuelle membre de Voix juives pour la paix. Elle a 82 ans, et lundi, elle a été l’une des personnes les plus âgées à s’enchaîner aux grilles de Wall Street. Elle a dit à CBS pourquoi elle participait à la manifestation.

ROSALIND PETCHESKY : Une grande quantité de nos ressources vont à la guerre. Les juifs ont une longue tradition d’opposition aux guerres.

AMY GOODMAN : Ros Petchesky est professeur émérite à Hunter. Nous entendons ces voix, et vous, Elena, vous êtes vous-même la petite fille d’une survivante de l’Holocauste. Parlons de cela, comment cela informe votre militantisme aujourd’hui,. Le dos de votre tee-shirt, dont le devant dit : « Arrêtez d’armer Israël », dit « Pas en notre nom ».

ELENA STEIN : Le jour où toute la famille et tout le village de ma grand-mère ont été massacrés dans un génocide différent, l’Holocauste, il s’est trouvé que ma grand-mère était absente. J’ai grandi en sachant cela, et en comprenant que cela signifie que, tout d’abord, je ne suis pas supposée être là. Ma vie même est un simple coup de chance. Et j’ai aussi grandi en ressassant la question « Où étaient les voisins ? «  Pourquoi sont-ils restés sans rien faire ? Pourquoi n’ont-ils pas jeté leurs corps entre les tueurs et ma famille ? ». Et donc aujourd’hui, c’est avec tous mes ancêtres juifs derrière moi, celle qui a survécu, ma grand-mère, et tous ceux qui ont été tués, que nous, eux et moi tous ensemble, nous disons bruyamment, plus profondément que jamais auparavant : « Nous refusons d’être les voisins qui restent sans rien faire ».

Et. je pense que c’est le cas de beaucoup d’entre nous dans ces manifestations, particulièrement lorsque nous voyons le gouvernement israélien utiliser cyniquement cette excuse, utiliser l’identification entre judaïsme et sionisme — soyons clair, le judaïsme est notre riche tradition vieille de milliers d’années ; Israël est un État d’apartheid qui a 76 ans. La couverture d’Israël a été retirée. Les gens peuvent voir cet État pour ce qu’il est, et le projet sioniste et le projet de nettoyage ethnique et de génocide et les objectifs pleinement, pleinement expansionnistes qu’il a, et le fait qu’il utilisera tous les moyens possibles pour faire de ce projet une réalité. Et la seule excuse qui leur reste, la seule couverture qui leur reste, c’est d’appeler toute résistance à ce projet de l’antisémitisme. Nous refusons cela. Il n’y a rien d’antisémite dans la lutte pour le droit d’un peuple à vivre, à vivre dans son pays, à prospérer, à être en sécurité dans ses foyers. Nous refusons de laisser nos traditions, nos identités, nos histoires être utilisées pour permettre la torture de masse, la famine de masse, le massacre et l’effacement des Palestiniens.

JUAN GONZÁLEZ : La manifestation de lundi était la plus récente dans une longue chaîne de manifestations non-violentes organisées par Voix juives pour la paix — à la gare de Grand Central Terminal à l’heure de pointe, près de la Statue de la liberté, au pont de Manhattan. Est-ce que pensez que le gouvernement Biden entend votre voix ?

ELENA STEIN : Puisse-t-il en être ainsi. Écoutez, le gouvernement Biden nous regarde tous. Ils ont vu l’aiguille se déplacer. Je veux dire, deux tiers — les sondages montrent que les deux tiers des Américains veulent maintenant un embargo des armes. Deux tiers des Américains disent qu’ils ne veulent pas que des armes aillent en Israël. C’est étonnant. Et comprenons-le pour ce que c’est, une victoire extraordinaire pour le mouvement mené par les Palestiniens pour la libération de la Palestine. Et bien sûr, nous voyons que le gouvernement Biden n’écoute pas. Nous voyons que le Congrès n’écoute pas. Tous, nous demandons : « Pourquoi ? ».

Bon, avant tout, c’est parce que nous ne vivons pas en démocratie. Ils n’ont pas à nous écouter. C’est pour leurs propres intérêts impérialistes et financiers. C’est pour leurs propres intérêts à contrôler la région, des intérêts qui ont été montrés et mis à nu dans tant d’interviews que vous avez faits ici sur Democracy Now! Et c’est pour leurs intérêts financiers et leur gain financier, parce que nous connaissons le contrôle de ce pays par les entreprises.

Et donc, nous voyons ce moment de —je veux dire, pour être honnête, nous voyons beaucoup de désespoir et beaucoup d’impuissance juste maintenant, particulièrement alors qu’Israël étend sa guerre d’extermination plus loin dans Gaza et ensuite dans tout le Liban et, vous savez, bombardant le Liban et la Syrie et le Yémen et la Cisjordanie, et le risque, la menace qu’il bombarde bientôt l’Iran aussi. Les regarder non seulement ne pas nous écouter, mais aussi élargir leur action au même moment est vraiment extraordinaire et sentir que tant de millions de gens sont encore plus terrorisés en voyant leurs proches dans un de ces autres pays en train de fuir maintenant pour rester en vie, aussi.

Et nous refusons d’abandonner. D’accord ? Nous tirons notre inspiration de tous les mouvements avant nous qui n’ont jamais abandonné même après une année sans victoire. Nous tirons particulièrement notre inspiration de la lutte des Palestiniens, qui luttent là depuis 76 ans et n’ont jamais jeté l’éponge parce que c’est une bataille tellement difficile. Et nous ici, dans le ventre de la bête, là où nous savons qu’est le contrôle de ces armes et de ces financements, nous devons faire exactement la même chose. Nous ne pouvons pas abandonner. Nous devons redoubler d’efforts précisément maintenant. Et même si le chemin vers cet embargo des armes est devenu de plus en plus embrouillé puisque nous les voyons refuser de nous écouter, nous savons que tout ce que nous tous devons faire, c’est d’appliquer cette pression de tous les angles possibles, et que chacun de nous a un rôle à jouer.

—————-

AMY GOODMAN : Elena Stein, je veux encore vous remercier d’être parmi nous. Vous êtes le directrice de la stratégie d’organisation de Voix juives pour la paix, et la descendance d’une survivante de l’Holocauste. Lundi, vous avez été arrêtée avec d’autres militants juifs et alliés dans une plus vastes actions — 200 militants et alliés dans l’un des plus vastes actions de désobéissance civile que la Bourse de New York ait connue, pour demander que les États-Unis cessent d’armer Israël.