L’AURDIP et quatre organisations académiques exhortent l’UE à suspendre la participation d’Israël aux programmes de recherche de l’UE, suivant l’ordonnance provisoire de la Cour de Justice Internationale qui a trouvé plausible l’affirmation de génocide perpétré contre les Palestiniens à Gaza. La lettre met en avant les violations du droit international par Israël et critique le financement de l’UE susceptible de soutenir ces actes. Elle appelle au respect de l’ordonnance de la CIJ et une cessation du soutien de l’UE à Israël jusqu’à ce que celui-ci adhère au droit international et aux normes éthiques.

À Mr. Josep Borrell, Haut-Représentant de l’Union Européenne pour les Affaires Internationales et la politique de sécurité
À Mme Iliana Ivanova, Commissaire à l’innovation, la Recherche, la Culture, l’Éducation et la Jeunesse
Cher Mr. Josep Borrell,
Chère Madame Iliana Ivanova,
Le 26 janvier 2024, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a émis une ordonnance provisoire en réponse à la demande de l’Afrique du Sud de poursuites contre Israël au motif de violations de la Convention sur le génocide par ses actes à Gaza depuis le 7 octobre 2023. La Cour a déterminé « qu’au moins certains des droits revendiqués par l’Afrique du Sud et pour lesquels il cherche protection (c’est-à-dire le droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés du génocide) sont plausibles ». Elle a aussi établi « un risque réel et imminent » d’un préjudice irréparable aux droits des Palestiniens de Gaza à être protégés du génocide.
Cela n’est pas une surprise pour les nombreux chercheurs et universitaires européens qui, avec des députés européens , ont à plusieurs reprises exprimé dans des lettres adressées à vous ou à vos prédécesseurs, leur profonde préoccupation quant à la participation d’Israël aux Programmes-cadres de l’UE pour la Recherche et l’Innovation. Au lieu de remplir ses obligations de puissance occupante, Israël a déplacé les Palestiniens, volé leurs ressources, colonisé leurs terres, étendu ses colonies illégales et persécuté les Palestiniens au moyen du droit et de pratiques définies comme apartheid par des organisations de défense des droits humains palestiniennes , israéliennes et internationales. L’UE a cependant récompensé Israël par des privilèges en lieu et place de sanctions. À ce jour, Israël a reçu plus de €600 millions de dollars (559 millions €) du programme Horizon Europe, plus que tout État membre de l’UE. Le financement cumulé sur 27 années, avec le soutien politique, diplomatique et économique, a pavé le chemin à des processus qui ont culminé dans la guerre génocidaire actuelle : « une tragédie annoncée ”, contre la propre loi de l’UE et ses principes éthiques. Le rapporteur spécial de l’ONU et la Commission d’enquête indépendante de l’ONU ont averti que l’occupation prolongée, l’impunité et les politiques discriminatoires contre les Palestiniens sont les causes à la racine de la violence perpétuelle qui a mis en danger la paix et la stabilité de la région. En laissant se faire les crimes de guerre, l’UE a pris une responsabilité majeure.
L’obligation faite à des États tiers de se plier à l’ordonnance de la CIJ découle directement de la Convention sur le Génocide. Dans le cadre de cette convention, tous les États ont une obligation négative de ne pas commettre ou de n’être pas complices de génocide et des obligations positives d’empêcher et de punir le génocide. L’interdiction de commettre un génocide est une norme jus cogens à laquelle aucune partie, y compris les entreprises, ne peuvent déroger. Du fait de la décision de la CIJ, l’endossement implicite du comportement d’Israël par l’UE doit cesser.
Et pourtant, en ce moment-même, l’industrie d’armement israélienne de même que des entreprises inscrites sur la base de données de l’ONU des entreprises impliquées dans des activités en lien avec les colonies israéliennes dans les TPO, bénéficient de financements des programmes de recherche de l’UE. Nous attirons particulièrement l’attention sur l’usage de l’Intelligence Artificielle en lien avec des campagnes presque automatiques de bombardements dans des zones densément peuplées de Gaza, engagées dans le mépris total des pertes de vies civiles. Par exemple l’armée israélienne a développé un système largement bâti sur l’intelligence artificielle appelé ‘Habsora’ (L’Évangile), qui peut « générer des cibles presque automatiquement à un rythme qui excède de loin ce qui était précédemment possible » et qui est utilisé dans le ciblage large de bâtiments civils. Un autre programme basé sur l’IA, connu sous le nom de ‘Lavande’, identifie des gens à mettre sur une liste de « à tuer » et a joué un rôle central dans le meurtre généralisé de civils palestiniens. Et encore un autre système ‘Où est Papa’ alerte l’armée israélienne lorsque des Palestiniens inscrits sur la liste « à tuer » entrent dans leur maison familiale ; dès lors, eux et leur maison deviennent des cibles pour un bombardement aérien ou pour des attaques de drones. Nous notons que la recherche en IA est depuis longtemps un domaine de coopération scientifique entre l’UE et Israël. L’UE devrait être préparée à enquêter pour savoir si ou jusqu’à quel point ses propres financements ont contribué à la mort de civils à Gaza.
L’Article 25 du Statut de Rome criminalise non seulement l’aide directe ou indirecte au génocide mais aussi l’incitation à commettre un génocide. Pour ne donner qu’un exemple, le Président de l’Université de Tel Aviv, une institution publique, a comparé le peuple palestinien à la tribu maudite d’Amalek et l’a convoqué à souffrir le même sort, c’est-à-dire que tout homme, femme, enfant palestinien devrait être tué. De telles déclarations de la part de personnalités académiques et politiques en vue sont banales, comme le documente le Mémoire de l’Afrique du Sud à la CIJ , §101 à 107, et la coopération scientifique de l’UE avec Israël devrait être considérée sous cet angle.
La gravité de la situation actuelle à Gaza et les protestations étudiantes mondiales ont amené des universités de Norvège, Espagne et Belgique à suspendre leurs liens avec les entités de recherche israéliennes. L’Université de Barcelone a été plus loin en demandant à l’UE de bloquer la participation d’institutions israéliennes à tous projets financés par des fonds européens.
Pour respecter l’ordonnance de la CIJ, l’UE doit geler tous les privilèges étendus à Israël, en particulier la participation à des programmes de recherche de l’UE jusqu’à ce qu’Israël se plie à l’ordonnance de la CIJ, qu’il se retire de Gaza et qu’il prouve à la Cour qu’il n’a pas commis de génocide. La reprise de l’accord UE-Israël et de tout autre accord à venir devrait être conditionnée par le fait qu’Israël se conforme au droit international et aux lignes directrices éthiques propres à l’UE : jusqu’à ce qu’Israël remplisse ses obligations légales et mette fin à l’occupation, à la discrimination et à la répression du peuple palestinien.
Vous-même, Monsieur Borrell, avez appelé l’opération israélienne du 7 juin qui a tué plus de 270 Palestiniens pour libérer 4 otages, un « massacre » et vous avez déclaré : « Le bain de sang doit cesser ». Le bain de sang ne s’arrêtera pas tant qu’Israël est soutenu par l’UE ; et l’UE partage la responsabilité du bain de sang aux yeux du monde. Nous appelons l’UE à cesser d’aider Israël.
Respectueusement vôtres,
Dr. Nozomi Takahashi, Présidente des Universitaires et Artistes belges pour la Palestine/ Campagne belge pout le Boycott Académique et Culturel d’Israël (BA4P/BACBI)
Prof. Em. Ivar Ekeland, Président de l’Association Française des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP)
Prof. Em. Jonathan Rosenhead, Président du Comité Britannique pour les Universités de Palestine (BRICUP)
Dr. Sue Blackwell, au nom des Intellectuels Néerlandais pour la Palestine (DSP)
Dr. María José Lera, au nom des Universitaires pour la Palestine (RUxP) – le Réseau Universitaire pour la Palestine d’Espagne.