Nous rendons public cet appel en tant qu’universitaires travaillant dans le champ des études sur l’antisémitisme et dans les champs voisins. Les 13-14 octobre 2021, les dirigeants de l’Union européenne….
Nous rendons public cet appel en tant qu’universitaires travaillant dans le champ des études sur l’antisémitisme et dans les champs voisins.
Les 13-14 octobre 2021, les dirigeants de l’Union européenne et des Nations Unies et les chefs d’états et de gouvernement de nombreux pays se rencontreront au Forum international de Malmö pour la Mémoire de l’Holocauste et la Lutte contre l’antisémitisme.
Le Premier ministre suédois Stefan Löfven organise ce forum 21 ans après le Forum international sur l’Holocauste de Stockholm, qui a abouti à la Déclaration de Stockholm, le document fondateur de l’Alliance internationale de la Mémoire de l’Holocauste (International Holocaust Remembrance Alliance, IHRA).
Nous saluons et soutenons l’objectif déclaré du Forum de Malmö, qui est « de prendre en commun des mesures concrètes pour poursuivre le travail sur la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme ».
L’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme et de sectarisme posent une menace croissante qui doit être combattue énergiquement. Nous louons la résolution et les efforts des gouvernements à cet égard.
En même temps, nous émettons un avertissement sévère contre l’instrumentalisation politique de la lutte contre l’antisémitisme. Dans l’intérêt de l’intégrité, de la crédibilité et de l’efficacité de cette lutte, nous exhortons les dirigeants présents au Forum de Malmö à rejeter et à contrer cette instrumentalisation.
Une inquiétude particulière dans ce contexte est la « définition de travail de l’antisémitisme » que l’IHRA a adoptée en mai 2016, à la suite du Forum mondial pour combattre l’antisémitisme de 2015 organisé par le gouvernement israélien.
Onze « exemples contemporains d’antisémitisme » ont été annexés à cette définition de l’IHRA, dont sept sont liés à Israël. Ces exemples sont utilisés comme des armes contre les organisations de défense des droits humains et des militants solidaires qui dénoncent l’occupation et les violations des droits humains par Israël.
Ils légitiment des accusations abusives d’antisémitisme qui servent d’avertissement à quiconque émet des critiques sur le traitement des Palestiniens par Israël. Cela a un effet dissuasif sur la libre expression et la liberté académique et compromet la lutte contre l’antisémitisme.
Il est regrettable que cet abus clair de la définition de l’IHRA et des exemples n’a pour l’instant pas été reconnu comme tel par les gouvernements et les parlements qui ont adopté cette définition. Plus inquiétant, l’Union européenne travaille avec ardeur pour mettre en oeuvre la définition de l’IHRA dans de multiples domaines stratégiques et pour l’enraciner dans toute la société.
En janvier 2021, la Commission européenne a publié dans cette perspective un « Manuel », qui a été vivement critiqué par des acteurs de la société civile. Parmi d’autres initiatives, ce manuel promeut l’idée de donner un effet juridique à la définition de l’IHRA et la cultive comme un critère pour allouer ou refuser des fonds aux organisations de la société civile. Nous craignons que cela soit un prélude à des politiques discriminatoires et répressives.
Le 5 octobre 2021, la Commission européenne a présenté la « Stratégie pour combattre l’antisémitisme et faciliter la vie des juifs », une stratégie longtemps attendue.
Comme le manuel mentionné plus haut, cette stratégie ignore les inquiétudes croissantes sur les défauts et l’instrumentalisation de la définition de l’IHRA, que différents acteurs ont aussi indiquées dans le contexte de la consultation publique lancée par la Commission ; y compris cette proposition universitaire d’experts, avec une annexe illustrant l’instrumentalisation de la définition de l’IHRA et une lettre commune de 10 ONG et réseaux européens. En fait, la nouvelle stratégie de l’UE nourrit ces inquiétudes.
C’est aussi avec inquiétude que nous notons que l’instrumentalisation politique de la lutte contre l’antisémitisme et de la définition de l’IHRA est facilitée par les coordinateurs et les commissaires nommés par la Commission européenne et les gouvernements nationaux.
En Allemagne en particulier, cela a créé une atmosphère toxique et intimidante. Nous remarquons la coordination avec les organisations de pression protégeant le gouvernement israélien, et même la dépendance vis-à-vis d’elles.
Cet enchevêtrement politique a un effet de discorde et de polarisation qui mine le large soutien pour la lutte contre l’antisémitisme et distrait l’attention des sources vives de l’antisémitisme. Il contredit aussi l’esprit universaliste de la Déclaration de Stockholm, qui manque à la définition de l’IHRA.
En revanche, une définition alternative de l’antisémitisme lancée plus tôt cette année porte vraiment cet esprit : la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme (JDA).
La JDA a été mise au point par un groupe d’universitaires des Etats-Unis, d’Israël, d’Europe et du Royaume-Uni qui ont une large expérience de la définition de l’IHRA.
Après plus d’une année de délibération, la JDA a été rendue publique en mars 2021. Elle a été approuvée par plus de 300 spécialistes de l’antisémitisme et des questions liées, y compris de nombreux directeurs d’instituts en Europe et aux Etats-Unis.
Nous encourageons les dirigeants présents au Forum de Malmö à ajouter la JDA à leurs instruments politiques et à s’y appuyer à titre d’orientation. Enracinée dans des principes universels, la JDA est plus claire et plus cohérente que la définition de l’IHRA. Sans agenda politique sous-jacent, elle offre des directives concernant le discours politique, alors que la définition de l’IHRA a créé confusion et controverse.
Nous recommandons aussi la JDA dans la perspective de la déclaration du Premier ministre Löfven, anticipant le Forum de Malmö : « Nous devons répondre au déni de l’Holocauste et à l’antisémitisme en protégeant et en promouvant les valeurs démocratiques et le respect pour les droits humains ». Le JDA reflète et respecte les valeurs démocratiques et les droits humains.
Dans le souci que le Forum de Malmö ait un résultat concret, le gouvernement suédois a invité toutes les délégations participantes à présenter des « engagements ».
Nous appelons les dirigeants du Forum de Malmö à s’engager en commun à rejeter et à contrer l’instrumentalisation politique de la lutte contre l’antisémitisme, qui sape les valeurs démocratiques et les droits humains et cause un grave tort à cette lutte.