En cette période historique, la science politique française et européenne ne peut plus détourner le regard sur ce qui se passe au Moyen-Orient, tout particulièrement à Gaza.
A quelques jours des « Rencontres de la science politique », nous vous proposons de signer et de diffuser avec nous ce texte d’appel aux politistes « Agir, tant qu’il est encore temps ».
Vincent Lebrou, Valentin Behr, Yiorgos VassAlos , Willy Beauvallet, Maxime Behar
En cette période historique, la science politique française et européenne ne doit pas détourner le regard : alors que de nombreuses ONG, institutions internationales et spécialistes n’hésitent plus à qualifier ce qui se passe en Palestine depuis 20 mois de génocide, la discipline prévoit de se réunir dans les jours qui viennent à Paris sans que la question ne soit abordée sous un angle ou sous un autre. Pas un mot dans le programme des Rencontres, pas un mot dans le mag de l’AFSP, le dernier numéro ayant été pourtant consacré en partie à la liberté académique et à l’accueil des collègues américain·es malmené·es par l’administration Trump. L’empathie générale et les mesures prises n’ont pas été les mêmes pour les collègues Palestinien·nes, bénéficiaires ou non du programme Pause, qui meurent sous les bombes, les balles, la famine ou la soif ou qui, quand ils et elles arrivent à s’extraire de l’enfer de Gaza, sont accueilli·es en France dans des conditions précaires indignes d’une démocratie moderne***.
Pourtant, à Gaza, bien avant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, il ne fut pas seulement question de disqualification politique des universités et centres de recherche, d’arrêt de financements, de licenciements d’enseignants et/ou chercheurs, d’arrestation et d’expulsion d’étudiants. A Gaza, l’éducide s’est traduit par la destruction de tous les équipements immobiliers et numériques, la totalité des campus, tous les laboratoires, toutes les archives, toutes les publications, toutes les bibliothèques, tous les musées, la plupart des lieux de mémoires, des monuments anciens, des sites archéologiques, la plupart des 36 hôpitaux que comptait ce territoire. Nombre de ces destructions ont eu lieu « au sol » : des campus entiers ont été dynamités ou des bibliothèques incendiées par des soldats qui s’en sont revendiqués eux-mêmes sur les réseaux sociaux, dans les médias. Rien n’a pu être sauvegardé, mis à l’abri ou évacué. La plupart des acquis de décennies d’activité universitaire moderne ont été définitivement perdus. Des équipes entières d’enseignant·es et de chercheur·es ont été décimées, de nombreux collègues emprisonné·es ou assassiné·es délibérément (à l’image de Sufyan Tayeh, président de l’Université islamique de Gaza, physicien de renom, assassiné en décembre 2023 avec toute sa famille). Depuis bientôt 2 ans, plus de la moitié des 2,3 millions d’habitant·es que comptait, en 2023, une enclave occupée et sous blocus depuis 2006 se retrouve sans accès à l’éducation, primaire, secondaire et supérieure dans une grande indifférence des mondes universitaires occidentaux.
Nous, chercheur·es en science politique ou, plus généralement, universitaires attentifs et attentives à la marche du monde et aux drames qu’elle charrie, soucieux·ses d’étudier avec les outils des sciences sociales les mécanismes de la domination et de la violence dans toute leur diversité, exprimons notre souhait le plus ardent que la discipline se positionne collectivement face à l’innommable et rejoigne ainsi le mouvement européen /mondial initié par nos collègues. Au-delà des sphères académiques, à l’heure où la marche de Gaza est empêchée, à l’heure où la flottille de la liberté est arraisonnée, à l’heure où les dernières infrastructures palestiniennes sont détruites et où la colonisation s’accélère en Cisjordanie, nous souhaitons nous saisir de ce moment de réunion du début du mois de juillet pour exprimer notre honte. Notre honte face au silence des instances politiques nationales et européennes, notre honte face à l’inaction du pouvoir et de celles et ceux qui ont le pouvoir de faire cesser une entreprise de destruction d’une ampleur rarement vue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En outre, la répression des mobilisations étudiantes en solidarité avec la population palestinienne, ainsi que celle des chercheur·es et enseignant·es-chercheur·es ayant fait usage de leur liberté d’expression sur ce sujet, se sont accompagnées de menaces sur la liberté académique, à l’Université Lumière Lyon 2 et au laboratoire Triangle en particulier, mais également à Sciences Po Paris, à l’EHESS, à l’ENS PSL, à la Sorbonne, à Aix-Marseille, Lille, Strasbourg, Toulouse, etc. Ces menaces sur notre discipline, les Sciences sociales et l’université en général sont aussi venues des membres du gouvernement en exercice. Trop rarement dénoncées (voir ici le communiqué de l’AFSP), ces menaces sont pourtant gravissimes et devraient nous inciter à nous mobiliser massivement.
Pour toutes ces raisons, nous appelons celles et ceux qui le peuvent à se mobiliser dans leurs espaces académiques. Dans cette optique, nous vous proposons d’ores et déjà de diffuser et de signer, ci-dessous, cet appel.
Nous espérons pouvoir rapidement élaborer de manière collaborative des actions susceptibles de porter le plus haut possible la voix de la Science politique et de l’Université publique française sur ces enjeux historiques. Les journées du 30 juin et 1er juillet seront, nous l’espérons, l’occasion d’une première prise de contact. Nous souhaitons en ce sens constituer un réseau susceptible d’abriter des temps d’échange, et si vous souhaitez y participer, vous pouvez laisser votre contact en cliquant ici.
*** Addendum le 24 juin à 16h30 : Le 23 juin, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont conclu qu’Israël viole les droits de l’homme à Gaza, sans mettre en place de sanctions pour le moment.
https://www.theguardian.com/world/2025/jun/23/eu-tells-israel-to-improve…
Signataires et formulaire de signature disponibles ici