Des centaines de civils tués dans un hôpital de Gaza, toujours sous blocus

L’hôpital anglican Al-Ahli, dans le centre de la ville de Gaza, accueillait aussi des centaines de déplacés. Israël et le Hamas se renvoient la responsabilité de la frappe. Joe Biden est arrivé mercredi à Tel-Aviv.

Jérusalem correspondance – La vidéo a été tournée juste après l’explosion, à l’arrivée des premiers secours. L’homme qui filme répète : « Au nom de Dieu », alors qu’il erre entre les corps d’adultes et d’enfants, certains déchiquetés au milieu d’affaires, de couvertures et de sacs éparpillés dans l’herbe. Une puissante déflagration a frappé, mardi 17 octobre, vers 19 h 30, la cour de l’hôpital Al-Ahli, dans le centre de la ville de Gaza. En plus des malades et des blessés des bombardements israéliens engagés en représailles à l’attaque du Hamas le 7 octobre, des centaines de déplacés s’y étaient massés, espérant trouver dans ce carré de verdure un refuge plus sûr que leurs propres maisons. Le ministère de la santé local a annoncé la mort d’ « au moins 500 personnes ».

L’armée israélienne accuse l’allié du Hamas, le Jihad islamique, d’être « responsable du tir de roquette raté qui a touché l’hôpital ». Le porte-parole, Daniel Hagari, a affirmé, mercredi matin, devant la presse « qu’aucun cratère ni aucun autre élément » n’ont été constatés qui indiqueraient qu’une frappe aérienne est à l’origine de l’explosion et a assuré qu’ « aucun tir israélien n’avait touché l’hôpital » . Le Jihad islamique a démenti ces accusations. Pour le chef du Hamas en exil au Qatar, Ismaël Haniyeh, la responsabilité d’Israël et « des Etats-Unis qui ont offert un soutien inconditionnel à cet ennemi [Israël] pour commettre ces massacres »ne fait aucun doute. Le mouvement a répondu à l’explosion de l’hôpital en tirant une salve de roquettes vers le centre d’Israël. Depuis le 7 octobre et la fermeture totale de l’enclave par l’Etat hébreu, la presse internationale n’a pas accès au terrain.

Mardi soir, les nombreux blessés étaient, dans la mesure du possible, acheminés vers l’hôpital gouvernemental Al-Shifa, déjà débordé par l’afflux de victimes des bombardements de ces onze derniers jours. « C’est un massacre d’ampleur et nous n’arrivons pas à faire face », a déclaré le porte-parole de la protection civile à Gaza, Mahmoud Bassal, interviewé sur la chaîne qatarie Al-Jazira. Verrouillée par un blocus israélien total depuis le 7 octobre, l’enclave manque de tout médicaments, carburant pour les générateurs, matériel médical jetable, gaz, eau.

« Mes filles et moi avons été projetées en arrière par le souffle de l’explosion, raconte une voisine, jointe par téléphone et qui préfère rester anonyme par peur de représailles. Toutes les ambulances se sont ruées sur le site… On a vu les incendies, les corps dispersés dans tous les endroits. Le sang partout. Pour nous, c’était impossible qu’il soit bombardé. C’est un hôpital chrétien ! J’ai perdu foi en l’humanité. » L’hôpital Al-Ahli, comme vingt autres à Gaza, avait reçu l’ordre des autorités israéliennes d’évacuer vers le sud de l’enclave.

Le docteur Ghassan Abu Sittah était venu prêter main-forte dans cet hôpital depuis mardi. « C’était un massacre, écrit ce chirurgien plasticien palestino-britannique dans une publication Facebook. J’ai entendu le sifflement de deux missiles et puis une forte explosion. Le faux plafond de la salle d’opération est tombé. Alors que je me dirigeais vers l’entrée du département des salles d’opération, j’ai vu que l’hôpital était en feu. Les blessés ont commencé à trébucher vers nous. » L’Eglise épiscopalienne à Jérusalem, chargée de l’hôpital Al-Ahli, a condamné une « attaque atroce » survenue « durant des frappes israéliennes », dénonçant un « crime contre l’humanité ».

Urgence absolue

Selon les dernières estimations, plus de 3 000 Gazaouis ont été tués depuis le 7 octobre, dont plus de 1 000 enfants. Les morgues débordent et des centaines de corps sont coincés sous les gravats un peu partout dans l’enclave, faute de secouristes pour venir les dégager. Mosquées, écoles et immeubles résidentiels ont été visés. Une cinquantaine de familles ont été anéanties.

Le 14 octobre, l’hôpital Al-Ahli avait déjà été endommagé par un bombardement israélien ; quatre membres du personnel avaient été blessés, rapportait alors Justin Welby, archevêque de Canterbury au nom de l’Eglise anglicane, à laquelle est rattachée l’Eglise épiscopalienne de Jérusalem. Le lendemain, l’armée avait appelé le directeur de l’hôpital pour lui dire que ces deux tirs étaient des avertissements pour évacuer, a rapporté, mardi soir, le sous-secrétaire du ministère de la santé locale, Yousef Abu Al-Rish, lors d’une conférence de presse, entouré des corps de victimes. En onze jours, seize soignants ont été tués lors de l’exercice de leur métier dans la bande de Gaza, selon l’Organisation mondiale de la santé. Quatre hôpitaux sont hors service.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « horrifié » par ce drame. Les « hôpitaux et le personnel médical sont protégés selon le droit international humanitaire », a-t-il ajouté. Le président américain, Joe Biden, attendu mercredi à Tel-Aviv, se retrouve isolé. Le sommet arabe prévu avec la Jordanie et l’Egypte a été annulé, notamment en raison du retrait du président palestinien, Mahmoud Abbas. Ce dernier, qui s’est montré discret depuis le début de la guerre à Gaza, a décrété un deuil national de trois jours.

A Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne, une foule en colère a demandé la destitution de Mahmoud Abbas, mardi soir. « Le peuple veut la chute du président », criaient les manifestants à quelques mètres de la Moqataa, le palais présidentiel. Les forces de l’ordre palestiniennes les ont repoussés par des tirs à balles réelles, tout comme à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, ou à Jénine, dans le Nord. Depuis le 7 octobre, 62 Palestiniens ont été tués par les Israéliens en Cisjordanie par l’armée israélienne, qui a procédé à des centaines d’arrestations, en majorité de sympathisants du Hamas.

Les 22 pays arabes ont durci le ton depuis l’attaque sur l’hôpital Al-Ahli et exigent désormais un cessez-le-feu à Gaza. Plusieurs tentatives pour faire entrer de l’aide humanitaire via le point de passage de Rafah, vers l’Egypte, ont échoué. L’enclave est dans une urgence humanitaire absolue : l’ONG des droits humains Al Mezan précisait, mardi soir, que le principal hôpital de Gaza, Al-Shifa, n’avait plus d’électricité et que les médecins opéraient sans anesthésie, dans les couloirs.

Dans les heures qui ont suivi l’attaque sur Al-Ahli, les bombardements israéliens se sont poursuivis sur l’enclave. Les zones du sud, Khan Younès et Rafah, ont subi d’intenses raids : plusieurs dizaines de personnes y ont été tuées mardi et un hôpital a été touché. C’est pourtant vers cette zone que l’armée israélienne a exigé vendredi que quelque 1,1 million de Gazaouis évacuent le nord de l’enclave, dans la perspective d’une invasion terrestre. Des centaines de milliers de civils ont donc quitté leur domicile sous les bombardements et s’entassent dans des appartements sans électricité et bientôt sans eau potable, quand ils ne sont pas sans abri.

« Nous sommes environ 200 dans l’immeuble de mon oncle, explique au téléphone Shouq Al-Najjar, qui a fui la ville de Gaza. Les hommes dorment à tour de rôle, car il n’y a pas assez de matelas ni de couvertures et il commence à faire froid la nuit ici. J’ai peur, pas seulement de mourir, moi, mais que tous mes proches soient emportés. » Soudain, la jeune Palestinienne interrompt la conversation, interpellée par une des femmes de sa famille. « Nous devons évacuer, notre immeuble va être bombardé », dit-elle avant de raccrocher.

« Conditions inhumaines »

Selon l’Unrwa, l’agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens et de la gestion des écoles, devenues des abris pour les déplacés, un million de personnes ont quitté leurs foyers, dont la moitié a trouvé refuge dans ou autour de ces établissements, soit plus de quatre fois ses capacités d’accueil. « Nos réserves d’eau et de nourriture s’épuisent. L’Unrwa n’a pas été en mesure de faire entrer un grain de céréale, un litre d’eau ou d’essence depuis dix jours à cause du siège imposé au territoire, rappelle Juliette Touma, la directrice de communication de l’agence, dont quatorze employés ont été tués depuis le 7 octobre. Il faut lever le blocus, c’est une urgence absolue. »

« Je me sens impuissant,décrit aussi Adham Al Madhoon, un habitant de Rafah, dans le Sud, dans un message entre deux coupures de courant. Nous n’avons ni eau, ni électricité, ni Internet, ni d’abris sûrs. Ce sont des conditions inhumaines. » Mercredi matin, l’enclave était toujours sous blocus.

Par Clothilde Mraffko (Jérusalem, correspondance) et Madjid Zerrouky