L’armée israélienne a promis d’éviter d’arrêter les enfants la nuit. Elle n’a jamais ne serait-ce qu’essayé

Bien qu’elle se soit engagée à de nouvelles procédures pour réduire cette pratique, l’armée continue par défaut ses arrestations nocturnes contre les enfants palestiniens, dit une association de défense des droits.

« Je me suis réveillé en entendant ma mère crier ‘L’armée ! L’armée !’ alors qu’elle regardait par la fenêtre », s’est souvenu Basil Jaradat, Palestinien de 16 ans du village de Sa’ir près d’Hébron, qui a été arrêté le 1er novembre au milieu de la nuit par des soldats israéliens. « L’armée est arrivée et a commencé à cogner sur la porte de la boutique en bas de notre maison. Puis ils sont montés jusqu’à la porte de chez nous. Ils ont jeté une grenade assourdissante et ont crié : ‘Ouvrez la porte ! »

« Lorsque nous l’avons ouverte, ils nous ont rassemblés dans une pièce et ont demandé nos noms », a poursuivi Jaradat. « Quand j’ai donné le mien, un soldat m’a pris à part et m’a dit ‘Mets tes chaussures’. Je me suis habillé et je voulais dire au revoir à ma famille, mais les soldats ont refusé. Ils m’ont couvert les yeux [avec un bandeau] et m’ont emmené en détention à Etzion [la base militaire], où on m’a interrogé à propos de jets de pierres. J’ai été libéré une semaine plus tard sous une caution de 1.400 NIS. »

Jaradat est l’un des plus de cent mineurs palestiniens qui ont été arrêtés en pleine nuit l’année dernière en Cisjordanie occupée, d’après un nouveau rapport de l’ONG des droits de l’homme HaMoked. Mais aucun d’entre eux n’aurait jamais dû être obligé de traverser cette épreuve – et pas seulement parce qu‘elle viole leurs droits selon le droit international.

En 2020, HaMoked a soumis une pétition à la Haute Cour d’Israël contre cette très ancienne pratique de l’armée qui consiste à arrêter chez eux en pleine nuit des mineurs palestiniens en Cisjordanie. En réponse, avant l’audience de la Cour, l’armée a élaboré en août 2021 une nouvelle procédure selon laquelle elle convoquerait les mineurs palestiniens pour interrogatoire en tant qu’alternative aux raids nocturnes.

Mais les données collectées par HaMoked pour 2021 ont clairement montré que cette procédure n’a pas été mise en place, et les nouvelles données pour 2022 montrent que cette tendance ne fait que se poursuivre. Au cours de l’année dernière, 294 familles palestiniennes ont contacté HaMoked pour lui demander de localiser un enfant qui avait été arrêté par l’armée. Parmi ces cas, 138 avaient été arrêtés chez eux dans des opérations préméditées, dont 125 avaient eu lieu pendant la nuit. D’après HaMoked, pas un seul des mineurs arrêtés la nuit n’avait jamais reçu une convocation pour interrogatoire.

Cette tendance est corroborée par des données compilées par la Surveillance des Tribunaux Militaires, qui contrôle aussi les arrestations nocturnes d’enfants palestiniens en Cisjordanie. L’organisation a découvert que, de 2014 à 2021, entre 1 et 9 % des mineurs ont reçu une convocation avant leur arrestation ; mais en 2022, pas un seul n’a reçu une convocation pour interrogatoire en amont de son arrestation préméditée.

En réponse à plus de 972 demandes, le Porte-parole des FDI a confirmé que, en dépit de la procédure établie, « quand il s’agit de graves délits et quand une convocation pour interrogatoire nuirait à son objectif, les mineurs sont arrêtés dans le cadre d’une arrestation préméditée et pas convoqués pour interrogatoire par la Police israélienne ».

Un premier recours

La procédure publiée en août 2021 par l’armée israélienne déclarait que le but de la convocation d’un enfant pour interrogatoire, plutôt que de mener des arrestations nocturnes, est de « réduire les torts faits à la population civile » et de servir « au mieux les intérêts de l’enfant ». A la suite de sa publication, les juges de la Haute Cour ont décidé que l’État devait fournir, d’ici février 2022, des données sur sa mise en place, après quoi les pétitionnaires seraient en mesure de déposer une pétition modifiée, qui a en fait été soumise l’année dernière.

Les données fournies par HaMoked montrent que les raids nocturnes restent la pratique standard de l’armée, utilisée en premier ressort pour conduire les mineurs palestiniens à l’interrogatoire. Le rapport ajoute que c’est « contraire au droit international, au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et aux promesses de l’armée de commencer par convoquer les mineurs pour interrogatoire avant leur première arrestation ».

Les détails complets de la procédure que l’armée a présentés en 2021 au tribunal sont confidentiels, mais l’annonce de l’État en amont de l’audience du tribunal présentait le « cœur de la procédure », selon laquelle elle ne s’appliquera pas aux « mineurs convoqués pour interrogatoire par d’autres que la Police israélienne [c’est-à-dire par le Shin Bet] », ou à ceux qui sont soupçonnés avoir commis « de graves délits » (terme qui n’a pas de définition claire et qui recouvre un large éventail de délits possibles), ou à ceux « qui ont un casier judiciaire pour délits graves ».

D’après les données reçues l’année dernière du bureau du Procureur de l’État dans le cadre du processus juridique, il apparaît que, de septembre à décembre 2021, 34 mineurs palestiniens ont été arrêtés en Cisjordanie, parmi lesquels seuls six ont été convoqués pour interrogatoire en accord avec la procédure. Les 28 autres mineurs ont été soumis à des arrestations nocturnes préméditées, dont l’État déclare qu’elles ont eu lieu en accord avec les clauses établies dans la procédure. L’État dit que ces chiffres n’incluent pas les mineurs qui ont été arrêtés « en flagrant délit » en Cisjordanie – c’est-à-dire alors qu’ils étaient soupçonnés de commettre un délit. Maintenant, les nouvelles données montrent qu’il n’y a eu aucun changement sur le terrain.

D’après les données d’HaMoked, il apparaît que, entre mai et octobre 2022, la très grande majorité des arrestations de nuit ont eu lieu pour emmener des enfants qui n’étaient pas du tout soupçonnés de « graves délits ».

Pendant ces six mois, 58 familles ont contacté HaMoked avec une requête pour savoir où se trouvait leur enfant qui avait été arrêté la nuit à la maison. En novembre, l’organisation à enquêté à nouveau sur la localisation de tous les 58 enfants dont la très grande majorité, 36 mineurs, avaient déjà été libérés chez eux, ce qui a fait dire à HaMoked qu’on pouvait en conclure qu’ils n’étaient pas soupçonnés de graves délits – ce qui d’habitude aurait autrement conduit les enfants à être détenus jusqu’à la fin de la procédure, ce qui est la norme dans les tribunaux militaires.

‘Aucun effort pour réduire cette expérience traumatisante’

« Si mon fils était recherché pour interrogatoire, je m’attendrais bien sûr à recevoir une convocation », a dit Jessica Montell, directrice exécutive d’HaMoked. « Mais pour une mère palestinienne, la première fois qu’elle entend que son fils est recherché pour interrogatoire, c’est quand un grand groupe de soldats masqués frappe à sa porte au milieu de la nuit. »

Puis elle a dit : « Une invasion nocturne chez soi dans le but d’arrêter un enfant est une expérience traumatisante avec des conséquences à long terme à la fois pour l’enfant arrêté et pour les parents et la fratrie. L’armée ne fait aucun effort pour réduire cette expérience traumatisante. Au lieu que ce soit un événement exceptionnel, les arrestations nocturnes sont en réalité le défaut pour emmener les enfants palestiniens à l’interrogatoire. »

En réponse à l’enquête de +972, le Porte-parole des FDI a déclaré : « Le Commandement Central a établi une procédure selon laquelle les mineurs qui sont recherchés par la Police israélienne pour interrogatoire parce que soupçonnés d’avoir commis des délits légers et qui n’ont pas de casier judiciaire pour délits graves seront convoqués pour interrogatoire par la Police israélienne, à condition que cela soit possible, compte tenu des besoins de l’enquête et en faisant attention aux aspects sécuritaires et aux besoins opérationnels. Une mise à jour à ce sujet a été fournie dans le cadre de la pétition à la Haute Cour sur la question actuellement en cours. Malgré tout, lorsqu’il s’agit de graves délits et qu’une convocation pour interrogatoire pourrait mettre à mal son objectif, les mineurs sont emmenés dans des arrestations nocturnes et ne sont pas convoqués pour interrogatoire par la Police israélienne. »

Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu sur Local Call. Lisez la ici.