‘Chaque jour est pire que le précédent’ : une communauté palestinienne lutte pour sa survie

Une des plus importantes décisions d’expulsion depuis que l’occupation des territoires palestiniens par Israël a commencé en 1967 a laissé toute une communauté en danger.

La nouvelle année scolaire a commencé et la saison des récoltes approche, mais certains des hommes et des garçons de Masafer Yatta s’occupent d’un autre projet – s’installer dans une grotte.

A Khribet al-Fakhiet, village reculé au fin fond de la Cisjordanie occupée, les résidents utilisent un treuil improvisé monté sur une camionnette pour aider à nettoyer une grotte où étaient hébergés moutons et chèvres. Des seaux introduits par l’entrée et un trou dans le plafond sont ressortis pleins de paille et de crottes ; l’intérieur, chaud et poussiéreux a été éclairé avec des lampes alimentées par un générateur. Menacés de démolition de leur maison, d’enclos pour le bétail et autres structures, une famille se prépare à se reloger dans la grotte avant l’arrivée de l’hiver.

« Nous n’avons pas le choix », a dit Mohammed Ayoub, chef d’une très grande famille de 17 personnes. « Depuis la démolition de notre maison, nous avons dormi dans la clinique du village, mais nous devons trouver une alternative. »

Le Guardian a rencontré la famille en mai, juste après la décision de la cour suprême d’Israël qui a complètement bouleversé la vie de milliers de Palestinien-ne-s qui vivent dans la série de hameaux de Masafer Yatta. La maison d’Ayoub a été démolie par des bulldozers dans une opération supervisée par les Forces de Défense Israéliennes quelques semaines après la décision judiciaire, les laissant vivre tout l’été sous une tente.

Dans les années 1980, Israël a déclaré cette zone de 3.000 hectares (7.410 acres) de terre aride des collines du sud d’Hébron en tant que zone d’entraînement militaire – Zone de Tir 918. Après des décennies de combat juridique cependant, il y a quatre mois, la cour suprême a finalement suivi l’argument des FDI disant que les gens qui vivent à Masafer Yatta ne pouvaient pas prouver qu’ils y résidaient avant la création de la zone de tir.

Cette ordonnance, qui contrevient au droit international, a été l’une des plus importantes décisions d’expulsion depuis que l’occupation des territoires palestiniens a commencé en 1967. Maintenant, les logements et les moyens d’existence de toute la communauté sont en danger, et l’armée, avec les colons israéliens illégaux, intensifient la pression pour essayer d’amener les Palestiniens à partir.

La vie à Masafer Yatta était déjà difficile : la région est située dans la Zone C, les 60 % peu peuplés de Cisjordanie sous contrôle total d’Israël et sous menace d’annexion. Là, citernes d’eau, panneaux solaires, routes et bâtiments sont fréquemment détruits sous prétexte qu’ils n’ont pas de permis de construire, qu’il est presque impossible d’obtenir, alors que les colonies israéliennes illégales du voisinage prospèrent. Cette communauté est principalement constituée de bergers qui élèvent des chèvres et des moutons pendant des étés brûlants et des hivers glaciaux.

Depuis que le flou juridique a pris fin en mai, la situation a rapidement changé en pire. Les démolitions se sont accélérées, la totalité des 80 personnes qui vivent à Khallet Athaba s’attendant à perdre leurs maisons quand les bulldozers arriveront jeudi. L’armée effectue également d’avantage d’entraînement au tir à balles réelles, endommageant parfois les bâtiments des Palestiniens ou laissant derrière elle des douilles et des débris dont les résidents craignent qu’ils puissent être des munitions non explosées.

Les bergers disent qu’on leur demande régulièrement de quitter leurs pâturages, qui sont alors repris par les colons. Les livraisons d’eau et d’aliments pour animaux, ainsi que les visiteurs d’associations de bienfaisance et les militants qui avaient l’habitude de les aider à détourner la violence des colons sont stoppés au périmètre de la zone de tir et obligés de faire demi tour par manque de permis de circuler.

De nouveaux checkpoints ont complètement isolé des villages comme Jimba, rendant difficile la possibilité pour les résidents de partir : les Palestiniens sont retenus et interrogés par les soldats parfois pendant des heures d’affilée, et environ 60 voitures non immatriculées ont été confisquées.

Pour éviter les FDI, maintenant les résidents appellent d’abord d’autres villages pour essayer de deviner les mouvements des véhicules blindés de transport de troupe avant de s’engager sur des routes de terre détournées.

Beaucoup de familles en sont revenues à utiliser des ânes, plutôt que des voitures, pour se déplacer. Le Guardian a voyagé dans l’un des rares véhicules appartenant à des Palestiniens autorisé à traverser la zone – et même ainsi, personne n’a osé utiliser les routes avec les checkpoints de l’armée.

En réponse à une demande de commentaires, les FDI ont dit : « La Zone de Tir 918 est une zone militaire fermée. Toute entrée dans la zone sans autorisation des FDI est une infraction pénale et met en danger des vies humaines. Par conséquent, les soldats des FDI sont stationnés aux entrées de la zone de tir afin d’empêcher les entrées non autorisées dans la zone. Par ailleurs, les FDI fonctionnent de façon à permettre la vie quotidienne habituelle à tous les civils de la zone. »

Ce que l’on ressent, comme le dit la famille Abu Aram, c’est l’impression d’être poursuivi en permanence. Devant chez eux à Mirkez, hameau sur un plateau venteux, Mina et Mohammed Abu Aram ont raconté la dernière fois qu’ils ont essayé d’emmener Ammar, leur fils de trois ans, à un rendez-vous à l’hôpital dans la ville d’Hébron.

« Ammar est né avec un problème cardiaque. Il a besoin de médicaments tous les jours et doit aller souvent à l’hôpital. La semaine dernière, des soldats nous ont arrêtés, et ils ont pris la voiture, et ils ont emmené [Mohammed] à la base, et ils m’ont laissée avec Ammar sur le bord de la route », a dit Mina.

« Nous leur avons dit qu’Ammar avait un rendez-vous médical, mais ils s’en fichaient. Il a fallu deux heures à mon mari pour revenir à pied jusqu’à nous. »

La communauté de Masafer Yatta n’a pas affaire qu’à l’armée, mais à un nombre croissant de colons israéliens autour d’eux – dont certains sont notoirement violents.

« Les soldats poussent depuis l’ouest, et les colons depuis l’est, nous écrasant de tous côtés », a dit Nidal Younes, chef du conseil du village de Masafer Yatta.

Dans le cadre de cette campagne d’usure, certaines personnes ont été obligées de partir pour la ville voisine de Yatta. Le résultat est peut-être principalement remarquable dans la seule école d’enseignement secondaire de la région : les élèves arrivent maintenant en moyenne une heure en retard tous les matins après avoir navigué entre les nouveaux checkpoints, a dit le chef d’établissement, et des membres du personnel arrivant de la ville de Yatta ont été renvoyés chez eux, détenus, ou ont vu leurs voitures confisquées.

Les FDI ont dit que à une « occasion singulière, spécifique où des élèves ont été mis en retard, les directives ont été clarifiées à ce sujet pour prévenir tout retard pour les élèves à l’avenir », mais les résidents disent que ça se produit presque tous les jours. Les parents d’environ 20 enfants ont déjà décidé de les inscrire dans une école de Yatta où ils logeront chez des parents pendant la semaine.

« Chaque jour est pire que le précédent », a dit Bisan, une élève de 17 ans. « c’est une situation dangereuse et j’ai pensé à quitter l’école, mais je ne le ferai pas. C’est ça qu’ils veulent. »

Tandis que les avocats des droits de l’homme déposent des injonctions provisoires pour essayer de faire cesser les exercices de tir à balles réelles et les ordres d’évacuation, les voies juridiques en Israël pour sauver Masafer Yatta semblent pour ainsi dire épuisées.

L’UE a pris une forte position contre la décision de la cour suprême : l’envoyé de l’union auprès des Palestiniens, Sven Kühn von Burgsdorff, a accusé les juges de mépriser le droit international et de prendre une « décision politique, pas juridique du tout ». Il a aussi appelé la communauté internationale à faire pression sur Israël pour qu’il assume enfin ses responsabilités envers la population palestinienne en tant que puissance occupante.

« Les choses allaient mal avant la décision de justice », a dit Mohammed Ayoub, le paysan déplacé. « J’ai été un berger toute ma vie. Je ne suis jamais allé en Israël, mais peut-être que je devrai vendre mes chèvres et faire une demande de permis de travail là-bas. »

Sur le site où se trouvait le jardin d’Ayoub, un vieux bidon de pétrole protège un jeune olivier contre la menace des bulldozers.

« C’est notre terre, c’est chez moi. Quoiqu’il arrive, nous ne partirons pas », a-t-il dit.