J’ai vu de l’illégalité et de la complicité avec des crimes de guerre. C’est pourquoi je quitte le ministère des Affaires Étrangères du Royaume Uni

Des ministres et hauts fonctionnaires ont défendu des contrats d’armement ouvrant la voie à la mort et à l’horreur à Gaza et au Yémen. J’incite mes anciens collègues à y résister.

Je m’appelle Mark Smith. Je suis un ancien diplomate et conseiller en politique du Bureau des Affaires Étrangères et du Commonwealth  (FCDO). J’ai passé ma carrière à travailler à la Direction du Moyen Orient et dans des postes dans le monde arabe. En tant qu’agent principal sur la politique des ventes d’armes, j’étais responsable de vérifier si les ventes d’armes du gouvernement du Royaume Uni étaient conformes aux normes légales et éthiques dans le cadre du droit domestique et du droit international.

En août 2024, j’ai démissionné  à cause du refus du gouvernement du Royaume Uni de cesser les ventes d’armes à Israël en plein bombardements de Gaza. Cette décision et intervenue à la suite de plus d’une année de lobbying et de dénonciation. Ma démission a fait les gros titres et quelques semaines plus tard, le nouveau gouvernement travailliste annonçait que finalement il allait suspendre les ventes d’armes à Israël . Même si cette annonce était bienvenue, elle arrivait bien trop tard. Israël a continué à commettre des atrocités à Gaza et le Royaume Uni le soutient, réticent à agir.

Le temps que j’ai passé au FCDO m’a permis de mettre en évidence comment des ministres peuvent manipuler des cadres juridiques pour protéger des pays « amis » de l’obligation de rendre des comptes. Ils paralysent, détournent et obscurcissent des processus officiels pour créer une façade de légitimité tout en permettant que les crimes les plus flagrants contre l’humanité se produisent. Maintenant que les États-Unis – un de nos plus proches alliés – proposent le nettoyage ethnique total de Gaza , quelle va être notre réponse ?

Ce dont j’ai été témoin n’était pas qu’une défaillance morale mais une conduite dont je pense qu’elle a franchi la limite de la complicité avec les crimes de guerre. Le public britannique mérite de savoir comment ces décisions sont prises derrière des portes fermées – et comment un dysfonctionnement systémique permet au gouvernement de perpétuer des souffrances tout en se protégeant de contrôles.

En tant que conseiller principal sur la politique de ventes d’armes, mon rôle était de rassembler de l’information sur la conduite de gouvernements étrangers engagés dans des campagnes militaires, en particulier concernant les victimes civiles et la conformité au droit international humanitaire. Cette information constituait la base de rapports qui apportaient des conseils aux ministres sur le fait de savoir si la poursuite de ventes d’armes était légale.

Le cadre légal du Royaume Uni est clair : les ventes d’armes doivent cesser s’il y a un « risque clair » que des armes puissent être utilisées pour commettre de sérieuses violations du droit international. Les fonctionnaires sont tenus à un code de stricte impartialité, qui exige de nous une production neutre, des conseils fondés sur des preuves. Toute tentative d’altérer ou de manipuler ces conseils pour convenance politique n’est pas seulement dénuée d’éthique, elle est illégale.

Pour autant, pendant que j’étais en poste, j’ai observé des hauts fonctionnaires soumis à une pression intense pour dévier de l’estimation légale. Des rapports m’ont été retournés à plusieurs reprises avec des instructions visant à « rééquilibrer » les constats – à minimiser les preuves de souffrances civiles et à insister sur les efforts diplomatiques, en dépit des faits. J’ai souvent été convoqué pour recevoir des instructions verbales – une tactique délibérément employée pour éviter une trace écrite qui pourrait être sujette à des réclamations en matière de liberté d’information ou de contrôle de légalité.

Dans un cas, un haut fonctionnaire m’a dit sans ménagement : « c’est vraiment mauvais », avant de m’exhorter à « faire en sorte que cela paraisse moins dur ». Mes protestations ont été ignorés. Des modifications significatives ont été apportées à mes rapports, changeant le focus de la preuve crédible de crimes de guerre à une image trompeuse de « progrès » de gouvernements étrangers. Cela n’a pas été un cas isolé – cela faisait partie d’un effort systémique pour supprimer des vérités gênantes.

L’exemple le plus préoccupant de cette manipulation s’est produit alors que je travaillais sur les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite  pendant sa campagne militaire au Yémen . Le gouvernement du Royaume Uni était parfaitement informé que les frappes aériennes saoudiennes causaient des morts massives de civils. Dans une réunion de haut niveau avec des hauts fonctionnaires, incluant des conseillers juridiques, j’ai été mis au courant que le Royaume Uni avait dépassé le seuil d’arrêt de ventes d’armes. Mais, au lieu d’aviser les ministres de suspendre les exportations, le focus a été déplacé vers les moyens à trouver pour « revenir du bon côté » du droit.

Plutôt que de se confronter à l’illégalité, les fonctionnaires ont eu recours à des manœuvres dilatoires – étendant les dates limite et exigeant des compléments d’information qui n’étaient pas nécessaires. Cette approche d’ « attente de plus de preuves » a créé un vide, permettant aux ventes d’armes de se poursuive tandis que le gouvernement feignait l’obéissance. J’ai fait part de mes inquiétudes à plusieurs reprises, qui n’ont abouti qu’à ce que je sois rejeté. Un de mes collègues, également troublé par ce dont nous étions témoins a démissionné sur cette question. Je l’ai suivi de près.

Le Royaume Uni a finalement été forcé de suspendre les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite après avoir été frappé par un contrôle judiciaire  suscité par des organisations de la société civile. Mais, au lieu d’apprendre de cet échec, le gouvernement a répondu en changeant la loi afin de rendre plus difficile de contester les ventes d’armes devant les tribunaux. Un an plus tard, les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite ont repris .

Si le cas saoudien était alarmant, ce que j’ai observé concernant les ventes d’armes britanniques à Israël , l’était encore plus. Les bombardements répétés d’Israël sur Gaza ont tué des milliers de civils et détruit des infrastructures vitales, actes clairement incompatibles avec le droit international. Pourtant, le gouvernement du Royaume Uni a continué à justifier les ventes d’armes à Israël, reposant sur les mêmes processus biaisés et manœuvres dilatoires.

Pendant la campagne militaire actuelle d’Israël à Gaza – une campagne marquée par des destructions sans précédent et par le ciblage délibéré de zones civiles – je me suis senti de plus en plus inquiet. À ce moment, j’étais en poste comme diplomate à Dublin, où le soutien loyal de l’Irlande à la Palestine me plaçait dans une position inconfortable. J’étais supposé défendre la politique britannique, mais je ne pouvais pas le faire, en toute conscience, sans réponses.

Lorsque j’ai posé des questions au FCDO sur la base légale de nos ventes d’armes à Israël, j’ai été confronté à de l’hostilité et à des réponses évasives. Pas de réponse à mes mails. J’ai été averti de ne pas mentionner mes inquiétudes par écrit. Des avocats et des hauts fonctionnaires m’ont assiégé en me donnant comme instructions « de m’en tenir à la ligne » et de détruire ma correspondance. Il est devenu clair que personne ne voulait faire face à la question fondamentale : comment la poursuite de ventes d’armes à Israël pouvait être légale ?

Le traitement de ces questions par le Foreign Office n’est rien moins qu’un scandale. Des agents sont intimidés en silence. Des processus sont manipulés pour produire des résultats acceptables politiquement. Des lanceurs d’alerte reçoivent des réponses évasives, sont isolés et ignorés. Et pendant ce temps-là, le gouvernement du Royaume Uni continue d’armer des régimes qui commettent des atrocités, en se cachant derrière des vides de légalité et des exercices de relations publiques.

J’ai suivi toutes les procédures internes disponibles pour soulever mes préoccupations. J’ai constitué une équipe de lanceurs d’alerte, j’ai écrit à des hauts fonctionnaires et j’ai même contacté directement David Lammy, le ministre des Affaires étrangères. À chaque fois, on m’imposait des délais, de l’obscurcissement et un refus pur et simple de s’engager. Il est devenu clair que le système n’est pas conçu pour se rendre redevable – il est conçu pour se protéger lui-même à tout prix.

La complicité du Royaume Uni avec des crimes de guerre ne peut continuer. Nous devons exiger la transparence et la reconnaissance de responsabilité dans notre politique d’exportation d’armes. Les ministres doivent être tenus aux mêmes normes juridiques et éthiques que ce qu’ils prétendent soutenir. Le pouvoir doit être donné aux fonctionnaires de fournir un conseil impartial sans crainte d’interférence politique et les lanceurs d’alerte doivent être protégés et non punis, pour dire la vérité.  

La situation à Gaza ne pourrait être plus grave. L’allié le plus proche du Royaume Uni propose maintenant l’expulsion de masse de 2,1 millions de personnes de Gaza et la démolition de l’un de sites les plus densément peuplés de civils au monde – c’est du nettoyage ethnique. J’en appelle à mes anciens collègues – ceux qui croient encore aux valeurs d’intégrité et de justice – pour qu’ils refusent d’être complices. N’avalisez pas des rapports qui blanchissent les crimes contre l’humanité. Il ne s’agit pas d’autodéfense – c’est de la punition collective. C’est du génocide. Le temps du silence est révolu. Ne permettez pas à des ministres d’échanger des vies humaines pour des opportunités politiques. Le temps de la prise de responsabilité est venu.