Un spécialiste de l’Holocauste rencontre des réservistes israéliens

Omer Bartov revient sur l’expérience de sa rencontre avec des étudiants de droite qui venaient de rentrer de leur service militaire à Gaza.

Omer Bartov est un historien important, spécialiste du Troisième Reich. Au cours de ses quarante ans de carrière, il a écrit de nombreux livres et articles sur le régime hitlérien, en s’intéressant particulièrement à la manière dont l’idéologie nazie a fonctionné dans des institutions comme l’armée allemande. Bartov est né en Israël et a servi dans l’armée pendant la guerre de 1973 entre Israël et plusieurs de ses voisins, dont l’Égypte et la Syrie. Il enseigne actuellement à l’université Brown [à Providence, Rhode Island, USA].

Après les attaques du Hamas le 7 octobre, Israël a commencé sa campagne militaire dans la Bande de Gaza, pendant laquelle plus de trente-huit mille Palestiniens ont déjà été tués. Bartov est rapidement devenu un critique virulent de la guerre : il a accusé Israël de commettre des crimes contre l’humanité et il a soulevé la question de savoir si sa conduite constituait un génocide. J’ai récemment appelé Bartov, parce que j’avais entendu qu’il était allé à l’université Ben-Gourion, à Beersheba, et qu’il y avait rencontré plusieurs étudiants de droite rentrés de leur service militaire à Gaza. Je voulais apprendre ce qui s’était passé exactement et ce qu’il retirait de l’expérience. Notre conservation, qui a été éditée pour des questions de longueur et de clarté, se trouve ci-dessous. Nous y parlons aussi de la manière dont, selon lui, la société israélienne refuse de faire face à ce qui se passe à Gaza et de ce qu’il a appris en parlant à d’anciens soldats de l’armée allemande après la Deuxième Guerre mondiale.

Pouvez-vous nous dire ce que vous faisiez à l’université Ben-Gourion ?

Un ami et collègue, un géographe nommé Oren Yiftachel, qui enseigne à Ben-Gourion, a entendu que je venais en Israël pour voir mes nouveaux petits-enfants et il a dit : « Pourquoi ne pas venir à Ben-Gourion donner un exposé ? » Il était intéressé d’en entendre davantage sur ce qui se passait sur les campus américains et sur toutes ces allégations d’antisémitisme, les campements et tout le reste. Je suis donc venu, mais environ un jour ou deux avant, il a été informé qu’il y aurait une manifestation par des étudiants locaux. Je crois que la plupart faisaient partie d’un mouvement appelé « Si tu veux », qui est une organisation étudiante extrêmement à droite et associée au ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et à son parti.

Je suppose que c’est parce que, depuis le 7 octobre, vous avez critiqué la campagne israélienne contre Gaza.

Exact. Et, bien sûr, ces étudiants n’avaient en fait rien lu de tout cela, mais il y avait une sorte d’analyse qu’ils avaient reçue et selon laquelle j’avais signé une pétition dans laquelle la possibilité qu’il y ait génocide était mentionnée. Et qu’il y avait un appel là pour que le président Biden reviennet sur sa décision d’envoyer des armes à Israël.

Nous avons informé la sécurité de l’université et ensuite nous y sommes allées et il y avait quelques professeurs plus âgés assis dans le hall. En dehors du hall, il y avait plusieurs types musclés de la sécurité et il y avait aussi un groupe d’étudiants, et ils étaient très excités.

Je suppose que vous ne voulez pas dire qu’ils étaient excités à l’idée de vous écouter.

C’est exact. Oren a commencé à présenter l’exposé et eux ont commencé à taper sur les portes, à taper sur les murs, en criant que cela ne devrait pas se produire à l’université Ben-Gourion, que cela ne devrait pas être permis, qu’ils étaient accusés de génocide et qu’ils n’étaient pas des assassins.

Et les types de la sécurité ne faisaient rien. Plus tard, ils nous ont dit qu’ils ne pouvaient arrêter personne. Si c’est ce que nous voulions, nous devions appeler la police. Clairement, personne ne voulait appeler la police, mais les manifestants étaient extrêmement perturbants. Cela a duré un certain temps. Et alors Oren a suggéré, et j’étais certainement d’accord, que nous demandions aux étudiants s’ils voulaient entrer à condition qu’ils acceptent de discuter vraiment avec nous. Et la plupart d’entre eux — je ne peux pas dire « tous », mais la plupart — ont dit : « OK » et ils sont entrés.

Il y en avait un qui était extrêmement destructif, il se tenait près de la porte et ne voulait laisser personne fermer la porte. Mais finalement ce gars s’est laissé convaincre de partir. Cela a pris un certain temps. Bon, l’ensemble a pris environ trois heures. Donc nous parlons d’un long processus et avec beaucoup de tension dans l’air.

À la fin, ils se sont assis. Mais c’était impossible de pouvoir faire un exposé. Ils étaient trop excités, trop en colère. Ils semblaient vouloir vraiment poser des questions et aussi juste dire ce qu’ils pensaient, donc nous nous sommes assis et nous avons commencé à discuter avec eux et c’était, pour moi, rétrospectivement, assez intéressant.

Qu’est-ce que vous pouvez nous dire de la conversation?

Un bon nombre des étudiants, dont au moins deux femmes, avaient servi dans l’armée à Gaza. Ils en revenaient tout juste. Et mon sentiment est qu’ils avaient l’impression d’être accusés de toutes sortes de crimes, alors que les accusations n’étaient pas vraies et qu’ils avaient fait ce qu’ils devaient. Et un point intéressant est qu’ils m’ont montré des photos. L’un d’eux a partagé une photo sur son téléphone qui montrait une bande d’enfants palestiniens et il a dit : « Oh, vous dites qu’il y a la famine à Gaza. Il n’y a pas de famine à Gaza. Il n’y a pas de famine à Gaza du tout. Et regardez, voici une bande d’enfants palestiniens. Et nous leur avons donné toute la nourriture que notre unité avait ». Cela, naturellement, signifiait probablement que les enfants étaient affamés. Mais il voulait nous montrer qu’ils s’étaient occupés des enfants.

Un autre a raconté que, quand il était là-bas, il a été approché par une fille, clairement une Palestinienne, dont la jambe avait été sévèrement blessée. Il n’a pas dit comment, il n’a pas donné le contexte, mais on peut l’imaginer. Il a dit : »Et nous lui avons immédiatement donné toute l’aide médicale que nous pouvions. Tout ce dont nous avions besoin pour notre unité a été utilisé pour s’occuper d’elle ». Donc ils essayaient de dire : « Nous nous préoccupons vraiment des enfants et nous ne sommes pas des animaux ». Mais il y avait ces contradictions.

J’ai commencé à parler de l’utilisation par les Forces de défense israéliennes de ces bombes géantes et du fait que si vous lâchez une bombe comme celle-là pour tuer quelques personnes dans un tunnel près d’une école où il y a beaucoup de personnes hébergées, parce qu’on leur a dit qu’elles devaient s’abriter là, vous allez tuer beaucoup d’entre elles. Et l’un d’eux a dit : « Oh, non, non, non, ce n’est pas du tout vrai. Ce n’est pas vrai. Nous sommes allés à ces écoles. Ces écoles étaient pleines de gens du Hamas ». Et la chose intéressante était qu’il y avait un autre type assis là et il a dit : « Bon, nous étions aussi là. Et nous n’avons pas vu tant de gens du Hamas. »

Ils se sont mis en colère contre moi et m’ont dit : « Bon, qu’est-ce que vous en savez? Vous restez assis dans une pièce climatisée aux États-Unis ». À un moment, je leur ai dit : « En fait, j’ai aussi été soldat. J’ai été commandant d’une compagnie. J’ai été blessé. C’était une autre guerre et d’autres temps, mais ce n’est pas comme si je ne savais rien sur ces questions ». Cela les a légèrement calmés.

Mais ensuite je leur ai dit que, pour ma thèse, j’ai enquêté sur les crimes de l’armée allemande et que, dans les années suivantes, je suis allé régulièrement en Allemagne et j’ai fait des exposés là-dessus. Et d’ordinaire les deux ou trois premiers rangs étaient remplis de vétérans de la Wehrmacht. Pendant que je parlais, ces vétérans s’énervaient aussi beaucoup. Et l’un d’eux se levait et disait : « Rien de semblable ne s’est produit dans mon unité ». Et un autre type se levait et disait : « Peut-être pas dans la vôtre. Mais dans la mienne, oui ». Et donc il y avait des parallèles avec ce que je voyais ici.

Une jeune femme à Ben-Gourion a sauté sur la scène et a commencé à crier. Elle était très en colère, et elle a dit qu’ils combattaient pour les personnes qui avaient été assassinées le 7 octobre, que certains de ses camarades avaient été tués et des amis à eux avaient été tués. Et, pendant qu’elle parlait et criait, elle a commencé à pleurer. Moi, au moins, j’ai eu l’impression nette que beaucoup d’entre eux souffraient peut-être de stress post-traumatique.

Vous avez mentionné les contradictions, et une chose que j’ai vraiment remarqué juste en suivant les médias d’informations d’Israël est ce que je caractériserais comme une vaste contradiction : des Israéliens disent : « Nous ne sommes pas le Hamas. Nous sommes une démocratie. Nous respectons les lois. Nous ne sommes pas des terroristes », et ainsi de suite. Et, en même temps : « Nous combattons un ennemi horrible. Nous devons faire ce qu’il faut. Nous n’allons même pas prétendre que nous nous soucions beaucoup de choses comme de permettre l’accès de l’aide pour les civils affamés. «  Et divers politiciens ont fait des commentaires vraiment grotesques à propos des Palestiniens.

Alors, tout d’abord, oui, je pense que c’est vrai. Je pense que vous pourriez raffiner cela en soulignant que, d’un côté, les gens appellent les Forces de défense israéliennes l’armée la plus morale du monde. Vous allez vraiment entendre des gens dire cela. Et d’une autre côté, ils diront : « Bon, le Hamas, ce sont des animaux, regardez ce qu’ils nous ont fait, et nous devons les détruire. Ils utilisent ces Palestiniens comme boucliers humains. Et de toute façon, ces Palestiniens les ont soutenus. Pourquoi les ont-ils laissé nous faire cela ? Et ils applaudissaient. Au moment du 7 octobre, ils étaient tellement contents, et donc ils doivent simplement être effacés. Et nous ne voulons pas en savoir trop sur la manière dont c’est fait. »

Mais il y a deux autres choses que je voudrais dire. La majeure partie de ce discours n’est pas celui des soldats. Ce sont les gens dans les médias, mais ils ne sont pas effectivement là-bas. À Ben-Gourion, j’ai parlé à des jeunes gens et des jeunes femmes qui avaient passé des mois à Gaza, donc ils voient exactement ce qui se passe et ils doivent le filtrer d’une façon ou d’une autre. Et ils regardent les choses à travers un prisme particulier. Ils veulent penser qu’ils font ce qui est bien. Ils veulent penser que ce n’est pas seulement une vengeance, et qu’ils combattent dans une guerre juste, mais ils voient aussi les choses et ils ne peuvent admettre à eux-mêmes ce qu’ils voient. Ils voient la vaste destruction, la souffrance là-bas, le manque de nourriture, le nombre d’innocents qui ont été tués. Ils voient cela et ils doivent le rationaliser d’une façon ou d’une autre. Certains d’entre eux le rationalisent en disant : « Mais nous nous occupons vraiment d’eux. Nous nous soucions d’eux. Ce n’est pas que nous sommes là-bas pour faire cela. Nous sommes là-bas uniquement pour tuer les gens du Hamas. »

Une autre chose que je veux dire est qu’il est très difficile d’être en Israël en ce moment même. C’est une expérience très étrange. Quel genre de personnes est-ce que je connais en Israël ? Ce sont principalement, pour ainsi dire, des gens de gauche, progressistes, quelle que soit la manière de définir cela. Je ne connais pas beaucoup de gens de droite ici. Mais même les gens de gauche — ils sont tendus simplement à l’idée de vous rencontrer. Vous pouvez sentir qu’il y a de la tension dans l’air.

Et ce n’est pas seulement moi. Ils savent que j’ai écrit diverses choses, mais c’est plutôt qu’ils pensent que, parce que je n’en ai pas fait l’expérience moi-même, je pourrais dire des choses qu’ils ne pourraient pas complètement digérer.

Le 7 octobre, vous voulez dire ?

Oui. Nous nous sentons si traumatisés et si perdus qu’ils n’arrivent pas à en parler de quelque façon que ce soit. Ils ne veulent effectivement pas parler d’une manière raisonnable, analytique de ce qui s’est passé le 7 octobre. Ils ne veulent même pas en parler du tout. En un sens, ils sentent que votre présence, en tant que vous êtes quelqu’un qui vient de l’extérieur, est destructrice de leur compréhension d’eux-mêmes — qu’ils ont été terriblement blessés et que d’une certaine manière la seule chose dont ils peuvent parler est de ce qu’ils ressentent et de ce qui est arrivé à leur société, de ce qui est arrivé aux personnes qu’ils connaissent. Des gens ont été tués, des gens ont été déplacés et ils n’ont absolument pas la capacité de parler des gens de Gaza. C’est absolument frappant.

Je ne veux pas en dire trop là-dessus, mais je connais une femme, une vieille amie, qui avait, dans un contexte différent, écrit et travaillé sur les questions d’abus sexuel et d’exploitation et de viol. Et je l’ai rencontrée et elle a parlé pendant à peu près deux heures avec une réelle fureur de qu’elle croyait être le déni complet du viol de femmes juives le 7 octobre. Elle n’avait aucune place en elle pour penser réellement à quoi que ce soit d’autre que cela. Bien sûr, la violence contre les femmes est quelque chose sur laquelle elle a travaillé et ell a des sentiments très forts là-dessus, mais c’était aussi une sorte de filtre. Si vous dites que des dizaines d’enfants ont aussi été tués depuis, ce n’est pas capté.

Les médias israéliens ont été largement très favorables à la guerre, et il n’y a pas eu de couverture suffisante de la situation à Gaza. J’ai entendu des tas de gens dire que les Israéliens ne voient pas la même guerre que celle que voit n’importe qui d’autre. Est-ce que vous sentiez que les personnes à qui vous parliez avaient leurs opinions formatées par les médias israéliens ou est-ce plutôt que les médias israéliens sont seulement une réflexion de ce que les gens ressentent ?

Écoutez, c’est difficile à dire, mais je pense que c’est les deux. Je pense que les médias répondent à un sentiment particulier du public, oui. Mais je pense aussi que les médias ne font tout simplement pas leur travail. Ils ne reportent pas ce qui se passe à Gaza. Et donc les gens doivent regarder disons, Al Jazeera. Et la plupart des gens ne le font pas. Vous ne pouvez plus le voir maintenant à la télévision en Israël. [Le cabinet de Benjamin Netanyahu a voté pour interdire la diffusion d’Al Jazeera en Israël après qu’une loi votée par la Knesset en avril a donné au gouvernement le pouvoir de fermer les chaînes d’informations considérés comme des menaces pour la sécurité nationale]. Vous avez une bande de correspondants militaires sur tous les principaux organes d’information et ils vont tout le temps à Gaza. Ils sont attachés à diverses unités militaires et ils parlent avec les généraux. Et ils vous donnent exactement la version de l’armée sur ce qui se passe. Ils posent rarement des questions critiques.

Maintenant, il y a, bien sûr, beaucoup de personnes en Israël qui protestent. Je suis allé à une manifestation un samedi soir récemment. Il y a ceux qui manifestent pour changer le gouvernement. Il y a ceux qui veulent stopper la guerre. Il y a ceux qui veulent échanger les otages. Et donc il y a des manifestations. Je ne pense qu’elles vont faire une différence, mais il y a des manifestations de différents groupes — mais elles ne portent pas vraiment sur ce qui se passe à Gaza. Elles portent sur le sentiment que ce gouvernement ne nous mène nulle part (ce qui, bien sûr, est vrai) et que les choses peuvent s’aggraver très rapidement au Liban. il y a beaucoup de crainte en Israël là-dessus. Mais on ne parle pas de la situation à Gaza, spécifiquement.

Pour revenir aux étudiants qui vous ont dit qu’ils étaient à Gaza pour les bonnes raisons et qu’ils agissaient de manière éthique : est-ce que vous pensez qu’ils étaient sincères ?

Premièrement, laissez-moi dire encore une fois que les gens que j’ai rencontrés ne sont pas représentatifs, bien sûr, parce qu’ils sont membres d’une organisation de droite.

L’un d’eux m’a dit : « Je vais être appelé encore et je ne veux vraiment pas y aller ». Mais ils ressentent, avant tout, qu’ils font ce qu’ils doivent, et c’est très important pour eux de souligner cela. Mon sentiment est que, derrière tout cela, il y avait un sentiment rampant de culpabilité. Ces gens s’étaient rassemblés à l’extérieur et avaient crié que j’étais un traître, mais, en même temps, ils voulaient vraiment entrer et ils voulaient parler. Je pense qu’ils ont vu beaucoup de choses [à Gaza] qu’eux-mêmes n’ont pas digéré. Donc je ne pense pas qu’ils mentent, mais je pense que, malheureusement, il y a une distorsion de réalité.

Ils savent ce qu’ils voient, mais alors ils ont à l’interpréter d’une façon qui ne les mette pas dans une lumière trop mauvaise. Et donc ils peuvent dire toutes sortes de choses. Ils peuvent dire : « Nous nous occupions d’eux ». Ils peuvent aussi dire : « Mais ce sont des animaux ». Et ils peuvent dire : « Ils soutiennent tous le Hamas ». Les gens qui sont dans cet état d’esprit diront plein de choses contradictoires. Je pense qu’ils les croient, mais il y a quelque chose sous-jacent à tout cela, qui est qu’ils sont dans le déni. Ils nient à eux-mêmes, en fait, et pas seulement à moi, une partie de ce qu’ils ont vu et ressenti.

D’accord, et, juste pour revenir aux contradictions, vous avez dit que ces étudiants étaient d’un mouvement politique qui est aligné sur Ben-Gvir. Les gens de ce mouvement parlent assez ouvertement du fait de combattre essentiellement dans une guerre religieuse et de repeupler Gaza avec des colons, n’est-ce pas ?

Oui. Je ne sais pas ce qu’étaient les pratiques religieuses des étudiants ici, mais ils ne portaient aucun signe religieux. Je ne pense pas qu’il y en avait un seul qui avait même une kippa. Et ils n’ont pas utilisé ce langage. Cela ne veut pas dire qu’ils n’y ont pas été exposés. Cela ne veut pas dire qu’ils ne vont pas à ces rassemblements. Je soupçonne qu’ils le font. Et cela ne veut pas dire qu’ils ne croient pas toutes ces choses. Mais, et c’est intrigant, ils ne parlaient pas de cette manière avec moi.

J’ai dit beaucoup de choses très critiques sur ce qu’Israël fait à Gaza, et maintenant j’ai rencontré quelques-unes des personnes qui y sont impliquées. Et je pense que cela vaut la peine d’essayer de réfléchir à ce que cette sorte de guerre fait à une génération de jeunes gens et de jeunes femmes. Ce n’est pas du tout pour justifier ce qu’ils font. Au contraire, c’est pour dire que c’est une expérience psychologique bouleversante. Quand vous êtes à un rassemblement et quand vous êtes dans une bataille, en train de tirer sur un civil — c’est différent.

En 1939, les Nationaux-socialistes ont pris le contrôle de l’Union des étudiants allemands. C’était trois ans avant qu’Hitler ne vienne au pouvoir et les étudiants allemands ont appuyé le national-socialisme. Ils l’ont fait, en grande partie, à cause de la mémoire de la Première Guerre mondiale : comment ils ont perdu la guerre et comment ils ont été trahis et poignardés dans le dos et comment tous les juifs et les socialistes n’ont pas permis à l’armée de gagner. Et maintenant, ils élisaient, promouvaient, combattaient pour quelqu’un qui promettait de rendre sa grandeur à l’Allemagne. Et il l’a fait. L’Allemagne est devenue puissante, et l’Allemagne a conquis toute l’Europe, et l’Allemagne a tué des millions de gens. Et alors elle a déclenché une guerre et elle a été totalement détruite. Et seulement alors ces jeunes gens ont commencé à voir le monde avec un regard différent.

La majorité des juifs en Israël maintenant sont de droite et ils soutiennent les gens comme Ben-Gvir et [le ministre des Finances, Bezalel] Smotrich et diverses autres tendances de droite. Et ils commencent déjà à payer le prix pour ce en quoi ils croient.

Comment la conversation s’est-elle terminée ?

Elle a continué pendant trois heures. Et même alors que nous sortions, ils continuaient à discuter avec moi. Ils étaient en colère. Ce n’était pas amical, mais ils voulaient parler. J’ai vraiment senti qu’un problème que nous avons — nous pouvons aussi penser à diverses guerres américaines, bien sûr —est que vous devez parler avec des soldats. Nous ne le faisons pas. Nous parlons à leur propos. En Israël maintenant, chacun est un héros. Quiconque enfile un uniforme ou est tué ou blessé — c’est un héros. Cette façon de parler n’était pas utilisée au même degré quand j’étais soldat. Mais en même temps, personne ne leur parle vraiment ou ne les écoute. Vous les envoyez seulement pour faire des choses et vous ne voulez pas qu’ils vous disent exactement ce qu’ils ont fait, et alors vous ne leur fournissez pas assez d’aide psychologique. Cela aura vraiment de sévères répercussions à l’avenir.