« Je m’ennuie, alors je tire » : l’armée israélienne approuve la violence gratuite à Gaza

Les soldats israéliens décrivent l’absence quasi-totale de règles de tir dans la guerre de Gaza, les troupes tirant à leur guise, incendiant les maisons et laissant des cadavres dans les rues, le tout avec l’autorisation de leurs commandants.

Début juin, Al Jazeera a diffusé une série de vidéos troublantes révélant ce qu’elle a décrit comme des « exécutions sommaires » : des soldats israéliens ont abattu plusieurs Palestiniens qui marchaient près de la route côtière dans la bande de Gaza, à trois reprises. Dans chaque cas, les Palestiniens ne semblaient pas armés et ne représentaient aucune menace imminente pour les soldats.

De telles images sont rares, en raison des contraintes sévères auxquelles sont confrontés les journalistes dans l’enclave assiégée et du danger constant qui pèse sur leur vie. Mais ces exécutions, qui ne semblent pas avoir de justification sécuritaire, sont cohérentes avec les témoignages de six soldats israéliens qui ont parlé à +972 Magazine et à Local Call après avoir été libérés de leur service actif à Gaza au cours des derniers mois. Corroborant les témoignages de témoins oculaires et de médecins palestiniens tout au long de la guerre, les soldats ont déclaré avoir été autorisés à ouvrir le feu sur les Palestiniens pratiquement à volonté, y compris sur les civils.

Les six sources – qui toutes, sauf une, se sont exprimées sous couvert d’anonymat – ont raconté comment les soldats israéliens exécutaient régulièrement des civils palestiniens simplement parce qu’ils pénétraient dans une zone que l’armée définissait comme une « zone interdite ». Les témoignages dépeignent un paysage jonché de cadavres de civils, laissés à l’abandon ou dévorés par des animaux errants ; l’armée ne les cache qu’avant l’arrivée des convois d’aide internationale, afin que « les images de personnes en état de décomposition avancée ne sortent pas ». Deux des soldats ont également témoigné d’une politique systématique consistant à incendier les maisons palestiniennes après les avoir occupées.

Plusieurs sources ont décrit comment la possibilité de tirer sans restriction donnait aux soldats un moyen de se défouler ou d’alléger la monotonie de leur routine quotidienne. « Les gens veulent vivre l’événement [pleinement] », se souvient S., un réserviste qui a servi dans le nord de Gaza. « J’ai personnellement tiré quelques balles sans raison, dans la mer, sur un trottoir ou un bâtiment abandonné. Ils disent qu’il s’agit de « tirs normaux », ce qui est un nom de code pour dire « je m’ennuie, alors je tire » ».

Depuis les années 1980, l’armée israélienne refuse de divulguer ses règles en matière d’ouverture du feu, malgré plusieurs pétitions adressées à la Haute Cour de justice. Selon le sociologue politique Yagil Levy, depuis la seconde Intifada, « l’armée n’a pas donné aux soldats de règles d’engagement écrites », laissant une large place à l’interprétation des soldats sur le terrain et de leurs commandants. En plus de contribuer à l’assassinat de plus de 38 000 Palestiniens, des sources ont témoigné que ces directives laxistes étaient également en partie responsables du nombre élevé de soldats tués par des tirs amis au cours des derniers mois.

« La liberté d’action était totale », a déclaré B., un autre soldat qui a servi dans les forces régulières à Gaza pendant des mois, y compris dans le centre de commandement de son bataillon. « S’il y a [ne serait-ce qu’] un sentiment de menace, il n’y a pas besoin d’expliquer, il suffit de tirer ». Lorsque les soldats voient quelqu’un s’approcher, « il est permis de tirer sur le « centre de gravité » [le corps], pas en l’air », poursuit B. « Il est permis de tirer sur tout le monde, une jeune fille, une vieille femme. »

B. poursuit en décrivant un événement survenu en novembre, au cours duquel des soldats ont tué plusieurs civils lors de l’évacuation d’une école proche du quartier de Zeitoun, dans la ville de Gaza, qui servait d’abri aux Palestiniens déplacés. L’armée avait ordonné aux personnes évacuées de sortir par la gauche, vers la mer, plutôt que par la droite, où se trouvaient les soldats. Lorsqu’une fusillade a éclaté à l’intérieur de l’école, ceux qui ont pris la mauvaise direction dans le chaos qui s’en est suivi ont immédiatement essuyé des tirs.

« Il y avait des informations selon lesquelles le Hamas voulait créer la panique », a déclaré B. « Une bataille s’est engagée à l’intérieur ; les gens se sont enfuis. Certains ont fui vers la gauche, en direction de la mer, [mais] d’autres ont couru vers la droite, y compris des enfants. Tous ceux qui sont allés à droite ont été tués – 15 à 20 personnes. Il y avait une pile de corps. »

Les gens tiraient comme ils le voulaient, de toutes leurs forces.

B. a déclaré qu’il était difficile de distinguer les civils des combattants à Gaza, affirmant que les membres du Hamas « se promènent souvent sans leurs armes ». Mais en conséquence, « tout homme âgé de 16 à 50 ans est soupçonné d’être un terroriste ».

« Il est interdit de marcher aux alentours et toute personne qui se trouve à l’extérieur est suspecte », poursuit B. « Si nous voyons quelqu’un à une fenêtre qui nous regarde, c’est un suspect. On tire. La perception [de l’armée] est que tout contact [avec la population] met en danger les forces, et il faut créer une situation dans laquelle il est interdit d’approcher [les soldats] en toutes circonstances. [Les Palestiniens] ont appris que lorsque nous entrons, ils s’enfuient. »

Même dans les zones apparemment non peuplées ou abandonnées de Gaza, les soldats se sont livrés à des tirs intensifs dans le cadre d’une procédure connue sous le nom de « preuve de présence ». S. a témoigné que ses camarades soldats « tiraient beaucoup, même sans raison – quiconque veut tirer, quelle que soit la raison, tire ». Dans certains cas, a‑t‑il noté, ces tirs étaient « destinés à … faire sortir les gens [de leurs cachettes] ou à montrer leur présence ».

M., un autre réserviste qui a servi dans la bande de Gaza, explique que ces ordres viennent directement des commandants de la compagnie ou du bataillon sur le terrain. « Lorsqu’il n’y a pas d’autres forces des FDI [dans la zone], les tirs sont très libres, on tire des fous. Et pas seulement des armes légères : des mitrailleuses, des chars et des mortiers ».

Même en l’absence d’ordres venant d’en haut, M. a témoigné que les soldats sur le terrain prennent régulièrement la loi entre leurs mains. « Que ce soit de la part des soldats réguliers, des officiers subalternes, des commandants de bataillon – les soldats subalternes qui veulent tirer obtiennent la permission. »

S. se souvient d’avoir entendu à la radio qu’un soldat stationné dans une enceinte protectrice avait tiré sur une famille palestinienne qui se promenait à proximité. « Au début, ils disent « quatre personnes », puis « deux enfants et deux adultes », et à la fin, « un homme, une femme et deux enfants ». Vous pouvez reconstituer l’image vous-même. »

Un seul des soldats interrogés dans le cadre de cette enquête a accepté d’être identifié par son nom : Yuval Y. Green, un réserviste de 26 ans originaire de Jérusalem qui a servi dans la 55e brigade de parachutistes en novembre et décembre de l’année dernière (Y. Green a récemment signé une lettre de 41 réservistes déclarant leur refus de continuer à servir à Gaza, à la suite de l’invasion de Rafah par l’armée). « Il n’y avait aucune restriction sur les munitions », a déclaré Y. Y. Green à +972 et à Local Call. « Les gens tiraient juste pour se désennuyer. »

Y. Green a décrit un incident qui s’est produit une nuit pendant la fête juive de Hanoukka en décembre, lorsque « tout le bataillon a ouvert le feu ensemble comme un feu d’artifice, y compris avec des munitions traçantes [qui génèrent une lumière vive]. Cela donnait une couleur folle, illuminant le ciel, et comme [Hanoukka] est la « fête des lumières », c’est devenu symbolique ».

C., un autre soldat qui a servi à Gaza, a expliqué que lorsque les soldats entendaient des coups de feu, ils demandaient par radio s’il y avait une autre unité militaire israélienne dans la zone, et si ce n’était pas le cas, ils ouvraient le feu. « Les gens tiraient comme ils voulaient, de toutes leurs forces. » Mais comme le note C., le fait de pouvoir tirer sans restriction signifie que les soldats sont souvent exposés au risque énorme de tirs amis, qu’il qualifie de « plus dangereux que le Hamas ». « À plusieurs reprises, les forces des FDI ont tiré dans notre direction. Nous n’avons pas réagi, nous avons vérifié à la radio et personne n’a été blessé. »

À l’heure où nous écrivons ces lignes, 324 soldats israéliens ont été tués à Gaza depuis le début de l’invasion terrestre, dont au moins 28 par des tirs amis selon l’armée. D’après l’expérience de Y. Y. Green, ces événements étaient le « principal problème » qui mettait en danger la vie des soldats. « Il y avait pas mal [de tirs amis] ; cela me rendait fou », a-t-il déclaré.

Pour Y. Green, les règles d’engagement témoignaient également d’une profonde indifférence à l’égard du sort des otages. « Ils m’ont parlé d’une pratique consistant à faire exploser des tunnels, et je me suis dit que s’il y avait des otages [dans ces tunnels], cela les tuerait. » Après que les soldats israéliens à Shuja’iyya ont tué trois otages agitant des drapeaux blancs en décembre, pensant qu’il s’agissait de Palestiniens, Y. Green a déclaré qu’il était en colère, mais on lui a dit « qu’il n’y avait rien qu’on puisse faire ». Les commandants ont affiné les procédures en disant : « Vous devez être attentifs et conscients, mais nous sommes dans une zone de combat et nous devons être vigilants ».

B. confirme que même après l’accident de Shuja’iyya, qui aurait été « contraire aux ordres » de l’armée, les règles en matière d’ouverture du feu n’ont pas changé. « En ce qui concerne les otages, nous n’avions pas de directive spécifique », a-t-il rappelé. « Les [hauts gradés de l’armée] ont déclaré qu’après que les otages aient été abattus, ils avaient informé [les soldats sur le terrain]. [Mais] ils ne nous ont pas parlé ». Lui et les soldats qui l’accompagnaient ont appris que les otages avaient été abattus seulement deux semaines et demie après l’accident, une fois qu’ils ont quitté Gaza.

« J’ai entendu des déclarations [d’autres soldats] disant que les otages étaient morts, qu’ils n’avaient aucune chance, qu’ils devaient être abandonnés », a indiqué Y. Y. Green. Ce qui m’a le plus dérangé, c’est qu’ils n’arrêtaient pas de dire : « Nous sommes ici pour les otages », alors qu’il est évident que la guerre nuit aux otages. C’est ce que je pensais à l’époque ; aujourd’hui, cela s’est vérifié.

Un bâtiment s’effondre et la sensation qu’on a, c’est « waouw, quel pied ! »

A., un officier qui a servi à la direction des opérations de l’armée, a témoigné que la salle des opérations de sa brigade – qui coordonne les combats depuis l’extérieur de Gaza, approuvant les cibles et prévenant les tirs amis – n’a pas reçu d’ordres clairs relativement à l’ouverture du feu à transmettre aux soldats sur le terrain. « À partir du moment où vous entrez, il n’y a à aucun moment de briefing sur ce point », a-t-il déclaré. « Nous n’avons pas reçu d’instructions de la hiérarchie à transmettre aux soldats et aux commandants de bataillon. »

Il a noté qu’il y avait des instructions pour ne pas tirer le long des routes humanitaires, mais qu’ailleurs, « on remplit les vides, en l’absence de toute autre directive. C’est l’approche : « si c’est interdit là, alors c’est autorisé ici » ».

A. a expliqué que les tirs sur « les hôpitaux, les cliniques, les écoles, les institutions religieuses, [et] les bâtiments des organisations internationales » nécessitaient une autorisation plus élevée. Mais dans la pratique, « je peux compter sur les doigts d’une main les cas où l’on nous a dit de ne pas tirer. Même pour des lieux sensibles comme les écoles, [l’autorisation] semble n’être qu’une formalité ».

En général, poursuit A., « l’esprit qui régnait dans la salle des opérations était le suivant : « Tirez d’abord, posez des questions ensuite ». Personne ne versera une larme si nous détruisons une maison alors que ce n’était pas nécessaire, ou si nous abattons quelqu’un que nous n’avions pas besoin d’abattre ».

A. a déclaré qu’il avait connaissance de cas où des soldats israéliens avaient tiré sur des civils palestiniens qui avaient pénétré dans leur zone d’opération, ce qui correspond à une enquête du Haaretz sur les « zones de tir à vue » dans les secteurs de Gaza occupés par l’armée. « C’est la règle par défaut. Aucun civil n’est censé se trouver dans la zone, c’est l’opinion de tous. Nous avons repéré quelqu’un à une fenêtre, alors ils ont tiré et l’ont tué ». A. ajoute que les rapports ne permettent pas toujours de savoir si les soldats ont tiré sur des militants ou sur des civils non armés – et « souvent, il semble que quelqu’un ait été pris dans une situation et que nous ayons ouvert le feu ».

Mais cette ambiguïté sur l’identité des victimes signifiait que, pour A., les rapports militaires sur le nombre de membres du Hamas tués n’étaient pas fiables. « Le sentiment dans le centre de crise, et c’est une version adoucie, était que chaque personne que nous tuions, nous la considérions comme un terroriste », a-t-il témoigné.

« L’objectif était de compter le nombre de terroristes que nous avions tués aujourd’hui », poursuit A. « Chaque soldat veut montrer qu’il est le plus fort. On pensait que tous les hommes étaient des terroristes. Parfois, un commandant demandait soudainement des chiffres, et l’officier de la division courait alors d’une brigade à l’autre pour parcourir la liste du système informatique de l’armée et faire le décompte. »

Le témoignage d’A. est cohérent avec un rapport récent du média israélien Mako, concernant une attaque de drone par une brigade qui a tué des Palestiniens dans la zone d’opération d’une autre brigade. Des officiers des deux brigades se sont consultés pour savoir laquelle devait enregistrer les assassinats. « Quelle différence est-ce que cela fait ? Enregistrez-les tous les deux », a déclaré l’un d’eux à l’autre, selon la publication.

Au cours des premières semaines qui ont suivi l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas, se souvient A., « les gens se sentaient très coupables que cela se soit produit sous notre surveillance », un sentiment partagé par le public israélien dans son ensemble – et qui s’est rapidement transformé en un désir de vengeance. « Il n’y a pas eu d’ordre direct de se venger », a déclaré A., « mais lorsque vous êtes sur le moment même de la prise de décision, les instructions, les ordres et les protocoles [concernant les affaires « sensibles »] n’ont qu’une influence limitée. »

Lorsque des drones diffusaient des images d’attaques à Gaza, « il y avait des cris de joie dans le centre de crise », a déclaré A. De temps en temps, un bâtiment s’effondre… et on se dit : « Waouw, c’est de la folie, quel pied ! ».

A. a relevé l’ironie du fait qu’une partie de ce qui motivait les appels à la vengeance des Israéliens était la conviction que les Palestiniens de Gaza se réjouissaient de la mort et de la destruction du 7 octobre. Pour justifier l’abandon de la distinction entre civils et combattants, les gens avaient recours à des déclarations telles que « Ils ont distribué des bonbons », « Ils ont dansé après le 7 octobre » ou « Ils ont élu le Hamas »… « Pas tout le monde, mais pas mal de gens, pensaient que l’enfant d’aujourd’hui [était] le terroriste de demain. »

« Moi aussi, soldat plutôt de gauche, j’oublie très vite qu’il s’agit de vraies maisons [à Gaza] », raconte A. à propos de son expérience dans le centre de crise. « J’avais l’impression d’être dans un jeu vidéo. Ce n’est qu’au bout de deux semaines que j’ai réalisé qu’il s’agissait de bâtiments [réels] qui tombaient : s’il y aviait des habitants [à l’intérieur], alors [les bâtiments s’effondraient] sur leur tête, et même si ce n’est pas le cas, alors avec tout ce qu’il y a à l’intérieur. »

Une horrible odeur de mort

Plusieurs soldats ont témoigné que la politique de tir permissive a permis aux unités israéliennes de tuer des civils palestiniens même lorsqu’ils étaient identifiés comme tels au préalable. D., un réserviste, a déclaré que sa brigade était stationnée à côté de deux couloirs de circulation dits « humanitaires », l’un pour les organisations d’aide et l’autre pour les civils fuyant du nord au sud de la bande de Gaza. Dans la zone d’opération de sa brigade, ils ont institué une politique de « ligne rouge, ligne verte », délimitant des zones où il était interdit aux civils de pénétrer.

Selon D., les organisations humanitaires étaient autorisées à se rendre dans ces zones moyennant une coordination préalable (notre entretien a été réalisé avant qu’une série de frappes de précision israéliennes ne tue sept employés de la World Central Kitchen), mais pour les Palestiniens, la situation était différente. « Quiconque traversait la zone verte devenait une cible potentielle », explique D., affirmant que ces zones étaient signalées aux civils. « S’ils franchissent la ligne rouge, vous le signalez à la radio et vous n’avez pas besoin d’attendre la permission, vous pouvez tirer. »

Pourtant, D. a déclaré que les civils entraient souvent dans les zones où passaient les convois d’aide afin de chercher les restes qui pouvaient tomber des camions ; néanmoins, la politique était de tirer sur tous ceux qui essayaient d’entrer. « Les civils sont clairement des réfugiés, ils sont désespérés, ils n’ont rien », a-t-il déclaré. Pourtant, au cours des premiers mois de la guerre, « chaque jour, il y avait deux ou trois accidents avec des innocents ou des personnes soupçonnées d’être envoyées par le Hamas comme guetteurs », sur lesquels les soldats de son bataillon tiraient.

Les soldats ont témoigné que dans toute la bande de Gaza, des cadavres de Palestiniens en civil restaient éparpillés le long des routes et sur les terrains vagues. « Toute la zone était pleine de corps », a déclaré S., un réserviste. « Il y a aussi des chiens, des vaches et des chevaux qui ont survécu aux bombardements et qui n’ont nulle part où aller. Nous ne pouvons pas les nourrir et nous ne voulons pas non plus qu’ils s’approchent trop près. C’est pourquoi on voit parfois des chiens se promener avec des morceaux de corps en décomposition. Il y a une horrible odeur de mort. »

Mais avant l’arrivée des convois humanitaires, les corps sont enlevés. « Un D-9 [bulldozer Caterpillar] descend, avec un char, et débarrasse la zone des cadavres, les enterre sous les décombres et les renverse sur le côté pour que les convois ne les voient pas – [pour que] les images de personnes à un stade avancé de décomposition ne soient pas diffusées », a-t-il décrit.

« J’ai vu beaucoup de civils [palestiniens] – des familles, des femmes, des enfants », poursuit S. « Il y a plus de morts que ce qui est rapporté. Nous étions dans une petite zone. Chaque jour, au moins un ou deux [civils] étaient tués [parce qu’ils] marchaient dans une zone interdite. Je ne sais pas qui est terroriste et qui ne l’est pas, mais la plupart d’entre eux ne portaient pas d’armes. »

Y. Y. Green a déclaré que lorsqu’il est arrivé à Khan Younis à la fin du mois de décembre, « nous avons vu une masse indistincte à l’extérieur d’une maison. Nous avons réalisé qu’il s’agissait d’un corps ; nous avons vu une jambe. La nuit, des chats l’ont mangé. Puis quelqu’un est venu et l’a déplacé ».

Une source non militaire qui a parlé à +972 et à Local Call après avoir visité le nord de la bande de Gaza a également rapporté avoir vu des corps éparpillés dans la zone. « Près de l’enceinte militaire entre le nord et le sud de la bande de Gaza, nous avons vu une dizaine de corps abattus d’une balle dans la tête, apparemment par un tireur embusqué, [apparemment alors qu’ils] tentaient de retourner vers le nord », a-t-il déclaré. « Les corps étaient en décomposition ; il y avait des chiens et des chats autour d’eux. »

« Ils ne s’occupent pas des corps », dit B. à propos des soldats israéliens à Gaza. « S’ils gênent, ils sont déplacés sur le côté. Les morts ne sont pas enterrés. Les soldats marchent sur les corps par erreur. »

Le mois dernier, Guy Zaken, un soldat qui conduisait des bulldozers D-9 à Gaza, a déclaré devant une commission de la Knesset que lui et son équipe avaient « écrasé des centaines de terroristes, morts ou vivants ». Un autre soldat avec lequel il a servi s’est ensuite suicidé.

Avant de partir, vous brûlez la maison

Deux des soldats interrogés dans le cadre de cet article ont également décrit comment l’incendie de maisons palestiniennes est devenu une pratique courante chez les soldats israéliens, comme l’a rapporté Haaretz en janvier. Y. Y. Green a été personnellement témoin de deux cas de ce genre – le premier à l’initiative d’un soldat et le second sur ordre du commandement – et sa frustration à l’égard de cette politique est l’une des raisons qui l’ont poussé à refuser de poursuivre son service militaire.

Lorsque les soldats occupaient les maisons, a-t-il témoigné, la politique était la suivante : « si vous bougez, vous devez brûler la maison ». Pour Y. Green, cela n’avait aucun sens : « dans aucun scénario », le milieu du camp de réfugiés ne pouvait faire partie d’une zone de sécurité israélienne justifiant une telle destruction. « Nous sommes dans ces maisons non pas parce qu’elles appartiennent à des agents du Hamas, mais parce qu’elles nous servent sur le plan opérationnel », a-t-il fait remarquer. « Il s’agit d’une maison de deux ou trois familles – la détruire signifie qu’elles seront sans abri. »

« J’ai demandé au commandant de la compagnie, qui m’a répondu qu’aucun équipement militaire ne pouvait être laissé sur place et que nous ne voulions pas que l’ennemi voie nos méthodes de combat », poursuit Y. Y. Green. « J’ai dit que je ferais une recherche [pour m’assurer] qu’il n’y avait pas de preuves de méthodes de combat laissées sur place. [Le commandant de la compagnie] m’a donné des explications du registre de la vengeance. Il a dit qu’ils les brûlaient parce qu’il n’y avait pas de D-9 ou d’IED d’un corps d’ingénieurs [qui aurait pu détruire la maison par d’autres moyens]. Il avait reçu un ordre et cela ne le dérangeait pas. »

« Avant de partir, il faut brûler la maison, toutes les maisons », répète B. « Ce principe est soutenu par le commandant du bataillon. C’est pour que les [Palestiniens] ne puissent pas revenir, et si nous avons laissé des munitions ou de la nourriture, les terroristes ne pourront pas les utiliser. »

Avant de partir, les soldats empilaient matelas, meubles et couvertures, et « avec un peu de carburant ou des bouteilles de gaz », note B., « la maison brûle facilement, c’est comme une fournaise ». Au début de l’invasion terrestre, sa compagnie occupait les maisons pendant quelques jours, puis repartait ; selon B., ils « ont brûlé des centaines de maisons. Il est arrivé que des soldats mettent le feu à un étage et que d’autres soldats se trouvent à un étage supérieur et doivent fuir à travers les flammes dans les escaliers ou s’étouffent dans la fumée. »

Y. Y. Green a déclaré que les destructions laissées par l’armée à Gaza sont « inimaginables ». Au début des combats, a-t-il raconté, ils avançaient entre des maisons situées à 50 mètres les unes des autres, et de nombreux soldats « traitaient les maisons [comme] un magasin de souvenirs », pillant tout ce que les habitants n’avaient pas réussi à emporter avec eux.

« À la fin, on meurt d’ennui, après des jours d’attente », a déclaré Y. Y. Green. « On dessine sur les murs, des obscénités. On joue avec les vêtements, on trouve les photos d’identité qu’ils ont laissées, on accroche la photo de quelqu’un parce que c’est drôle. Nous avons utilisé tout ce que nous avons trouvé : matelas, nourriture, l’un d’entre eux a trouvé un billet de 100 NIS (environ 27 dollars) et l’a pris. »

« Nous avons détruit tout ce que nous voulions », a déclaré Y. Y. Green. « Il ne s’agit pas d’un désir de détruire, mais d’une indifférence totale à l’égard de tout ce qui appartient aux Palestiniens. Chaque jour, un D-9 démolit des maisons. Je n’ai pas pris de photos avant et après, mais je n’oublierai jamais comment un quartier qui était vraiment beau […] est réduit à du sable ».

Le porte-parole des FDI a répondu à notre demande de commentaire par la déclaration suivante : « Des instructions concernant l’ouverture du feu ont été données à tous les soldats des FDI combattant dans la bande de Gaza et sur les frontières lors de leur entrée en combat. Ces instructions reflètent le droit international que les FDI sont tenues de respecter. Les instructions pour l’ouverture du feu sont régulièrement revues et mises à jour à la lumière de l’évolution de la situation opérationnelle et du renseignement, et approuvées par les plus hauts responsables des FDI.

« Les instructions de tir ouvert apportent une réponse pertinente à toutes les situations opérationnelles, et la possibilité, dans tous les cas de risque pour nos forces, d’une liberté d’action opérationnelle totale pour éliminer les menaces. Ceci, tout en donnant des outils aux forces pour faire face à des situations complexes en présence d’une population civile, et tout en mettant l’accent sur la réduction des dommages aux personnes qui ne sont pas identifiées comme des ennemis ou qui ne représentent pas une menace pour leur vie. Les directives génériques concernant les instructions d’ouverture du feu telles que celles décrites dans la requête sont inconnues et, dans la mesure où elles ont été données, elles sont en conflit avec les ordres de l’armée.

« Les FDI enquêtent sur ses activités et tire les leçons des événements opérationnels, y compris l’événement tragique de la mort accidentelle de feu Yotam Haim, Alon Shamriz et Samer Talalka. Les leçons tirées de l’enquête sur cet événement ont été transmises aux forces de combat sur le terrain afin d’éviter que ce type d’accident ne se reproduise à l’avenir.

« Dans le cadre de la destruction des capacités militaires du Hamas, il est nécessaire, entre autres, de détruire ou d’attaquer les bâtiments où l’organisation terroriste place des infrastructures de combat. Il s’agit également de bâtiments que le Hamas convertit régulièrement en lieux de combat. Par ailleurs, le Hamas utilise systématiquement à des fins militaires des bâtiments publics censés être utilisés à des fins civiles. Les ordres de l’armée réglementent le processus d’approbation, de sorte que les dommages causés aux sites sensibles doivent être approuvés par des commandants supérieurs qui prennent en compte l’impact des dommages causés à la structure sur la population civile, et ce face à la nécessité militaire d’attaquer ou de démolir la structure. La prise de décision de ces hauts commandants se fait de manière ordonnée et équilibrée.

« L’incendie de bâtiments qui ne sont pas nécessaires à des fins opérationnelles est contraire aux ordres de l’armée et aux valeurs des FDI.

« Dans le cadre des combats et sous réserve des ordres de l’armée, il est possible d’utiliser les biens de l’ennemi à des fins militaires essentielles, ainsi que de prendre les biens des organisations terroristes sous réserve des ordres comme butin de guerre. En même temps, la prise de biens à des fins privées constitue un pillage et est interdite par la loi sur la juridiction militaire. Les cas où les forces ont agi de manière non conforme aux ordres et à la loi feront l’objet d’une enquête ».

+972 en partenariat avec Local Call

Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.

  • Photo : Soldats israéliens du 8717e bataillon de la brigade Givati opérant à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, lors d’une opération militaire, le 28 décembre 2023. (Yonatan Sindel/Flash90)