Je suis professeur à UCLA. Pourquoi l’administration n’a-t-elle pas arrêté la violence flagrante de la nuit dernière ?

L’université aurait dû anticiper le chaos de la nuit de mardi — mais le personnel de sécurité était introuvable.

L’UCLA [L’université de Californie à Los Angeles], une prestigieuse université publique des États-Unis, a vécu mardi une des nuits les plus sombres des 105 ans de son histoire. Pendant mes 33 ans de carrière à UCLA, je n’ai jamais rien vu d’aussi terrifiant.

Vers 11h du soir, un groupe de contre-manifestants masqués s’est frayé un chemin vers Royce Quad au coeur du campus et a commencé à attaquer le campement installé la semaine dernière par les manifestants qui s’opposent à la guerre à Gaza. Ils ont jeté un pétard dans le campement, ils ont démoli ses murs extérieurs, ils ont jeté de lourds objets sur les manifestants et ils ont provoqué des confrontations physiques directes. Les personnes présentes dans le campement ont dû se débrouiller seules face à une bande de voyous violents et déterminés à infliger des dégâts.

L’incident a montré la totale défaillance des systèmes de l’université, de la ville de Los Angeles et de l’État de Californie.

Pendant trois heures, les contre-manifestants ont attaqué le campement en toute impunité. UCLA a sa propre force de police entraînée et les administrateurs d’UCLA avec lesquels j’ai parlé m’ont dit que le département de la police de Los Angeles avait été appelé sur le campus. Mais, d’une façon ou d’une autre, aucune police que ce soit n’a été présente avant les premières heures du matin suivant.

La nuit dernière a été d’autant plus inexplicable que l’université avait eu pendant tout le week-end un lancinant avertissement sur ce qui risquait de se produire.

Dimanche, plusieurs groupes juifs et israéliens, dont la Fédération juive de Los Angeles et le Conseil israélien américain, ont organisé un rassemblement sur le campus pour réclamer la protection des étudiants juifs. Le rassemblement incluait des discours par des personnalités juives locales, ainsi que des spectacles musicaux.

Mais juste à côté du rassemblement, qui avait lieu près du campement des manifestants étudiants, il y a eu plusieurs endroits en bordure de la cour principale du campus vers lesquels ont convergé des centaines de manifestants et de contre-manifestants, se rapprochant les uns des autres jusqu’à se retrouver nez-à-nez. La tension était palpable et frappante l’absence de tout agent de police ou de sécurité.

Sentant que la confrontation pouvait conduire à une explosion, plusieurs collègues et moi-même nous sommes insérés entre les deux groupes pour servir de tampon. Nous entendions un flot constant d’invectives, d’épithètes insultantes et d’accusations ; nous avons été témoins de poussées et de bousculades ; et nous avons essayé d’intervenir quand des coups de poing ont été lancés. C’est devenu terrifiant par moments, comme si une mêlée de masse ou même une échauffourée pouvait éclater.

Dans ces heures sur les lignes de front, j’estime que 90% de l’instigation verbale et physique des violences venait des contre-manifestants agités, dont un bon nombre parlaient hébreu et semblaient venir de l’extérieur du campus. Le groupe anti-guerre avait des membres en veste jaune qui maintenaient la discipline et qui ont essayé d’enrayer l’escalade quand la menace de violence a augmenté.

Mais eux mêmes ont été gratifiés de mots insultants de l’autre côté, comme l’ont été les membres d’un petit contingent d’une section locale de Standing Together [Debout ensemble] qui sont arrivés en portant des signes appelant à la paix et à l’égalité entre Palestiniens et juifs.

Je ne sais pas s’il y avait une intersection entre les contre-manifestants de dimanche et ceux qui ont provoqué la violence de la nuit dernière, portant des drapeaux israéliens et américains, ainsi qu’un drapeau Chabad célébrant « Mashiach », le Messie. Mais le comportement des deux groupes présentait des similarités frappantes, rendant d’autant plus troublant le fait que l’UCLA n’était pas mieux préparée.

C’est d’autant plus vrai que, le dimanche, j’ai observé un contingent d’agents de la police de l’université se tenant passivement à quelques centaines de mètres d’un des principaux points chauds. Quand je suis allé leur demander pourquoi ils n’aidaient pas à maintenir la paix, un responsable m’a dit qu’ils planifiaient leur stratégie.

Et, pendant plus de deux heures, aucun responsable de la police de Los Angeles n’est venu nous aider à désamorcer la situation — bien qu’on nous ait dit qu’ils étaient en chemin.

Qu’aucun policier, qu’aucun expert qualifié en désescalade ne soit intervenu le dimanche était, au mieux, une grosse erreur ; une cohorte de personnel entraîné aurait pu faire une grande différence. Que, pendant des heures, aucun ne soit apparu pendant la nuit de mardi, particulièrement après avoir observé la tension de dimanche, était inadmissible.

Avant la mêlée de mardi, j’avais le sentiment que notre université avait géré relativement bien les récentes manifestations anti-guerre. Il n’y a pas eu de lourde répression policière, comme cela s’est produit à Columbia et à l’université de Californie du Sud. Face à une pression immense, le chancelier d’UCLA Gene Block avait réussi à maintenir la paix.

Dans les derniers jours, les administrateurs ont été confrontés à des appels grandissants de quelques personnes sur le campus afin d’empêcher les manifestants anti-guerre de bloquer le libre accès aux entrées autour du campement. Il y a eu aussi une pression grandissante sur l’université de la part de forces extérieures, dont la Fédération juive, pour qu’elle agisse plus énergiquement contre les manifestants.

Un modèle qui aurait pu être suivi est celui de l’université Brown, où des responsables se sont impliqués dans une négociation productive avec les manifestants, ce qui a conduit hier à un démantèlement pacifique du campement. 

Au lieu de cela, l’UCLA se retrouve maintenant dans une place bien plus vulnérable. L’attaque de la nuit dernière a été une pure anarchie, où des voyous violents ont eu le champ libre, apparemment avec le soutien tacite des forces de maintien de l’ordre. Elle a mis de nombreux manifestants du campement en danger, directement et sérieusement.

De plus, les actions de la nuit dernière ne font absolument rien pour garantir la sécurité et le bien-être des étudiants et du personnel, administratif ou enseignant, juifs — dont un bon nombre ont participé aux manifestations ou les ont soutenues. Ces actions risquent de donner l’impression fausse que ces agitateurs extérieurs sont représentatifs des intérêts juifs sur le campus, ce qui peut attiser encore les tensions entre les groupes étudiants.

Nos dirigeants du campus ne doivent pas seulement condamner la violence flagrante de la nuit dernière mais aussi enquêter pour déterminer comment les manifestants anti-guerre ont été laissés sans défense pendant des heures. En même temps, ils doivent dire clairement qu’exprimer une opposition à la guerre à Gaza est légitime, mais que l’antisémitisme et l’islamophobie n’ont pas leur place sur le campus et que la rhétorique irresponsable sur le danger posé par des manifestants largement pacifiques a contribué à l’horreur de la nuit dernière.

En attendant, les dirigeants de la communauté juive ne doivent pas seulement condamner les attaques non provoquées de la nuit dernière ; ils doivent aussi dénoncer les acteurs malveillants de l’intérieur qui prétendent défendre les étudiants juifs, mais s’impliquent dans les actes haineux mêmes dont ils accusent l’autre côté.

Alors seulement pourront-ils revendiquer le rôle de leader qu’ils ont si complètement abandonné la nuit dernière.

David N. Myers est Professeur distingué en histoire à UCLA. Il est co-auteur (avec Nomi Stolzenberg) de American Shtetl: The Making of Kiryas Joel, a Hasidic Village in Upstate New York  (2022) et membre du Haredi Research Group [Groupe de recherche sur les ultra-orthodoxes].