Vivre sous une tente avec des triplés prématurés : comment la peur et l’angoisse hantent les jeunes accouchées de Gaza

A Gaza, quelques femmes ont passé la durée de la guerre en étant enceintes, mais les bombardements constants, la mort et le chaos ont jeté une ombre sur ce qui devrait être une période de joie.

Après une nuit à trembler de peur sous le toit ébranlé par les explosions et une longue marche sur une route bondée, Diana Mahmoud est arrivée à l’hôpital où elle a donné naissance à son fils, Yaman.

Mahmoud, 22 ans, a découvert qu’elle était enceinte une semaine après que la guerre ait éclaté à Gaza et, comme d’autres mères qui se sont retrouvées enceintes à ce moment là, elle a passé toute sa grossesse à avoir peur pour sa sécurité ainsi que celle de son enfant. Les fausses couches sont trois fois plus probables qu’avant la guerre, d’après un rapport de février de l’École d’Hygiène et de Médecine Tropicale de Londres et le Centre Hopkins pour la Santé Humanitaire.

« Il ne s’agissait pas d’un jour ou deux – non, il s’agissait de neuf mois. Chaque journée à vivre ainsi, nous mourrions un million de fois à cause des bombardements et des destructions », dit Mahmoud.

L’ONU estime que plus de 13.000 femmes accoucheront le mois prochain à Gaza. Parallèlement à l’angoisse à propos de leur sécurité, les femmes font face à des combats concrets à cause des déplacements répétés et de la recherche constante de nourriture et de médicaments. D’après l’ONU, 95 % des femmes enceintes n’ont pas assez à manger.

La destruction du système de santé de Gaza a signifié que Mahmoud n’a bénéficié d’aucun suivi prénatal pendant sa grossesse et qu’elle a été renvoyée de l’hôpital surchargé immédiatement après la naissance de Yaman.

« La situation dans les hôpitaux est si mauvaise, à tout instant un endroit ou une maison près de vous est ciblée, ce qui fait qu’il est difficile pour les hôpitaux de prendre soin des femmes enceintes. Toute l’attention se porte sur les blessés », dit Mahmoud.

Diana Mahmoud et son fils Yaman ont été renvoyés immédiatement après l’accouchement, mais il a été vite réadmis quand il a développé des problèmes de santé. Photographie : Care

En l’espace de 10 jours, elle a dû à nouveau chercher de l’aide médicale parce que la peau de Yaman avait viré au bleu et puis, alors qu’il était à l’hôpital al-Aqsa, son cœur s’est brièvement arrêté. Les médecins ont dit qu’il y avait eu un problème circulatoire qui avait probablement affecté son cerveau, mais, après dix jours de surveillance et de tests, ils l’ont relâché disant qu’il allait bien.

Save the Children dit que 50.000 bébés sont nés à Gaza au cours des neuf derniers mois, et les déplacements répétés font que certaines femmes provoquent elles même leur accouchement par peur de donner naissance en chemin.

L’invasion de Gaza par Israël, dont des raids sur plusieurs hôpitaux, a détruit le système de santé des territoires palestiniens, très peu d’hôpitaux restant opérationnels – et ceux qui le sont encore se débattent avec un manque de carburant et de médicaments. Des 36 hôpitaux de Gaza, 13 fonctionnent partiellement et trois seulement sont en capacité de soutenir les environ 180 femmes qui accouchent quotidiennement. Les femmes accouchent couramment sous les tentes.

« Dieu m’a bénie avec des triplés, un garçon et deux filles, mais ils étaient de santé fragile à cause de leur prématurité. » Yasmine Khuwaiter

Madeleine McGivern, conseillère en plaidoyer humanitaire chez Care UK, dit : « Les femmes accouchent sans aucune prise en charge de la douleur quelle qu’elle soit, vivent dans la peur, sans aucune possibilité d’avoir accès à un médecins ou à des soins prénatals, sans savoir si elles accoucheront sous une tente brûlante ou, si elles sont capables d’aller jusqu’à un hôpital, avec le risque d’être frappées par une bombe ou abattues par un sniper, à l’aller ou au retour. »

Le traumatisme s’est installé durablement chez Yasmine Khuwaiter, qui a découvert qu’elle était enceinte quinze jours avant la guerre et a donné naissance à des triplés en avril, deux mois avant terme.

Yasmine Khuwaiter dans sa tente avec ses triplés – elle s’est trouvée enceinte grâce à une FIV après neuf ans sans arriver à avoir un enfant. Photographe : Care

Yasmine Khuwaiter dans sa tente avec ses triplés – elle s’est trouvée enceinte grâce à une FIV après neuf ans sans arriver à avoir un enfant, mais au lieu de la joie, elle a passé sa grossesse dans un constant état d’anxiété par peur de perdre les enfants. Elle n’a pu trouver les traitements dont elle avait besoin et a été obligée d’avoir recours à des aliments ultra-transformés dont elle pense que cela l’a affaiblie et a provoqué plusieurs problèmes de santé.

Quand elle a eu besoin d’un traitement en novembre, elle est arrivée à l’hôpital pour le trouver fermé à cause d’une absence de fournitures médicales et d’électricité. Khuwaiter et sa famille ont fui la ville de Gaza pour le centre de Gaza, son mari devant la pousser dans un fauteuil roulant. Des semaines plus tard, elle a dû fuir à nouveau, vers Rafah au sud de la Bande.

Les médecins l’ont orientée vers l’Égypte pour être traitée, mais après un mois d’attente pour être autorisée à sortir de Gaza, la zone où se trouvait Khuwaiter a été bombardée, obligeant la famille a fuir à nouveau vers le centre de Gaza, où elle a accouché dans un hôpital.

« Dieu m’a bénie avec des triplés, un garçon et deux filles, mais ils étaient de santé fragile à cause de leur prématurité », dit-elle.

L’accouchement a été difficile – Khuwaiter a souffert d’hémorragie pendant la césarienne, pour laquelle on lui a donné un peu de la réserve très limitée d’anesthésiques, et l’une de ses filles a passé plusieurs jours en soins intensifs. Mais deux semaines plus tard, leur santé s’est améliorée et la famille a dû sortir.

« Nous sommes repartis vivre sous une tente. Une tente dépourvue de ce qui est nécessaire à la vie humaine », dit-elle. « Vous pouvez imaginer – trois bébés prématurés nécessitant des soins extrêmes, vivant sous une tente. »

  • Photo : Yasmeen Khuwaiter avec ses triplés, nés prématurément en avril. Khuwaiter et son mari ont appris sa grossesse juste avant le 7 octobre. Après de nombreux déménagements et luttes pour trouver de la nourriture et des médicaments, la famille doit désormais s’occuper de ses enfants sous une tente. Photographie : Care