Une philosophe française, qui a annulé à Paris un évenément BDS comme antisémite et partial, donnera à New York une conférence sur la « Liberté de parole »

Le 24 avril, le consulat français à New York présentera une Nuit de philosophie : 62 exposés en 12 heures. C’est une personnalité publique qui lancera le marathon dans la….

Le 24 avril, le consulat français à New York présentera une Nuit de philosophie : 62 exposés en 12 heures.

C’est une personnalité publique qui lancera le marathon dans la salle de bal du deuxième étage : la philosophe Monique Canto-Sperber. Directrice de recherche au CNRS, Canto-Sperber a animé sur France Culture pendant de nombreuses années un programme de radio hebdomadaire intitulé “Questions d’éthique” (et elle a un grand sens du style…).

Son thème le 24 avril est la « Liberté de parole ». D’après le résumé, il semble clair qu’elle parlera des caricatures de Charlie Hebdo. Et je parie qu’elle soutiendra le droit de Charlie Hebdo à publier des caricatures du prophète mais aussi exhortera les publications à faire preuve de retenue.

« La liberté de parole est au coeur de l’état libéral. Elle exige que chaque citoyen ait le droit d’exprimer librement ses opinions, aussi irrationnelles, scandaleuses ou immorales qu’elles soient. Il y a de nombreuses justifications pour cette liberté fondamentale, mais elles incluent toutes des bornes qui rendent sa défense raisonnable. Par exemple, ceux qui défendent l’idée que la liberté de parole exprime le respect dû à l’individu doivent reconnaître qu’elle pourrait être utilisée pour exercer une discrimination envers d’autres personnes et donc que des limitations appropriées sont nécessaires. C’est la manière habituelle de comprendre la liberté de parole. Cependant, certains éléments de la culture contemporaine, liés principalement à la formation des opinions et des croyances, semblent jeter une lumière différence sur cette valeur et les manières dont elle pourrait être définie. Pouvons-nous continuer avec le concept traditionnel de liberté de parole qui constitue l’état libéral ? Ou devons-nous le remettre en question ? »

Mais attendez une seconde…Il est notoire qu’en 2011, Canto-Sperber a annulé deux réunions à l’ École normale supérieure, dont elle était alors directrice, parce qu’elles étaient organisées par un Collectif Palestine, qui était en faveur de la campagne pour le boycott, les désinvestissements et les sanctions (BDS) contre Israël. Une de ces réunions devait accueillir Stéphane Hessel, le célèbre écrivain maintenant décédé qui a inspiré le mouvement « Occupy » (il est mort deux ans après cette annulation).

Des universitaires furent indignés par cette annulation et lancèrent une excellente pétition rappelant la longue histoire de l’école en matière d’action politique :

« Nous, soussignés universitaires états-uniens, canadiens et britanniques, qui pour la plupart avons des liens de longue date avec la France et avons longtemps admiré le rôle historique de l’École Normale supérieure dans la vie critique et intellectuelle du pays, sommes stupéfaits des événements récents à l’école. Les actions de la directrice, Monique Canto-Sperber, interdisant d’abord une conférence de Stéphane Hessel et refusant ensuite au Collectif Palestine ENS d’organiser une rencontre sur le campus, est un déni des droits à la liberté d’expression et d’association. Hessel a 93 ans, c’est un ancien élève de l’École, un membre de la Résistance, un survivant de Buchenwald, un des auteurs de la Déclaration des droits de l’homme de l’ONU et du récent best-seller Indignez-vous!, dans lequel il critique parmi d’autres choses le traitement des Palestiniens par Israël …

L’action de la directrice est une exception à la tolérance habituelle de l’école vis-à-vis de l’activité politique des étudiants et c’est une exception récurrente, visant à réduire au silence un des côtés dans un débat nécessaire sur le conflit israélo-palestinien. Nous pensons que l’action de la directrice est en contradiction avec la longue histoire de libre parole et de libre expression politique à l’ENS telle qu’elle est d’ailleurs décrite dans sa propre publicité : ‘L’École normale supérieure fut pendant des décennies le haut lieu de la vie intellectuelle et scientifique française. Elle a participé à tous les grands débats d’idées qu’a connus la France moderne, de l’affair e Dreyfus aux mouvements des années 30, de la fondation des sciences humaines à l’avant-garde des années 70’.

Nous appelons la directrice à revenir sur sa décision et à restaurer la liberté académique, une pratique associée de longue date à cette institution prestigieuse« .

Cette pétition, qui a bénéficié d’une attention internationale, a embarrassé Canto-Sperber. Celle-ci a publié une défense en anglais de sa censure. Elle a dit que cela n’avait rien à voir avec Hessel lui-même. Qu’il était lui-même toujours bienvenu. Mais que l’événement prévu était partial.

« L’ENS est ouvert aux débats dans lesquels les deux côtés sont présentés et qui ne donnent pas lieu à une manipulation politique. Ces deux aspects manquaient clairement dans les deux événements prévus« .

Quel standard ! Qu’en serait-il advenu pendant la guerre du Vietnam, celle d’Algérie ou le mouvement pour les droits civils ? Pouvez-vous imaginer une rencontre pendant l’Affaire Dreyfus avec Zola comme invité et donc aussi l’autre côté ?

De plus, selon Canto-Sperber, la présentation était anti-sémite :

« Les deux rencontres étaient contrôlées par les organisateurs de la campagne de boycott de l’état israélien. Je ne prends personnellement pas position dans un sens ou dans l’autre sur la légitimité morale de cette initiative. Mais je veux que vous sachiez que le boycott d’un État est illégal selon la loi française, ainsi que les discours antisémites« .

Si c’est antisémite, n’est-ce pas immoral ?

La réponse à la défense par Canto-Sperber de sa censure est si bonne qu’elle mérite un long extrait. Il faut noter l’allusion à la pression officielle exercée sur Canto-Sperber pour écraser la libre parole.

« Il ne devrait pas être nécessaire de souligner que chaque personne impliquée dans cette pétition est fermement opposée à l’antisémitisme sous toutes ses formes. Nous n’avons rien vu qui suggère que les membres du comité qui a essayé d’organiser les deux événements annulés par la directrice étaient motivés de quelque façon par l’antisémitisme, et nous nous inquiétons de ce que ces accusations d’antisémitisme, un délit très grave en effet, puissent être lancées à la légère afin de réduire au silence un des côtés dans un débat nécessaire sur le conflit israélo-palestinien.

En ce qui concerne la partialité éventuelle de la rencontre interdite, nous ne voyons aucun problème. Dans de nombreuses rencontres qui ont lieu à l’ENS et ailleurs, il n’est pas requis que chaque opinion possible sur le sujet en question soit représentée. Il ne s’agit pas de représenter des points de vue opposés et d’atteindre un « équilibre », mais d’accueillir des événements qui soulèvent des questions sérieuses sur la relation entre la discrimination, l’occupation, la justice sociale et le droit international. Il y a précisément une longue tradition de cela à l’ENS.

Ceux d’entre nous qui ont fait circuler la pétition savaient que les événements interdits étaient organisés en lien avec une initiative de boycott, désinvestissements et sanctions en tant que réponse possible à ce qui est largement considéré comme des violations israéliennes du droit international. La pétition n’a pris aucune position sur cette initiative, et un certain nombre de ceux qui ont signé la pétition ont affirmé publiquement leur opposition au boycott académique en particulier. On peut dire sans hésiter cependant que tous ceux qui ont signé la pétition ont été profondément troublés d’apprendre que le boycott, une tactique établie depuis longtemps de mobilisation politique non-violente, puisse simplement être déclarée illégale en France.

On pourrait penser qu’une telle illégalité pourrait intéresser l’ENS, pourrait être le thème d’un séminaire ou d’une conférence et que la directrice voudrait faire une déclaration appropriée contre une telle contradiction éclatante avec les précédents légaux internationaux, plutôt que de chercher le soutien d’une cour de justice pour ses interdictions et de se réfugier derrière ses déclarations.

Si la directrice d’une des plus prestigieuses institutions de la recherche française sent qu’elle risque des sanctions indéterminées si elle autorisait à l’ENS une rencontre discutant l’exercice de ce qui est ailleurs reconnu comme un droit démocratique fondamental, alors la liberté de parole en France court un plus grave danger que nous ne le craignions.

[Les auteurs sont Natalie Zemon Davis, de l’université de Toronto ; Michael Harris, professeur de mathématiques, à l’université Paris-Diderot ; Jonathan Rosenhead, Emeritus Professor of Operational Research, London School of Economics; et Joan Wallach Scott, School of Social Science, Institute for Advanced Study].

Je me demande comment Canto-Sperber traitera sa propre suppression de la discussion de BDS lors de sa conférence dans la salle de bal du consulat de France, dont l’entrée, au fait, est libre et ouverte au public.