Une Française, une Palestinienne et une Noire, toutes dans le même bain

La médaille d’or gagnée par Simone Manuel aux jeux Olympiques de Rio n’est pas un exploit mineur, et pas seulement au sens athlétique. Comme Manuel le reconnaît elle-même, sa performance….

La médaille d’or gagnée par Simone Manuel aux jeux Olympiques de Rio n’est pas un exploit mineur, et pas seulement au sens athlétique. Comme Manuel le reconnaît elle-même, sa performance est une gifle à la face du racisme qui imprègne la société aux États-Unis, au point d’exclure les Noirs ouvertement, et jusqu’à ce jour, de les dissuader de participer au plaisir de nager dans une piscine communale. Pensez à Dorothy Dandridge, dont l’orteil fut considéré comme une raison suffisante pour vider toute l’eau d’une piscine de peur qu’elle soit porteuse des maladies transmissibles qu’on attribuait sans fondement aux Afro-Américains à l’ère de la ségrégation, ou rappelez-vous l’image torride de ce Blanc, propriétaire d’un motel, versant un acide dans une piscine alors que des Noirs s’y baignent encore, qui regarde la souffrance, la panique et la confusion sur leurs visages alors qu’ils se démènent pour échapper au liquide toxique.

Les attitudes et les actions adoptées par les Blancs dans tout le pays et qui ont été rendues possibles par la législation ont joué ainsi un rôle direct dans l’émergence de générations d’Afro-Américains ne sachant pas nager. Selon USA Swimming (organisme national dirigeant pour la natation de compétition – ndp), on estime que 70 % des Afro-Américains ne savent pas nager et à ce jour, l’accès aux piscines reste limité dans la plus grande partie des quartiers noirs, autre conséquence du faible revenu et d’une tendance à affecter des crédits inadéquates dans les zones urbaines qui présentent une démographie afro-américaine prédominante. Ce n’est pas une surprise alors que des campagnes comme Make a Splash (littéralement « Faire un plouf » ; campagne de USA Swimming pour promouvoir la natation et l’accoutumance à l’eau – ndp) aient fait des efforts tangibles pour recruter les ambassadeurs pertinents et concentrer leur travail et leurs ressources pour encourager les communautés noires à acquérir pro-activement cet atout essentiel pour la vie quotidienne.

Pourtant, la victoire de Manuel, puissante en elle-même, tombe en plein milieu d’évènements troublants, dans d’autres parties du monde, ancrés au droit de profiter de l’eau publique et des sports nautiques –, des évènements qui nous rappellent que le racisme et le sexisme imprègnent toujours ces sociétés que nous vantons comme progressistes, démocratiques, pluralistes, et post-raciales.

En l’espace d’environ une semaine, des villes françaises comme Cannes, Villeneuve-Loubet, ainsi que la Corse, ont toutes interdit le burkini sur les plages publiques, restreignant sévèrement le droit des femmes françaises à s’habiller comme elles le souhaitent, contrôlant la façon dont elles peuvent montrer leur corps quand elles participent à des activités sur une plage publique. En ciblant spécifiquement le burkini, les autorités françaises tentent de faire comprendre aux communautés musulmanes qu’elles doivent accepter les valeurs françaises laïques et y adhérer et abandonner les leurs plutôt que de s’y intégrer, tout en associant outrageusement dans le débat l’hygiène et les mœurs des musulmans. Même le Premier ministre français a mis son poids dans la question, se référant au burkini comme à un symbole de « l’asservissement des femmes ». L’aversion obsessionnelle de la société française envers l’étalage de la pratique religieuse va si loin apparemment que certains responsables français ont demandé aux musulmans d’être « plus discrets », comme si la simple vue de la diversité menaçait de mettre le tissu social de la société française en lambeaux.

En réalité, l’interdiction du burkini discrimine et marginalise effectivement un groupe minoritaire non pas à une, mais à deux facettes – ces musulmanes qui observent le hijab et qui se couvrent en présence d’hommes. Ce groupe de femmes, faut-il le noter, représente un nombre beaucoup plus important que les porteuses de la burqa ou du niqab qui ne sont, en comparaison, qu’une poignée, et déjà visées par d’autres interdictions depuis 2010. Fait intéressant, on ne sait toujours pas ce qui est en réalité considéré comme un vêtement légal sur une plage. Les bikinis et les speedos n’ont pas encore été déclarés obligatoires par la loi, et les combinaisons de plongée des hommes (et des femmes) semblent rester parfaitement légales, bien qu’elles aient essentiellement la même configuration que le burkini, sauf que celui-ci comporte un capuchon pour recouvrir les cheveux – ce qui remet une fois de plus en question comment les principes d’égalité ethnique et d’égalité sexuelle, et ceux de la liberté individuelle, peuvent vraiment être considérés comme confirmés par de telles lois.

Les choses ont empiré à la fin de la semaine dernière. En Israël, un chef de file du Conseil régional, Moti Dotan, a demandé des piscines séparées pour les Israéliens et les Palestiniens, posant question sur l’hygiène et les pratiques culturelles palestiniennes, et il a glissé sur le ton de la plaisanterie qu’il ne souhaitait pas partager une piscine avec eux. Les piscines publiques sont donc la dernière infrastructure à servir de levier pour la mise en œuvre de l’apartheid contre les Palestiniens et les citoyens palestiniens d’Israël, une discrimination à leur encontre collectivement qui a déjà été instaurée par le gouvernement quand il a légiféré sur l’identification, les différences dans l’accès aux services gouvernementaux, de même qu’à travers la ségrégation des routes, des écoles et mêmes des services hospitaliers.

L’occupation s’est avérée immunisée même contre l’esprit olympique, et a tout fait pour décourager celui de la délégation palestinienne à Rio. Beaucoup dans la délégation palestinienne, comme Mary al-Atrash, n’ont pu accéder à des installations décentes pour s’entraîner, soit par manque d’infrastructures comme en Cisjordanie, soit en raison d’une réalité décourageant tout Palestinien qui aurait envisagé d’aller à Jérusalem – avec le refus imminent de l’autorisation par l’autorité israélienne des Affaires civiles, une attente longue et ardue à la plupart des check-points, et le sentiment inévitable d’humiliation pour avoir à demander la permission à la force occupante de se déplacer librement sur sa propre terre. Dotan a déjà publié une légère rétractation à sa déclaration, évoquant un « lapsus », mais il continue d’insister sur une hygiène physique apparemment déficiente, attribuable selon lui à la culture palestinienne. Bien sûr, il est ironique de trouver des Palestiniens en train de nager en Israël ou dans les territoires palestiniens occupés, étant donné les arrêts dans la fourniture de l’eau par Israël à un certain nombre de villages de la Cisjordanie, ou si l’on considère l’atroce assassinat ciblé, par un navire de guerre israélien, des 4 jeunes garçons palestiniens qui jouaient sur la plage de Gaza, durant l’opération israélienne Bordure protectrice en 2014.

Malgré la performance historique de Simone Manuel dans la piscine olympique et les activités nautiques semblent devoir continuer à être un point critique pour la réduction des libertés, l’institutionnalisation du racisme, du sexisme et de l’islamophobie, et pour rendre possible la pratique dangereuse de la ségrégation. L’eau, l’essence même de la vie, qui se dit curative, à la fois si rare et si abondante, est maltraitée encore et encore pour attiser le feu qui brûle à travers les valeurs sociales progressistes. La victoire de Manuel rend possible, pour des milliers de jeunes filles noires aux États-Unis, d’envisager un avenir où elles se tiendraient sur un podium, représentant leur pays grâce à leurs prouesses athlétiques, mais cette victoire nous rappelle aussi que de telles réussites capitales s’accompagnent toujours du risque de se trouver noyés sous les vagues montantes de l’extrémisme nationaliste d’extrême droite, qui semblent submerger les nations démocratiques libérales occidentales des deux côtés de l’Atlantique avec la tempête.